Interview Alexis Bonis (B3TSI) - Quelles précautions avec les panels online

« L’analyse sémantique est un formidable outil pour cartographier les gisements de consommation ! » – Interview d’Alexis Bonis, directeur associé de B3 TSI

29 Mai. 2018

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Depuis que les marketeurs existent, ils ont toujours eu besoin des outils leur permettant de bien « lire » les marchés sur lesquels ils opèrent. Et cela fait partie des challenges habituels pour les professionnels de la recherche marketing que d’aider à ce que cette lecture soit aussi stratégique, synthétique, et actionnable que possible…
Et s’il y avait un vrai intérêt à dépasser la notion classique de segmentation et à aller dans le sens d’une cartographie des marchés, en utilisant tout simplement ou presque les mots des consommateurs ? C’est la voie qu’a suivie Alexis Bonis, directeur associé de B3 TSI, qui nous présente une combinaison méthodologique particulièrement originale – baptisée Semantic Explorer – pour identifier les « gisements » de consommation.

MRNews : Disposer des meilleurs outils pour lire un marché fait partie des préoccupations les plus classiques des marketeurs. On pourrait donc penser qu’il est difficile d’innover en la matière. Et vous avez pourtant élaboré une démarche originale, s’appuyant notamment sur l’analyse sémantique. Comment est née votre réflexion ?

Alexis Bonis (B3 TSI) : Elle s’est nourrie de différentes rencontres. La première avec Jean-Marie Janson, qui était professeur de sociologie à l’université d’Orléans — où je donnais des cours de statistiques — et était engagé dans la rédaction d’une thèse sur l’usage des métaphores dans les slogans publicitaires. Il avait une hypothèse extrêmement intéressante à ce sujet, en considérant que les métaphores les plus efficaces sont celles qui parviennent le mieux à associer deux éléments à priori très éloignés l’un de l’autre. Et je lui ai donc apporté un petit coup de main, pour évaluer des termes sémantiques sur des échelles bipolaires, mais sans être vraiment bien conscient des finalités opérationnelles. Et puis quelques années plus tard, je me retrouve à échanger avec une connaissance — Jean-Philippe Becq — qui est médecin généraliste. 

On est donc assez loin du marketing !

Oui, au moins en apparence. Mais Jean-Philippe Becq s’intéresse beaucoup à cette notion de territoire sémantique, en faisant le rapprochement avec les préoccupations d’un de ses amis psychiatre, grand spécialiste de la dépression. Comme tout bon praticien, il sait que tous les patients ne se ressemblent pas et qu’il est extrêmement important de ne pas se tromper vis-à-vis d’eux, à la fois sur la posture à adopter en tant que médecin, et bien évidemment sur la nature des traitements et prises en charge envisagées. Il s’intéresse beaucoup à la recherche d’une bonne façon de « cartographier » les différents épisodes dépressifs, son intuition étant qu’il y a un enjeu tout particulier à bien analyser en miroir les mots que les médecins et les patients utilisent pour parler des troubles observés ou ressentis. Nous décidons donc de réunir des groupes de médecins, pour les faire s’exprimer. Puis des groupes de patients à qui nous demandons aussi quels médicaments leur ont été prescrits. Et là, nous aboutissons à une carte qui formalise magistralement les territoires de cette affection, avec les différents gisements de patients et les positions des antidépresseurs présents sur le marché.

Puis, progressivement, nous nous sommes intéressés à des univers plus classiques du marketing, comme celui du whisky, ou bien des parfums. Et à celui de l’alimentaire, avec une collaboration extrêmement fructueuse avec un acteur particulièrement innovant. C’est là, en travaillant avec ce dernier et en collaboration avec Philippe Savereux (DG de Market Vision), que nous avons à la fois optimisé notre approche et pris conscience de sa puissance potentielle pour les marketeurs.

La première étape de la démarche consiste à faire s’exprimer des consommateurs. Concrètement, quelles questions leur posez-vous ?

On vise dans un premier temps à obtenir un maximum de substantifs relatifs à l’univers étudié. Si l’on s’intéresse au whisky, on demande aux gens ce que ce terme leur évoque, la consigne étant de ne donner que des noms. Plus on en a, plus on est content ! Et tous les moyens ou presque sont bons pour cela, les réunions de groupe, l’exploitation des forums sur internet, mais aussi par exemple les techniques de RED (Rêve Eveillé Dirigé) chères à Philippe Savereux ! On se retrouve donc avec le plus souvent 200 à 300 substantifs, nombre que nous réduisons là encore en interrogeant les individus, mais ce coup-ci quantitativement : on liste à chacun une série de noms pour leur faire évaluer à quel point ils se rapportent bien au sujet. A l’issue du ranking, nous avons environ 80 substantifs. Et nous demandons aux gens quels sont les adjectifs les plus appropriés pour les qualifier, et obtenir ainsi des échelles bipolaires. Si je dis « neige », il y a de fortes chances que les interviewés nous disent « froid », ce qui donne l’opposition « chaud / froid ». Par le biais de différentes itérations, nous réduisons le nombre d’échelles bipolaires. Et nous aboutissons in fine à deux listes : 30 à 50 substantifs et une vingtaine de critères bipolaires, chaque substantif étant évalué sur les critères bipolaires. C’est ce qui nous permet de créer le fond de carte, en tenant compte des distances calculées entre les substantifs à partir de leur profil bipolaire. Aucune relation avec la dépression évoquée précédemment, il s’agit bien de critères bipolaires et non de troubles.

