Et s’il était vital pour les instituts d’études de changer leur fusil d’épaule : ne plus intervenir ou presque dans le recueil des données, mais avant tout aider les marques à organiser celui-ci auprès de leurs propres clients. Et si cette logique consistant à sortir de son pré-carré technique devait même s’étendre aux équipes Etudes au sein des entreprises ?…
C’est toute la philosophie sous-jacente au lancement de Brand Birds, une application mobile dont la vocation est de permettre aux marques de créer leurs propres panels clients pour consulter ceux-ci, mais aussi de pouvoir remonter et valoriser la vision des collaborateurs.
Son fondateur Guillaume Antonietti (Côté Clients) répond à nos questions.
MRNews : Vous avez annoncé il y a quelques semaines le lancement de Brand Birds, une application mobile permettant aux marques de créer leurs propres panels de clients pour pouvoir les interroger et les consulter en continu. Quels ont été les points de départ de votre réflexion ?
Guillaume Antonietti (Côté Clients) : