Si les marques se posent aujourd’hui pas mal de questions sur les hommes et les offres à leur proposer, c’est de plus en plus souvent par le biais d’une autre interrogation : celle de savoir quelles sont les clés d’une génération apparemment bien complexe, celle des Millénnials. De quelle rupture est donc porteuse cette génération sur ces enjeux ? Et quelles sont les tendances de fond les plus susceptibles de s’imposer ? L’équipe de Sorgem Advance avec Maria Di Giovanni et Catherine Dupuis nous livre sa vision et ses analyses.
MRNews : Les marques vous sollicitent-elles souvent sur des problématiques d’offre ou de communication explicitement associées à cette cible des hommes ?
Maria Di Giovanni et Catherine Dupuis (Sorgem) : Oui, elles le font régulièrement, surtout dans l’univers de la mode et des cosmétiques, mais de plus en plus au travers d’un prisme générationnel, la cible des Millénnials suscitant beaucoup d’interrogations de leur part. Elles observent des phénomènes auprès de cette population mais ont beaucoup de mal à démêler les évolutions marginales et les tendances de fond. Quid du gender-less par exemple ? Autant les marques ont su gérer la multiplicité croissante des modèles féminins, autant elles se retrouvent quelque peu perdues dans le champ du masculin. Du coup, sans doute pour se rassurer un peu, elles sont parfois tentées de recycler des modèles assez stéréotypés et passablement usés. On voit alors revenir les icônes d’hier, ou même d’avant-hier…
Est-ce à dire que l’arrivée des Millénnials a radicalement changé la problématique ?
Elle constitue clairement une rupture. Il y a bien évidemment eu des évolutions historiques importantes depuis un certain nombre d’années. Sur la fin des années 90 et le début des années 2000, nous avons assisté à ce que l’on pourrait appeler la « féminisation du masculin ». Les marques s’avisaient du fait que les hommes éprouvaient des émotions, qu’ils pouvaient aussi être des objets de désir et que la sensorialité faisait partie de leur univers. La culture gay affleurait et s’intégrait progressivement dans les codes des marques. Cela pouvait être segmentant, mais avec un peu de subtilité, tout le monde y trouvait son compte. Il y a eu ensuite une sorte de rééquilibrage : « j’assume mon côté féminin, mais je veux du vrai masculin ! ». Les marques nous ont alors beaucoup sollicités pour définir des offres et avec elles des gestes, des rituels nouveaux leur permettant de prendre soin d’eux tout en les rassurant sur leur masculinité. On pourrait appeler ça l’ère David Beckham !
Avec les Millénnials, nous passons à une nouvelle étape, qui s’apparente à une phase de déconstruction.
Qu’est-ce qui change profondément avec les Millénnials ?
Il y a d’une part une sorte d’effondrement. Revendiquer sa masculinité n’est plus perçu aujourd’hui comme relevant du politiquement correct. On en voit un symptôme assez manifeste dans l’actualité et avec l’affaire Weinstein : les hommes ne prennent pas la parole. Ce sont exclusivement les femmes qui s’expriment et parlent des hommes. Peut-être il y a un lien à établir avec une réalité sociologique : le fait que de nombreux Millénnials sont issus de familles monoparentales, où les mères occupent naturellement plus de place que dans les familles « traditionnelles », voire même toute la place. Mais l’autre point essentiel est que nous avons affaire à une génération d’individus qui ne veulent plus être enfermés dans des cases et évoluer selon le principe des identités multiples. C’est la génération des slashers, celle qui incarne le mieux le nouvel individualisme décrit par Judith Butler. Il est possible de parler de masculinité, mais pas au premier degré.
Mais il est possible et même quasiment obligatoire de porter la barbe ?
La barbe, le tatouage… Il nous semble que cela se détache de plus en plus d’une problématique de genre. C’est un pur phénomène de mode en réalité. Il y a bien une logique communautaire, mais où le masculin n’est qu’apparent.
Le gender-less a de fortes chances de progresser, voire de s’imposer ?
