« Nous devenons de véritables caméléons ! » – Interview d’Isabelle Herbert-Collet, VP Market Research chez Orange

2 Mai. 2018

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Pourquoi et comment avoir choisi la voie du Market Research ? Quelles sont les grandes lignes de votre parcours ? Quelles ont été vos rencontres les plus marquantes ? Quel autre métier auriez-vous pu faire ? Si vous en aviez le pouvoir, que changeriez-vous dans cet univers ? Après Sylvie Lasoen— avec qui elle compte parmi les membres fondateurs d’Insights Hub— c’est au tour d’Isabelle Herbert-Collet (VP Market Research chez Orange) de se prêter au jeu des questions de notre série de traditionnels micro-portraits et de donner ainsi un aperçu de sa vision quant aux enjeux de cette fonction.

MRNews : Vous travaillez aujourd’hui chez Orange. Quelle est votre fonction et quelles sont vos principales missions ?

Isabelle Herbert-Collet : Au sein du marketing Groupe, je suis ‘VP Market Research’.  Que l’on parle réseaux, terminaux, offres marketing ou relation client, ou des nouveaux enjeux comme les  objets connectés, contenus, services financiers, etc. notre mission est d’apporter aux équipes groupe et pays une perspective consommateur  y compris dans des chantiers d’innovation où les avancées technologiques sont souvent les éléments les plus structurants.   De même sur le sujet de la Marque Orange, autour du programme d’études le plus emblématique qu’est la Brand Tracking dans plus de 30 pays, nous accompagnons les décideurs aussi bien pour des aspects très opérationnels que des analyses de stratégie de marque, ou en développant une plateforme digitale permettant un accès instantané à tous.  Nous intervenons également sur les enjeux de segmentation multi-pays, en Europe et sur la zone MEA (Afrique/Moyen-Orient), et de façon croissante nous complétons les études en puisant dans de nouvelles sources de données, de façon à apporter un éclairage multi-facettes sur nos marchés. 

Et pour couvrir ce périmètre international, comment votre équipe est-elle organisée ? 

Mon équipe regroupe 15 personnes de nationalités variées, réparties entre Londres — le berceau de la marque Orange – et le site de Châtillon. Et nous travaillons en forte collaboration avec les experts Market Research des différents pays, avec qui nous animons le réseau de partage d’expertise et « d’intelligence ».

Quelle est votre formation ? Et quelles sont les grandes lignes de votre parcours ?

Je suis diplômée de l’Essec, avec la particularité d’avoir systématiquement privilégié la composante internationale, et ce dès mes premiers stages. Ayant fait un semestre d’étude, puis travaillé au Brésil (Rio de Janeiro) dans un grand groupe français – en communication et événementiel – j’ai découvert à quel point je m’épanouissais dans la collaboration avec des personnalités et cultures différentes. Même si la fibre brésilienne et sa ‘joie de vivre’ a facilité ce ressenti, ce constat a confirmé mon attirance première : j’ai donc logiquement souhaité me diriger vers l’international, en cherchant les domaines du marketing où la proximité avec les personnes « de la vraie vie » était forte.  

D’où l’idée de se tourner vers les études marketing ?

Oui, mais avec une part importante de hasard ou de « sérendipité ». Par une conjonction de différents facteurs, j’ai creusé cette piste qui n’était pas dans mes radars, et j’ai intégré TMO (devenu CSA), pour apprendre le métier avec des clients internationaux aussi variés que Philips, Yves Saint Laurent ou …les pneus hiver Michelin. J’ai réalisé assez vite combien l’univers des études était passionnant, ouvrant sur des multiples possibilités. Travailler dans une petite structure me permettait de découvrir des expertises à la fois nouvelles pour moi et très pointues ; toutefois la curiosité de ce qui se passe « après l’étude » est vite arrivée. Et j’ai eu la chance de pouvoir intégrer un poste de Market Research chez Procter & Gamble, dans une équipe en création, au sein de la division Health & Beauty Care, récemment acquise.

