# Etudes et planning stratégique : un mariage de raison ? (volet 2)

"Un métissage fécond mais exigeant"

Xavier Charpentier
Directeur associé et co-fondateur de FreeThinking

15 Juin. 2017

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Et si l’association entre les études marketing et le planning stratégique, souvent décrite comme « évidente», était bien plus exigeante qu’il n’y parait à priori ? C’est le point de vue que développe ici Xavier Charpentier (FreeThinking), qui s’attache à définir les conditions permettant de dépasser les indéniables oppositions d’identités existantes entre ces deux mondes pour parvenir à un métissage réellement fécond, en soulignant au passage le rôle particulier des approches collaboratives dans la réussite de celui-ci.

MRNews : La complémentarité entre études marketing et planning stratégique est souvent présentée comme relevant de l’évidence. Qu’en pensez-vous ?

Xavier Charpentier (FreeThinking) : Je crois qu’il n’y a rien de si évident ou de si facile dans ce domaine. Et c’est tant mieux d’ailleurs, sinon cela ne serait pas très excitant. Cette complémentarité est au fond une forme de métissage. Et elle est d’abord un métissage d’identités bien distinctes, ce qui est tout sauf simple à gérer. Il y a d’un côté l’identité de « ceux qui savent » — les études —, et de l’autre celle de « ceux qui créent » — le planning – car il y a une dimension créative conceptuelle au cœur même du métier de planner. Il faut donc que l’identité « Etudes » pénètre celle du Planning, en lui insufflant l’aisance avec les données, la rigueur, mais aussi cette espèce de curiosité fondamentale vis-à-vis d’autrui, vis-à-vis des gens, pour saisir la logique qui est la leur. Et il faut par ailleurs que le planning apporte aux études la créativité, l’inventivité, cette façon de penser « out of the box », de ne pas s’arrêter au savoir pour aller plus loin, vers l’action, vers l’innovation. C’est cette tension qui rend le travail à la fois excitant et fécond. Comme le disait Levi-Strauss, « le savant n’est pas celui qui donne les bonnes réponses mais celui qui pose les bonnes questions ». C’est à  cette condition que le métissage est fécond. Quand on a réussi à rendre le savoir disruptif.

Cette complémentarité est aussi une forme d’opposition…

Bien sûr. Une des grandes questions est de savoir comment sublimer cette opposition qu’il ne faut pas occulter ou nier. Notre point de vue est qu’une des meilleures façons d’y parvenir est de travailler avec les consommateurs, via les démarches collaboratives que nous avons délibérément mises au centre de notre expertise. Un planner qui n’écoute pas les gens n’a pas une grande valeur ajoutée. Pas plus qu’un homme d’études qui ne fait pas de la connaissance un moyen d’agir, de transformer les choses. Du coup, mettre le client au centre change tout, cela oblige à être à la fois rigoureux et créatif. Et c’est bien ce que permettent les outils numériques et notamment les plateformes de discussion online, et la culture du collaboratif.

On est en même temps dans la connaissance et dans la créativité…

Oui, c’est très « macronien » de ce point de vue là ! (rires). C’est un « en même temps » qui n’est pas une simple juxtaposition. On ne fait pas que prendre le meilleur des deux mondes mais, par métissage, on en crée un troisième. On réinvente le métier en quelque sorte, et c’est bien le pari qui nous anime depuis 10 ans maintenant avec FreeThinking. L’idée pour nous n’est pas de faire « plus », mais de faire « mieux » parce que différemment. De passer de 1+1=2 à 1+1=3 et même à 1+1=C.

Au fond, c’est un métissage qui permet de dépasser la limite propre aux deux membres du couple…

Oui, cela me semble extrêmement important en effet. On peut considérer qu’il se produit un métissage des fragilités de l’un et de l’autre. La difficulté à laquelle est exposé en permanence le planner, c’est de trouver. C’est la fameuse formule de Philippe Michel : « Moi ce qui m’intéresse c’est d’avoir des trouveurs, et non pas des chercheurs ». Et chaque projet remet le planner devant sa page blanche. Le risque complémentaire à celui-ci est d’engager la réflexion et la marque sur des pistes aventureuses. Pour l’homme d’études, le point de fragilité est autre : c’est le risque de produire une connaissance inutilisable. C’est la question du « and so what ? » ou bien la gifle du «  on le savait déjà ». Et en effet, la réussite de ce métissage se mesure en grande partie dans cette capacité à dépasser ces fragilités pour en faire surgir une force évidente. Le métissage est réussi quand la connaissance accroît la puissance d’agir, pour reprendre une idée de Spinoza – même si on est dans un univers professionnel, de savoir appliqué, pas dans la philosophie…

Est-ce que cette obligation à trouver qu’exprime la formule de Philippe Michel ne pointe pas un autre risque, celui de se contenter de quelque chose de relativement médiocre ?

Oui, absolument ! C’est pour cela que l’humilité reste de mise. Pour le planner, qui peut ne pas débusquer le bon angle, mais aussi pour l’homme d’études, à qui peuvent échapper les informations les plus essentielles. Être certain de trouver, surtout s’il faut le faire dans des délais extrêmement courts, c’est sans doute manquer de la part d’humilité et de doute qui permet de mettre le doigt sur ce qui a le plus de valeur.