Cela fait partie des vraies tendances de fond en effet. Elle est présente dans l’univers des vêtements. On la voit également à l’oeuvre dans le domaine des cosmétiques, avec un succès impressionnant de marques dites « indies » (indépendantes). Mais il nous parait très peu vraisemblable qu’une seule tendance s’impose. Les hommes constituent une cible hyper hétérogène, et le gender-less n’est pas compatible avec tous les patterns socioculturels ou sociodémographiques. A l’opposé de celle-ci et même si cela reste encore assez marginal, on voit aussi d’autres modèles émerger, avec une certaine culture de la violence. La version extrême de cela étant le Jihad qui fascine certains jeunes individus, et qui intègre une forte revendication de masculinité. Sur d’autres continents que le nôtre apparaissent des phénomènes assez marquants, en Chine en particulier…
Que se passe-t-il en Chine avec les hommes ?
On observe un phénomène sociologique assez important… Avec la politique de l’enfant unique, les jeunes chinois ont été extrêmement choyés — en particulier les garçons – au point d’éprouver d’énormes difficultés à supporter la pression sociale, comme celle de réussir ses examens ou de trouver un bon emploi. Cela favorise ainsi une sorte de mise en retrait, avec une valorisation de la platitude, du fait d’être lisse, dans la moyenne, sans ambition. De fait, il y a une vraie crise de la performance masculine, les femmes obtenant de bien meilleurs résultats que les hommes à l’université par exemple. Le gouvernement chinois prend ce phénomène très au sérieux, et a même publié un livre pour éduquer les jeunes à la masculinité. Pour les chinois, un homme qui manque d’énergie masculine est un homme sans espoir ; et par extension, un pays qui est frappé par cela se retrouve sans futur. C’est donc devenu un réel enjeu de société !
Si l’on revient plus spécifiquement aux jeunes Français, est-ce que l’on ne voit pas apparaitre de nouvelles figures de l’aventurier masculin, comme celle des entrepreneurs ?
Il y a une réelle valorisation de l’entrepreneur, c’est évident. Et même plus précisément du start-uppeur. Mais celui-ci est mixte, il n’a rien de spéfiquement masculin. On voit quand même au global une forte mise à distance de toutes les figures de pouvoir, qui peut s’apparenter à une forme de castration symbolique.
N’y-at-il pas des personnalités qui émergent comme des modèles ou des référents possibles ?
Un personnage comme Elon Munsk est assez fortement valorisé. Il incarne la fusion du start-upper et du visionnaire. Et bien sûr, il y a quelque chose d’assez singulier autour du cas Emmanuel Macron. C’est une figure très paradoxale. Il vit avec une épouse significativement plus âgée ; il pourrait donc apparaitre comme un homme dominé, un contre-modèle pour les hommes. Et pourtant, ce couple fascine et même séduit. Il n’incarne pas quelque chose de particulièrement masculin, mais il est cependant crédité d’une assez grande autorité. Et l’épisode de la poignée de main avec Trump – qui est la figure diamétralement opposée, celle du cowboy machiste – a laissé paraitre qu’il n’était pas dépourvu de force et de virilité. Il y a une aura de perfection, avec ce côté agile et stratège. Il n’est peut-être pas à considérer comme étant un modèle absolu pour les hommes d’aujourd’hui, mais il démontre que l’on peut endosser de très hautes responsabilités sans pour autant tomber dans les stéréotypes du masculin et du pouvoir.
A côté de ce cas très particulier, ou bien de celui de Munsk, les sportifs continuent à apparaitre comme des référents importants.
Au fond, les marques ont toujours essayé de vendre aux hommes des attributs de pouvoir mais aussi de séduction vis-à-vis des femmes. Quel est le type d’homme qui séduit les jeunes femmes aujourd’hui ?
Il n’est pas certain qu’elles soient capables de le définir elles-mêmes… Elles nous parlent en effet d’Emmanuel Macron ou d’Elon Munsk. Mais on voit bien qu’il y a, pour elles comme pour leurs homologues masculins, une volonté de ne pas s’enfermer dans des cases. Il y a une forte valorisation du métissage, de l’hybridation, d’une forme de fluidité. Attire ce qui est beau et désirable, que ce soit un homme ou une femme. Ce qui n’est pas étranger au fait que la bisexualité apparaisse comme parfaitement acceptable, en tout cas pour une partie importante de la population. C’est peut-être là aussi un paradoxe. On pourrait penser que les jeunes sont un peu perdus sur ces questions d’identité sexuelle, alors que peut-être en réalité ils se posent beaucoup moins de questions que nous !
POUR ACTION
• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Maria Di Giovanni @ Catherine Dupuis