C’est le démarrage de votre parcours côté annonceur…

Absolument. D’abord chez P&G avec une expérience qui vous imprègne de l’exigence de rigueur et de fiabilité du market research, et où l’importance de la vision consommateur pour la prise de décision n’est plus à prouver : lancement de produits, publicité, etc. Puis quelques années plus tard chez Reckitt & Colman (maintenant Reckitt Benckiser) pour prendre un poste de Directeur Etudes, et répondre à de forts besoins d’études sur un large portefeuille de marques : de Wizard et Woolite à Barbara Gould et Veet…J’y ai vécu plusieurs étapes de grande transformation de l’entreprise, vers un fonctionnement matriciel avec des catégories européennes, puis mondiales, où la France a toujours gardé un rôle de poids. J’y ai entre autres participé à l’élaboration de guidelines et de pratiques marketing internationales, en rendant incontournables les étapes portant la voix du consommateur et du MR dans les processus d’innovation ou la communication, ou pour améliorer la captation et le polissage des insights, en équipe multi-fonctionnelle et multi-pays. Alors que j’étais directrice du Market Research Europe, j’ai choisi de prendre un challenge en déménageant à Buenos Aires, pour gérer le Market Research Latin America, dans un contexte où tout ou presque était à créer. Après  la fusion Reckitt Benckiser, j’ai décidé de quitter l’entreprise pour intégrer Danone, au sein de la division internationale Biscuits (marque Lu). Là encore j’ai connu des challenges d’expérimentation et de mise en place de pratiques d’études  harmonisées sur différents volets – dans un contexte complexe puisque l’alimentaire est ancrée dans des traditions locales. Malgré l’intérêt de cette expérience dans un grand groupe français à la culture originale, je n’ai pas pu résister à l’attrait de saisir une opportunité dans un secteur extrêmement dynamique en allant chez Orange.

Et au passage, vous quittez la grande consommation pour un univers très différent…

C’est vrai. Et je ne cache pas que j’avais une certaine appréhension du fait de l’importance de la composante technologie dans celui-ci… Mais je l’ai laissée de côté, et je ne le regrette pas une seconde compte tenu de la richesse et de la variété des enjeux auxquels je suis confrontée. Et le développement de ma fonction qui était d’abord seulement mobile et européenne.

Vous le disiez, c’est un peu le hasard qui vous a mené au Market Research, mais vous avez persévéré dans cette voie. Qu’est-ce qui vous plait tant dans cet univers ?

Je pense que cela tient à une forme d’alliance, de conjonction. Il y a ce côté stimulant de toujours apprendre, d’être sans arrêt en train d’acquérir de nouvelles compétences du fait de la technicité de nos métiers, qu’il ne faut surtout pas occulter. Mais il y a aussi cette double écoute. Celle des consommateurs bien sûr, mais également celle des équipes au sein de l’entreprise, avec leurs enjeux de business et d’opérationnalité, et qu’il s’agit donc d’accompagner le mieux possible. Et vient se rajouter à cela cette formidable diversité des projets et des sujets d’innovation, parfois loin du client, et dans lesquels il faut savoir orienter les équipes et stimuler leur empathie consommateur pour mieux se projeter. Et chez Orange, comme partout, les challenges de transformation liés au digital sont très prégnants ; il y a beaucoup de nouvelles problématiques, d’expérimentations… la vogue du design thinking, l’importance et la surabondance des données passives, le recueil de la voix du client sous toutes ses formes, etc…

Quel autre métier auriez-vous pu faire ?

Pendant toute mon enfance, je voulais être médecin… Bien sûr, il y a un lien avec ce que je fais aujourd’hui, avec l’importance primordiale de l’écoute et un intérêt pour les autres, mais aussi l’exercice d’une forme de conseil. Au fond on est là pour aider les gens, et apporter des solutions ! 

Quelles ont été les rencontres les plus importantes dans votre parcours ?

