# Millenials : mythes et réalités...

"Une impérative ré-invention de la distribution"

Emmanuelle Barreyat-Baron
Directrice d'études - Enov

9 Nov. 2017

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La génération des Milénials soulève de multiples enjeux, l’un d’entre eux et non le moindre étant celui auquel doit faire face la distribution. Face au grand péril Amazon – plébiscitée par cette cible -, les points de vente physiques sont-ils condamnés à disparaître, ou du moins à voir leur rôle s’étioler ? Ce n’est pas si sûr, nous dit Emmanuelle Barreyat (Enov), qui nous expose les composantes clés de la ré-invention que les marques se doivent néanmoins de mettre impérativement en oeuvre s’agissant de leurs canaux de distribution physique.

MRNews : La cible des Millénials fait l’objet d’une énorme couverture médiatique. Mais cela fait-il écho aux préoccupations des entreprises ? Vos clients vous sollicitent-ils réellement à ce sujet ?

Emmanuelle Barreyat (Enov) : Oui, il y a un intérêt extrêmement fort de la part de nos interlocuteurs pour cette cible. Parce qu’elle constitue un enjeu majeur compte tenu de sa taille et de sa valeur. Mais aussi parce que les équipes marketing se sentent un peu « perdues » sur la meilleure façon d’adresser cette génération d’individus. Elles ne cessent d’entendre le même message de fond de la part des médias, celui qu’avec les Millénials les règles du jeu ont radicalement changé, et même que plus rien ne sera jamais comme avant. Il y a donc un besoin évident des entreprises de prendre la mesure des transformations à effectuer, en particulier sur les enjeux de retail. Et soyons clair, il y a une énorme peur : celle d’Amazon ! Beaucoup d’acteurs sont terrifiés à l’idée que les Millenials se détournent d’eux pour être les clients privilégiés de ce géant, qui présente à priori tous les ingrédients clés pour les séduire.

La grande crainte partagée par nombre de marques historiques est que les Millenials vont se détourner massivement des points de vente physiques…. Qu’en est-il d’après vous ?

Il est évident que pour cette population hyperconnectée, une enseigne comme Amazon fait pour ainsi dire l’unanimité. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a point de salut hors le e-commerce. C’est un des enseignements clés de l’étude que nous avons réalisée cette année auprès de cette cible, et qui montre que le shopping physique reste essentiel pour eux, notamment sur des univers comme l’habillement, l’ameublement ou la décoration par exemple. Mais il y néanmoins une vraie urgence pour les marques à transformer et même à ré-inventer leurs points de vente, la première des priorités pour elles étant d’adopter un nouveau prisme de lecture. Pour beaucoup de produits, internet est devenu le mode d’achat par défaut. Les marques doivent donc systématiquement se poser la question des différences et des bénéfices qu’elles sont susceptibles d’apporter à leurs clients via leurs canaux de vente physique comparativement à internet.

Quelles sont les composantes clés de cette ré-invention des points de vente physique ?

Les attentes des Millénials s’articulent autour de trois piliers majeurs que sont le vendeur, la disponibilité Produit et enfin l’expérience sensorielle. Le premier constat clé que nous avons fait est celui du rôle central du vendeur. Pour les Millénials, qui perçoivent le shopping comme un moment de déconnexion, celui-ci représente le lien social. Ils ont un regard politico-économique vis-à-vis de lui, qui doit continuer à bien rester présent faute de quoi le chômage augmentera ! Mais ils ont aussi de vraies attentes : le vendeur se doit d’être disponible et accueillant naturellement, mais il doit également apporter un réel conseil – et le bon, celui qui va dans l’intérêt du client – à partir d’une solide connaissance de l’offre. Les Millénials attentent une réelle expertise des vendeurs. Idéalement, ceux-ci devraient avoir des rôles de coachs, alors que leur constat d’aujourd’hui est qu’ils en savent souvent plus qu’eux sur les produits. Il y a donc pour les marques un énorme enjeu autour de la formation des vendeurs.

Quelles sont leurs attentes sur l’offre dans les points de vente ?

Idéalement, ils souhaitent retrouver l’offre présente sur internet : les mêmes prix, et les mêmes stocks ! Ils sont également très demandeurs de produits ou de services customisés, mais tout en étant très frileux sur le principe de confier leurs données personnelles…

Est-ce qu’il n’y a pas là une forme d’irréalisme ?

Je ne dirais pas cela. Ils sont réfractaires à un discours trop général, ne reposant que sur des principes ou des promesses vagues. Mais s’ils ont la preuve que cela s’inscrit dans une relation gagnant-gagnant, ces freins quant à la divulgation de leurs données personnelles peuvent être levés. La même logique s’applique pour les programmes de fidélité : ils ne veulent pas rentrer dans ces mécaniques ou il faut attendre longtemps pour peut-être obtenir in fine des bénéfices qu’ils pressentent comme faibles. A contrario, ils valorisent la surprise, la spontanéité, le geste sympathique et inattendu de la part de la marque.