Un des points communs néanmoins entre l’homme d’études et le planner, c’est le fait de considérer le consommateur comme un étranger…

C’est juste. Par principe, l’autre est un étranger. C’est évident s’il vit en Chine ou aux antipodes, mais c’est aussi vrai s’il est mon voisin. Mais ce qui semble très intéressant là-dedans — et c’est encore une autre façon d’exprimer la complémentarité entre les deux disciplines — c’est qu’il est question de deux curiosités différentes. Ce qui fascine les hommes d’études, c’est de découvrir des inconnus. C’est vrai depuis Hans Staden, ce mercenaire allemand du 16ème siècle qui s’est retrouvé embarqué – à son corps défendant ! – dans une observation participante de peuples amazoniens pratiquant l’anthropophagie rituelle, jusqu’au data-scientist d’aujourd’hui. Alors que le planner, à l’identique des éclaireurs et des interprètes, est lui fasciné par le challenge de réussir à leur parler. Ce sont à l’évidence deux curiosités absolument complémentaires. Et qui s’ancrent dans la même réalité et la même intuition : ce qu’on ne connaît pas vaut la peine qu’on s’y intéresse. Que les Terra Incognita sont  toujours les plus belles.

Vous êtes issus, vous et votre associée Véronique Langlois, du monde du planning stratégique. Est-ce la pente naturelle des études que d’intégrer le planning stratégique ?

Précisément parce que mon univers d’origine est le planning et non les études, je ne me sens pas des plus légitimes pour répondre à cette question. Mais il me semble évident en revanche que, pour le planning, le sens de l’histoire consiste bien à se rapprocher toujours plus des études. Avec Stanley Politt, le planning est né de ce mouvement. Et la pente naturelle du planner est bien de remonter le plus possible vers le consommateur pour entendre ce que les autres n’entendent pas, pour gagner en pertinence et/ou faire la différence. Et cet impératif de créativité qu’a le planner rejaillit sur les études, elle oblige celles-ci à faire un saut inventif pour interroger les gens et interagir avec eux de façon toujours plus efficace et plus excitante.

Un certain nombre de voix s’élèvent pour évoquer une possible disparition des instituts d’études à horizon de quelques années, cette compétence pouvant être intégrée au sein des cabinets de conseil ou des agences de communication, ou bien aussi être concurrencée par de nouveaux acteurs du monde de la data. Qu’en pensez-vous ?

Cela me semble vraiment difficile d’être catégorique sur ces enjeux-là. Mon intuition est que les entreprises auront de plus en plus besoin de comprendre pourquoi les comportements des gens sont différents de ceux qui sont attendus, et donc de faire ce mouvement consistant à « traquer le fantôme dans la machine » en s’intéressant aux êtres humains. Cela va plutôt dans le sens d’un renforcement du besoin d’études des entreprises. Et de la nécessité d’une inventivité croissante pour débusquer ce fantôme. Le métissage que nous venons d’évoquer est certainement un des meilleurs chemins à emprunter pour développer cette inventivité dans l’écoute et la compréhension des gens.

Plaçons-nous du côté des annonceurs, des entreprises susceptibles d’être intéressées par des solutions associant études et planning stratégique… Quels sont les signes qui leurs permettent de s’assurer que les interlocuteurs qu’ils ont en face d’eux sont à même de réussir ce métissage, de le rendre fécond ?

Le premier signe, c’est le sentiment d’avoir affaire à des gens qui assument le fait de ne pas tout savoir d’emblée, qui acceptent l’idée que la compréhension du consommateur ne s’obtient pas si facilement mais procède au contraire d’un travail considérable et dans lequel rien n’est donné. J’en vois un second, qui serait de ressentir une forme d’engagement de la part ce ces interlocuteurs, que leur envie est bien d’aider l’action, la transformation. Qu’ils intègrent donc bien le risque dans leur démarche. Qu’ils ne s’abritent pas derrière la compétence « études » technique, même s’ils la possèdent, pour sécuriser une démarche qui doit toujours être une mise en danger. Et qu’ils sont suffisamment humbles pour accepter et même aimer ne rien comprendre… Au moins dans un premier temps !

Ce métissage peut-il être mis en oeuvre par une seule personne ?

Pourquoi pas ? Il me semble qu’il ne faut pas l’exclure en tout cas. Dans notre cas, nous fonctionnons le plus souvent en tandem, mon associée et moi. Et alors que nous venons tous deux du planning et du conseil, il y a quasi systématiquement une forme de débat qui s’instaure entre nous, elle et moi intégrant alternativement la dominante étude ou planning, très naturellement. Et je pense que cette confrontation est saine, nécessaire. Quand il n’y a pas ce débat entre nous, cela aurait plutôt tendance à nous inquiéter !

Une dernière question enfin : qui sont vos interlocuteurs en entreprise ? Avez-vous le sentiment d’être sollicité parfois pour pallier l’absence ou les limites des services études ?

Les demandes viennent de façon très équilibrée des équipes études, des directions du marketing ou de la communication, de directions générales. Je n’ai pas du tout ce sentiment que nous intervenions pour « shunter » les études. Ce sont très souvent elles qui nous sollicitent, surtout lorsqu’il s’agit d’équipes ayant une forte maturité, et ayant déjà beaucoup évolué vers une activité de conseil au sein de l’entreprise. 


 POUR ACTION  

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