« L’indépendance des études marketing me parait être une condition majeure pour garantir la customer centricity des entreprises » – Micro-portrait de Sylvie Lasoen, Consumer and Marketing Insight Director chez Unilever

14 Juin. 2017

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Après Guillaume Roussel le mois dernier, c’est au tour de Sylvie Lasoen, directrice pour la France et l’Espagne de l’entité Consumer & Market Insight d’Unilever, de répondre aux questions traditionnelles de nos micro-portraits, dans le cadre de ce petit tour d’horizon des professionnels des études ayant choisi de travailler chez l’annonceur.
Quel est son parcours et quel en a été l’élément déclencheur ? Qu’est-ce qui lui a donné le plus de plaisir dans cette fonction ? Que ferait-elle si elle pouvait changer quelque chose dans le petit monde de la recherche marketing ? C’est ce que nous vous proposons de découvrir, avec au passage un message fort sur une des clés majeures de l’orientation client d’un des plus prestigieux groupes mondiaux.

MRNews : Vous travaillez aujourd’hui chez Unilever. En quoi consiste plus précisément votre fonction ?

Sylvie Lasoen : Jusqu’à la fin du mois, je suis directeur CMI pour la France et l’Espagne d’Unilever. Je m’occupe donc du Consumer and Market Insight – puisque tel est le sens de cet acronyme – pour ces 2 pays, en animant une double équipe de 8 et 4 personnes en France en Espagne. Il s’agit d’un rôle très transversal dans la mesure où nous couvrons en termes d’études toutes les catégories sur lesquelles Unilever est présent. Mais il y a également une forte composante « go-to-market ». Nous travaillons beaucoup en particulier sur des enjeux de shopping experience, de média, et de retour sur investissement des actions de marketing et de communication.

Toutes les catégories : mais encore ?

Nous intervenons sur les quatre grands piliers de l’activité du groupe, que nous appelons dans notre jargon interne les « big C », et dont le poids est relativement équilibré, en tout cas en France. Cela correspond au food, où nous sommes présents avec des marques comme Amora, Maizena, Maille, Knorr… Nous avons également une macro-catégorie à laquelle nous avons donné le nom de « refreshment », qui intègre le thé, les infusions, mais aussi les glaces où nous sommes fortement présents en France. Et par ailleurs, nous avons le home care, c’est-à-dire les produits d’entretien ménager, et le personal care, l’hygiène beauté en version française.

C’est une fonction purement Etudes ?

Oui, absolument, avec un énorme rôle de partenariat avec les décideurs marketing, médias et vente intervenant dans ces deux pays. Elle est purement Études, tout en étant au coeur du business. C’est un parti-pris extrêmement important du groupe, qui a une organisation et une culture très consumer centric. Chez Unilever, le CMI rapporte au CMI, qui est donc présent au niveau du board Unilever global. Je ne suis pas rattachée à la direction marketing ni même au chairman Unilever France, la fonction Etudes est complètement indépendante, ce que nous identifions comme une des conditions clés de l’orientation client de l’entreprise.

Quelle est votre formation ? et quel est votre parcours ?

Je suis diplômée de l’Essec. Dans le cadre de cette formation, j’ai eu l’occasion de suivre un cours sur les comportements des consommateurs, avec un croisement systématique entre des considérations psychologiques et les enjeux de marketing des entreprises. Cela m’a complètement passionné, et m’a indiqué la voie que je voulais suivre ; et je n’en ai jamais dévié ! J’ai commencé par enchainer des stages dans des instituts d’études et, au sortir de l’Essec, j’ai rejoint une société qui s’est appelée un peu plus tard Research International. Au bout de deux ans, s’est présentée l’opportunité de passer un peu de temps côté annonceur, en l’occurrence chez Lever. Je l’ai saisie, avec l’idée de retourner très vite en institut. Mais les choses ne sont pas déroulées ainsi, et j’ai préféré poursuivre ma carrière côté annonceur en évoluant au sein du groupe Unilever.