Dans cette ré-invention des points de vente, quelle place faut-il accorder au digital ?

En amont du point de vente, le digital est naturellement omniprésent pour les Millénials, que ce soit pour repérer les bons plans, s’inspirer des blogueurs ou se tenir informé par les marques elles-mêmes. Sur la place du digital dans les points de vente eux-mêmes, les Millenials sont à la fois ambivalents et pragmatiques. Ils nous le disent très clairement : quand ils font du shopping, c’est pour se déconnecter. Ils n’ont donc nulle envie de se retrouver le nez collé à des écrans. Mais si les outils digitaux en magasin leurs procurent un gain de temps, ils votent « pour ». C’est le cas notamment des bornes de prix, des scanettes ou des tablettes lorsqu’elles sont utilisées avec le vendeur. Tout ce qui va dans le sens de la rapidité et de la fluidité est bienvenu : par exemple ces applications permettant de commander en ligne si le produit n’est pas disponible dans le magasin physique. Et si le digital peut contribuer à renforcer la qualité de leur expérience sensorielle en point de vente, là encore ils y sont favorables. Dans notre étude, nos Millénials valorisaient par exemple le principe de cabines connectées ou d’application permettant une reconnaissance morphologique pour indiquer les paires de lunettes, le maquillage ou les vêtements les plus adaptés.

Vous dites cependant que les Millénials sont ambivalents sur ce sujet…

On peut parler d’une sorte de clivage, entre la préoccupation très forte pour certains, bien moindre pour d’autres, que le digital allège ou même remplace le travail du vendeur, avec l’enjeu sociétal que cela induit.

En tout état de cause, il est clair que le point de vente idéal pour les Millénials intègre une subtile alchimie d’humain et de digital.

À quoi ressemblerait le centre commercial idéal pour les Millénials ?

Il y a un relatif consensus sur certains attributs : pour eux, le centre commercial de demain devra être éco-responsable, allier loisirs et shopping, et être animé, un peu comme un parc d’attractions (rires). Mais là encore — comme pour le digital — il y a des divergences, en particulier sur la taille du centre idéal. Pour certains, celui-ci doit être immense pour offrir un maximum de boutiques, de loisirs et de services, le projet Europa City étant emblématique de cette vision. D’autres sont au contraire à ce que ces centres restent à taille humaine.

Quelles enseignes vous semblent avoir particulièrement réussi à répondre aux attentes des Millénials ?

Les Apple stores sont une réussite évidente auprès des Millénials, avec la mécanique des rendez-vous planifiés et leur dimension inspirante. Mais d’autres enseignes méritent d’être évoquées. C’est le cas de Natures et Découvertes, qui est parvenu à proposer une expérience très distinctive et même unique, ou bien de Cultura avec ses ateliers et sa décoration assez épurée. On peut également citer Sephora, qui performe particulièrement bien dans l’esprit des Millénials sur des aspects de personnalisation et de reconnaissance du client. Je ne reviens pas sur Amazon qui est l’enseigne la plus plébiscitée, même s’il peut y avoir des réserves sur des composantes politiques, comme le fait qu’ils ne paient pas d’impôts en France.

Cette composante politique — que vous avez déjà évoquée concernant la relation au digital — est-elle importante au point de scinder la population des Millénials en deux sous-cibles ?

De fait, nous avons effectué notre étude en pleine période pré-présidentielle. Et nous avons été marqué par ce clivage qui s’est cristallisé autour des mouvements politiques, en particulier avec Les Insoumis et les En Marche. Derrière cela, il y a bien une composante qui dépasse le politique et concerne le marketing : penche-t-on plus du côté du local ou du global ? Le paradoxe est que le digital peut aussi se mettre au service du local. C’est ce l’on voit par exemple avec l’offre d’une start-up telle que Deligreens.com. Mais en effet, cet aspect me semble assez structurant et à prendre en compte par les marques.

Une dernière question enfin sur les techniques d’étude. Quelles méthodologies doivent selon vous être privilégiées pour travailler sur cette cible des Millénials ?

Le principe des communautés s’adapte réellement bien à cette génération, bien plus que les focus groups ou les interviews individuelles. Les Millénials sont très à l’aise avec les outils digitaux pour échanger, partager, et ils prennent le temps de jouer le jeu, ce qui est le moins le cas avec les plus jeunes, les Z, qui imposent eux la nécessité de procéder via des interactions très concises et brèves, ce qui peut parfois constituer un vrai défi !


 POUR ACTION  

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