# Millenials : mythes et réalités...

"Les Millénials ne sont pas des extra-terrestres !"

Xavier Charpentier
Directeur associé et co-fondateur de FreeThinking

9 Nov. 2017

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Les Millénials sont assez systématiquement décrits comme une génération homogène, porteuse d’une rupture radicale des comportements intéressant les marques et les équipes marketing… Et s’il fallait gratter le vernis pour disposer d’une vision moins caricaturale, plus juste ? C’est le point de vue que nous propose Xavier Charpentier (FreeThinking), en insistant sur la nécessité de considérer les sous-segments propres à cette cible et à mieux faire la part des choses entre les transformations et les permanences à prendre en compte.

MRNews : Il y a de la part des médias un énorme intérêt pour les Millénials, ce qui se traduit par une avalanche d’articles à leur sujet, le risque étant pour les marketeurs d’avoir quelques difficultés à démêler les clichés des vérités un peu plus profondes, un peu de brouillard apparaissant déjà pour définir cette cible…

Xavier Charpentier (FreeThinking) : Il est évident que s’intéresser aux Millénials s’inscrit dans quelque chose d’un peu « mode ». Mais cela renvoie aussi à un vrai enjeu pour les marques qui n’ont pas le droit à l’erreur dans la connaissance des cohortes générationnelles. Elles perçoivent que cette génération est synonyme d’une rupture, mais elles ont du mal à appréhender la nature et l’ampleur de celle-ci, la question étant de savoir jusqu’où et comment elles doivent se transformer. C’est à la fois très excitant et très anxyogène, ce qui explique le « sur-intérêt » porté à ce sujet, par ailleurs mouvant dans sa définition même.

Pour notre part, nous nous en tenons à une définition classique des Millénials : il s’agit des gens qui sont nés ou étaient enfants aux alentours du millénaire, et qui ont donc entre 18 et 34 ans. Mais cette définition met d’emblée le doigt sur un gros écueil que nous redécouvrons quasiment à chaque étude que nous menons : la cible est en réalité double, voire triple…

Le présupposé est celui d’une forte homogénéité de cette cible. Mais c’est au moins en partie un trompe-l’oeil ?

Il y a naturellement une réelle homogénéité selon certains critères, à commencer par celui du rapport au numérique. Même s’il y a toujours matière à relever des nuances, ils sont nés avec ça. L’expression d’« aller sur internet » est complètement inadaptée pour ces Millénials. Compte tenu de leur familiarité avec cet outil, il est indispensable de désigner des usages bien plus précis, comme de consulter sa page facebook ou de regarder Engrenage en streaming par exemple, quand on évoque leur ethosnumérique.

Mais il existe en effet de vrais sous-segments qui se distinguent selon au moins trois grandes composantes. D’abord par le rapport au travail, certains étant dans la vie active depuis dix ans là où d’autres débutent ou bien sont encore étudiants ou sans-emploi ; ce qui génère bien sûr des différences énormes. Même s’il y a un lien fort, vient ensuite la question du revenu et du pouvoir d’achat. Et s’y rajoute enfin le paramètre « enfants », extrêmement structurant lui aussi.

La combinaison de ces trois dimensions construit des segments d’individus dont les comportements sont réellement distincts. Cela va de l’étudiant qui habite dans un tout petit logement et peut avoir des difficultés à s’alimenter correctement jusqu’à des couples de « dinkies » (double income, no kids), qui vivent dans le modèle d’abondance et de consommation qu’ont connu leurs parents, mais le plus souvent comme une sorte de parenthèse enchantée avant l’arrivée du premier enfant. Avec toutes les situations intermédiaires, notamment celles des jeunes qui travaillent depuis déjà quelques années en n’ayant quasiment jamais vu leur salaire augmenter.

L’arrivée du premier enfant change radicalement la donne…

Elle crée une véritable ligne de fracture. Avec un enjeu énorme qui est celui du logement et donc de l’argent restant disponible à la fin du mois. Cela change tellement de choses que l’on peut se poser la question de savoir si des Millénials avec enfant sont encore vraiment des Millénials… Loin de moi l’idée de noircir le tableau, cette génération étant optimiste, dotée d’une grande capacité d’adaptation et même de résilience. Mais les réalités sont parfois brutales…

Cela fait partie des paradoxes que l’on découvre étude après étude. Une fois que l’on enlève le vernis du « fashion » qui entoure les Millénials, on repère assez vite des marqueurs forts des impasses économiques et sociales de notre société… Les Millénials sont d’abord et avant tout des Français (presque) comme les autres.

Au-delà de la relation au numérique, on considère le plus souvent que les Millénials sont synonymes d’une rupture dans les comportements de consommation. Est-ce si évident ?