Vous avez effectué un parcours extrêmement complet au sein de ce groupe, toujours dans le périmètre de la recherche marketing. A quelles catégories ou à quels types de problématiques n’avez-vous pas touché ?

L’organisation d’Unilever est matricielle, avec en ligne les entités géographiques, et en colonne les grandes catégories de produits. Mon dernier poste est de type « local », mais avant celui-ci, je me suis régulièrement focalisée sur des colonnes de la matrice, à l’échelle globale ou européenne. Du fait de mon parcours, je pense donc en effet avoir eu l’occasion de travailler à la fois sur la totalité des univers produits du groupe, et sans doute aussi sur toutes les problématiques de marketing et d’études qui puissent exister en rapport avec ceux-ci : la brand equity, la gestion de portefeuille de marques, l’innovation,… Aujourd’hui, je suis confrontée à des enjeux plus locaux, mais le fait de travailler sur un portfolio de 35 marques soulève naturellement des questions stratégiques essentielles. Quels sont les meilleurs arbitrages à faire selon les catégories et les ressources ? C’est bien nôtre rôle que d’alimenter ce débat au travers de nos modélisations, et de construire la vision permettant de générer le plus fort incrément d’activité. Les composantes business et stratégiques sont donc extrêmement présentes au quotidien.

Vous n’avez jamais eu l’envie d’aller travailler chez un autre annonceur ?

L’opportunité s’est présentée, mais je ne l’ai pas saisie. Sans doute parce que je devais avoir trouvé ce qui me convenait chez Unilever. Et aujourd’hui ce n’est pas trop d’actualité, car je pense avoir un peu fait le tour de cette fonction côté annonceur. Je me vois très bien en revanche retourner du côté des instituts ou aller dans le conseil. C’est sur quoi je m’oriente dans les semaines ou mois à venir.

Vous avez évoqué ce cours à l’Essec qui a constitué pour vous le déclic. Qu’est-ce qui vous donne le plus de plaisir à exercer cette fonction Études ?

J’ai toujours été attirée par la réflexion, les enjeux de stratégie. Mais ce cours m’a amené à faire la jonction avec un autre champ d’intérêt, celui de la psychologie humaine. Et au fond, c’est ce que je trouve passionnant dans ces fonctions qui ont pour objet de mettre « l’humain » au coeur des décisions des entreprises. Ce sont aussi des métiers de conviction. Il ne suffit pas d’arriver avec des données, il faut aussi persuader ses partenaires business sur les meilleures orientations à prendre. La dernière composante clé, je dirais que c’est la variété des problématiques. C’est évident si l’on travaille en institut, mais c’est très vrai également lorsqu’on a la chance d’évoluer dans un grand groupe aux activités aussi diversifiées que les nôtres. C’est passionnant de pouvoir s’intéresser dans la même journée à des gros enjeux de distribution puis à ce qui fait la brand love key d’une marque comme Elephant !

Est-ce que cette indépendance des études ne donne pas aussi une forme de pouvoir ?

C’est très vrai ! Ce n’est pas le pouvoir pour le pouvoir bien sûr ; mais c’est la possibilité de réellement influencer les décisions, en ayant parfois un peu un rôle de juge de paix dans les débats internes, avec la légitimité de notre expertise et notre connaissance des consommateurs. Cela donne de hauteur, de la transversalité, y compris auprès des marketeurs les plus seniors.

Quelles ont été les rencontres les plus importantes dans votre parcours ?

Il y en a eu plusieurs… Il m’est difficile de ne pas citer John Willats, à qui je rapportais lorsque je suis arrivé chez Lever. Il était en quelque sorte le gourou absolu, l’éminence grise du président. Au début il m’intimidait ; mais j’ai considérablement appris auprès de lui. Il donnait le sentiment de tout savoir, d’avoir tout lu, tout entendu, tout en ne se mettant jamais en avant. De nombreux partenaires au sein d’Unilever ont été des contacts extrêmement stimulants. Je pense par exemple à quelqu’un comme Sylvain Bluntz, qui était le marketing VP sur la catégory « Savoury » et qui avait développé une énorme intuition du marché et des consommateurs, avec un côté « poil à gratter » qui le rendait assez unique.