Mais, à ce stade, la carte n’est pas complètement aboutie…

Pendant pas mal de temps, nous nous sommes arrêtés là. Mais nous avons eu un jour l’idée de proposer aux gens de nous raconter leurs expériences de consommation, via le principe des journaux d’activité. Si l’on revient sur l’exemple du whisky, je vais vous inviter à décrire chacune de vos dernières consommations, en vous posant des questions éventuellement un peu indiscrètes : c’était où, quand, et avec qui ? Et c’était quel whisky ? De quelle marque ? Et je vais vous demander ensuite de qualifier cette expérience avec nos fameuses échelles bipolaires.

Comment exploitez-vous ces données ?

Les occasions ayant été qualifiées avec les mêmes échelles bipolaires que celles utilisées pour les substantifs, nous pouvons les projeter sur le fond de carte. Et bien sûr, l’idée clé est d’obtenir et de faire décrire un très grand nombre d’occasions de consommation, plusieurs milliers voire des dizaines de milliers s’il le faut. C’est ce qui nous permet de reconstituer le marché. On dresse une carte extrêmement précise, avec l’indication des niveaux de densité des différents territoires. On visualise où se positionnent les gisements de consommation, mais on identifie aussi des zones encore relativement vierges, qui sont de possibles terrains de jeux pour l’innovation. On est capable de décrire finement chaque gisement : combien il pèse en termes de business ? À quelles occasions de consommation il correspond ? Sur quel territoire sémantique il se situe ? Et quelle est la part de marché des différentes marques en présence ?

Combien de gisements trouve-t-on classiquement sur un marché ?

Du fait du nombre extrêmement important d’expériences de consommation décrites, on peut identifier plus de 50 gisements. Mais pour les marketeurs, c’est trop fin. On ajuste donc le niveau de précision avec eux. Notre recommandation sur ce point est de ne pas adopter un découpage trop grossier, qui risque de moyenner à l’excès. Il nous parait préférable d’être relativement fin pour un travail le plus efficace possible sur un gisement donné, qui sera payant sur d’autres par effet de bord. Dans tous les cas, rien n’empêche de travailler d’abord sur un découpage des gisements assez grossier et d’affiner ensuite.

Quels sont les marchés qui se prêtent le mieux à travailler avec ce type de cartographie ?

Plus les dimensions émotionnelles sont importantes, plus la cartographie est intéressante. La variété des occasions de consommation est aussi un facteur essentiel, mais plus riche est l’imaginaire associé à l’univers, plus les marketeurs se régalent. Ils ont les informations et les armes leur permettant de travailler au plus juste sur les différents gisements de consommation, avec les mots et les codes pour toucher les gens. Sur des marchés où l’utilité prime, la cartographie pourra être moins pertinente, mais cela mérite d’y réfléchir à deux fois.

Ce terme de « gisement » n’est pas si usité dans le marketing, on utilise plutôt celui de segment… 

C’est vrai bien sûr. Mais ce terme et cette référence assez explicite à l’exploitation pétrolière me semblent tout à fait adaptés compte tenu de l’output principal de notre démarche. C’est bien d’une carte d’exploration qu’il s’agit. Avec la nature, la localisation et la taille des différents filons de consommation, mais aussi l’indication du degré de difficulté à les exploiter. Soit du fait qu’il y a déjà beaucoup d’acteurs qui se battent sur celui-ci, soit au contraire parce qu’il n’y a personne, le gisement pouvant parfois relever quasi exclusivement du « home made », ce qui soulève un gros challenge pour les marques. Nous sommes donc très proches des raisonnements qu’ont les entreprises qui visent à exploiter les matières premières enfouies dans le sol. Et notre conviction est que – à condition de déployer les analyses statistiques qui vont bien – la sémantique est un formidable outil pour les entreprises pour cartographier les gisements de consommation et maximiser le rendement de leurs actions, dans une vraie perspective business. 

Vous privilégiez donc la segmentation des occasions de consommation plutôt que celle des individus ?

Oui, vous y êtes. Vous touchez du doigt ce qui, à mon avis, fait partie des éléments les plus intéressants de notre approche. Les segmentations classiques de consommateurs, dont j’étais et je suis toujours un grand adepte, enferment les individus dans un seul profil. Leur comportement de consommation est moyennisé. C’est dommage et je préfère considérer que sur un même marché, un individu peut avoir des occasions de consommation très diversifiées relevant apparemment de segments de clients différents. Pour revenir à la carte, un individu n’a jamais toutes ses occasions de consommation dans un seul gisement. Il n’est pas interdit à un client mainstream de se faire attraper par une sollicitation premium, soit parce que la circonstance s’y prête, soit par l’habilité du marketing. Je vous laisse entrevoir les possibilités d’utilisation de la carte des gisements dans la gestion marketing des gammes de produits.


 POUR ACTION 

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• Echanger avec les interviewés : @ Alexis Bonis Charancle

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