Les Millénials constituent la génération la plus porteuse d’un certain nombre de changements décisifs. Ils valorisent l’usage plus que la possession, et sont en nette avance de phase dans le rapport au collaboratif et sur les enjeux de responsabilité sociale et environnementale. Mais au vu des études que nous avons menées auprès de cette cible, je crois qu’il serait erroné de penser que ces changements les définissent entièrement. Ceux-ci coexistent avec des permanences très fortes et avec une adhésion, quoi qu’il en soit, à un modèle de consommation et à une société d’abondance. Cela demeure un référent essentiel pour nos Millénials. Ils vont sur internet pour acheter « malin », mais ils sont attachés à l’idée de pouvoir s’offrir des produits neufs dans des boutiques physiques ; cela reste un plaisir pour eux. Comme le dit l’un d’eux dans notre étude Déflation 2ème génération, « acheter neuf, c’est sympa aussi ! »

Ils apportent des comportements nouveaux, mais ils revendiquent une forme de droit à la consommation…

Absolument. Ils ressentent même quelque chose d’abusif dans l’injonction qui leur est faite parfois d’y renoncer, en considérant qu’il n’y a pas de raisons qu’ils soient privés de ce qu’ont connu leurs parents. Ils refusent au fond la menace d’une sorte d’exclusion de la société de consommation, qui n’est sans doute pas sans lien avec leur refus de voter pour ceux qui pointent la nécessité d’une forme d’austérité économique.

Quels seraient les autres pièges importants à éviter sur cette cible ?

Ce n’est qu’une autre façon d’exprimer ce que nous venons d’évoquer, mais je crois qu’il faut éviter de prendre les Millénials pour des extra-terrestres. Les médias cèdent parfois à la tentation de la caricature en nous les dépeignant ainsi, mais en réalité il n’en est rien.

Ce serait également un piège que de considérer que l’on reste le même Millénial durant toute sa vie de Millénial : les comportements des individus sont fortement dictés par des effets de life-stage, en particulier l’arrivée du premier enfant comme nous l’avons signalé, et bien d’autres encore. 18-34 ans, c’est une mini-vie en réalité, avec son propre cycle à connaître, comprendre et respecter.

Existe-t-il des marques Millénials, qui seraient « programmées » pour réussir sur cette cible ?

Il y a évidemment des marques que l’on peut considérer comme iconiques de cette cible, comme Apple ou Google… Mais ces marques-là sont universelles. Je crois en réalité que les marques qui réussissent auprès des Millénials sont tout simplement celles qui leurs montrent qu’elles leur sont destinées, non pas par des éléments de langage mais plus profondément parce qu’elles rencontrent leurs préoccupations. Il ne faut jamais perdre de vue que l’essentiel des Millénials sont de jeunes adultes, avec des désirs et des problèmes qui ne leur sont pas exclusifs mais qui se trouvent être particulièrement exacerbés. Les choses me semblent différentes pour les Z, leurs cadets. Avec eux, il est impératif d’utiliser les bons codes de communication, et de tenir compte de leur très grande capacité à décoder les intentions commerciales. Ils ne se contentent pas de promesses vagues, et sont bien plus à l’aise que leurs ainés pour parler d’argent. Leur univers est très explicitement celui du «bargain », quand on parle de leur relation avec les marques, au-delà de la fascination que certaines exercent sur eux.

A contrario, il est clair qu’un certain nombre de marques sont moins attractives qu’elles ne l’étaient auprès des générations précédentes. Je pense à Canal + par exemple, qui était un peu le temple d’une contre-culture acceptable pour celles-ci. Pour les Millénials, le temple est sur internet ! Ou il s’appelle Netflix.

Est-ce que – internet aidant – l’homogénéité culturelle des Millénials n’est pas plus forte qu’elle ne l’était sur les générations précédentes ?

Je suis plutôt tenté de penser le contraire. Sur les générations plus anciennes, il existait des médias puissants, des chaines de TV dont les programmes étaient tout aussi bien regardés par le fils d’un mandarin universitaire habitant Paris que par un fils de paysan du Limousin. Aujourd’hui, tout le monde ou presque a accès à internet, c’est vrai, mais les usages médias sont extrêmement fragmentés, ce qui est bien sûr un très gros enjeu pour les marques. Et pour la société dans son ensemble, d’ailleurs. Les points de rassemblements de cette génération sont plus rares, alors que les tensions et la fragmentation sont plus fortes.

Une dernière question enfin sur les méthodologies. Quelles sont celles qui vous semblent les plus appropriées pour étudier ces cibles ?

Nous travaillons sur ces cibles avec nos dispositifs de quali online. Contrairement à ce que l’on pourrait spontanément imaginer, ils ne sont ni plus ni moins à l’aise que les autres avec ces outils, qui sont aujourd’hui parfaitement opérants pour une très grande variété de publics. Et là encore peut-être à rebrousse-poil des idées reçues, les Millénials jouent très bien le jeu des études, avec des réponses concises, mais aussi plutôt « pointues ». C’est au global une population avec laquelle il est agréable et facile de travailler, alors qu’investiguer sur la génération Z demance une modération plus consommatrice d’énergie !


 POUR ACTION  

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