Quel autre métier auriez-vous pu faire ?

Mon dieu, je n’en sais trop rien ! Bien sûr, cela aurait pu être du conseil en stratégie, mais cela reste un métier très proche. Sinon, je crois que cela aurait vraisemblablement été celui de psychologue.

Quels conseils donneriez-vous à un junior qui aimerait se lancer dans les études marketing ?

Je lui dirais d’abord que c’est un très beau métier et qu’il a tout à fait raison ! Je crois que je lui donnerais le conseil de faire des allers-retours entre le monde des annonceurs et celui des instituts. Cela me semble indispensable de connaitre le premier, pour développer une compréhension de la façon dont les études peuvent être utilisées et de comment les décisions se prennent en entreprise. Ne jamais être passé en institut est peut-être moins gênant. Mais je pense néanmoins que c’est une bonne expérience pour acquérir la connaissance des outils. C’est également très utile une fois que l’on travaille chez l’annonceur, pour mieux saisir quelles sont les contraintes et les marges de manœuvre des interlocuteurs en instituts. Cela aide à construire une relation plus intelligente, plus efficace.

Je crois aussi au bien-fondé d’un parcours consistant à ne pas s’enfermer dans une seule technique. Il est évident que le métier des études a beaucoup évolué en l’espace de quelques années, à tel point que l’on ne sait plus très bien parfois où s’arrête celui-ci. Il s’est aussi beaucoup spécialisé, avec les réseaux sociaux, le data analytics,…Et en même temps, il y a toujours besoin d’individus ayant une vision globale. Donc je pense qu’il faut circuler entre les différents métiers, et surtout mobiliser les deux hémisphères de son cerveau. Bien sûr, la rationalité et la maitrise des chiffres est essentielle, mais l’intuition l’est tout autant.

Et si vous aviez une baguette magique pour changer un petit quelque chose sur la planète des études marketing, que feriez-vous ?

Je pense que la priorité est de casser les silos. C’est un peu mon dada à moi ! Il faut parvenir aussi bien chez l’annonceur qu’en institut à faire du multi-sources et à croiser des données différentes et complémentaires, un peu comme les pièces d’un même puzzle : Il faut assembler toutes ses pièces afin de construire un ensemble pertinent et puissant. C’est ce que j’essaie de faire en prenant régulièrement l’initiative de réunir plusieurs des instituts avec lesquels nous travaillons dans la même salle (alors qu’ils sont concurrents) autour d’un brief commun: les études classiques, les données panels, les éclairages venant du social listening. Ce qui confère aussi un côté chef d’orchestre à notre rôle. Et ce n’est pas si simple, tout le monde n’est pas spontanément ouvert à partager son savoir, le réflexe naturel étant plutôt de protéger son pré-carré. Mais c’est assez génial lorsqu’on parvient à faire tomber ces barrières et à co-créer une storyline vraiment percutante pour le Business.

Une dernière question enfin : celle de savoir ce que vous pensez de MRNews et de vos éventuelles suggestions ?

J’avoue que cela a été pour moi une découverte relativement récente. Et j’ai été assez bluffée par la richesse du contenu et l’intérêt des dossiers en particulier. Je suis curieuse en ce moment du Design Thinking, et j’ai eu l’impression d’apprendre pas mal de choses via les différents points de vue qui se sont exprimés sur ce thème. J’ai pris également du plaisir à lire les portraits de mes homologues. Pour ce qui est des suggestions, je pense qu’il faut à la fois poursuivre sur cette voie de la richesse du contenu, et sans doute encore booster la notoriété du site, même si cela n’est jamais si évident compte tenu de la surabondance d’informations à laquelle nous sommes tous exposés. 


 POUR ACTION 

• Echanger avec les interviewés : @ Sylvie Lasoen

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