Elles ont été très nombreuses, et pas seulement avec des personnes de l’univers du Market Research. Je pense par exemple à Denis Malaganne, directeur général France chez Reckitt & Colman, qui m’a donné très tôt des responsabilités de management et m’a encouragée pour participer à ces grands programmes. Ou bien à Mercedes Bazterrica, ma n+1 en Argentine, très inspirante quand il s’agissait de transformer les insights en solutions et décisions opérationnelles. Chez Orange, j’ai la chance d’être entourée de beaucoup de gens talentueux et aux profils variés. J’ai aussi fait beaucoup de rencontres extrêmement enrichissantes avec d’autres professionnels du Market Research, que j’ai pu côtoyer dans des groupes de travail internationaux, ou chez les prestataires. 

Quels conseils donneriez-vous à un junior, à quelqu’un qui serait tenté par cette voie du Market Research ?

J’aurais d’abord envie de lui dire que c’est un métier génial et en pleine évolution. Et qu’il est important de toujours garder à l’esprit la liberté dont on peut disposer avec ces fonctions. Il y a de réels espaces à exploiter pour être force de proposition et faire bouger les choses, que ce soit dans les entreprises ou bien dans les agences – terme que je préfère à instituts. 

Il faut être à l’écoute de ce qui se passe ailleurs, mais en ayant un vrai apprentissage du métier, avec des bases robustes. On doit également avoir la dose d’humilité indispensable pour écouter et conseiller, mais aussi la confiance en soi pour participer à un projet ou même pourquoi pas en devenir le leader.

Il est beaucoup question d’équilibre dans vos propos…

C’est juste. Je pense qu’il est également capital d’être ouvert, d’être capable d’accepter différentes sources y compris celles dont on n’est pas propriétaire. C’est un des gros challenges aujourd’hui pour notre fonction, cette aptitude à prendre des choses qui viennent d’ailleurs et de les marier avec les informations que nous produisons. Le talent de raconter des histoires – de faire du storytelling – prend aussi de plus en plus d’importance. Nos métiers exigent d’être extrêmement complets, et cela ne fera qu’aller plus encore dans ce sens dans les années à venir.

Et si vous aviez une baguette magique pour changer un petit quelque chose sur la planète des études marketing, que feriez-vous ?

Le premier coup de baguette serait certainement pour faire disparaitre ce mot « Etudes » qui dessert la profession. Et le deuxième pour trouver son remplaçant ! (rires). Mais à défaut de l’idéal, je préfère en tout cas utiliser les termes d’Insights ou de Market Research. 

Au-delà de ces questions de terminologie, un des plus grands enjeux auquel nous devons faire face dans les années qui viennent est celui de la multi-disciplinarité. Nous devons toujours plus être des « caméléons ». Ce n’est pas une fin en soi, mais c’est un moyen clé pour que notre fonction soit plus centrale et valorisée qu’elle ne l’est aujourd’hui. C’est vrai pour nous qui travaillons côté annonceurs, mais cela s’applique aussi à nos prestataires, dont le métier est difficile et attaqué. Nous ne pouvons pas nous cantonner dans une posture défensive, il est vital que nous communiquions plus et mieux pour mettre en valeur ce que nous apportons. C’est tout le sens de l’action que nous menons avec Insights Hub dont je fais partie des membres fondateurs, et du programme que nous nous sommes donné (lire ici l’interview de Sylvie Lasoen, Isabelle Herbert-Collet et Henri-Jacques Letellier

Une dernière question enfin : que pensez-vous de MRNews, et quelles seraient vos éventuelles suggestions ?

Je dis bravo à l’initiative et à ce qui est fait par MRNews, qui livre régulièrement des articles et interviews en prenant le temps nécessaire pour rentrer en profondeur dans les sujets. Ce n’est sans doute pas une voie facile, mais je trouverais pour ma part extrêmement intéressant d’aller encore plus loin dans cette logique, pourquoi pas un partenariat avec la Harvard Business Review par exemple, qui fait un gros travail de présence en France auprès des grands décideurs, dans le marketing et les autres fonctions clés des entreprises. 


 POUR ACTION 

• Echanger avec les interviewés : @ Isabelle Herbert-Collet

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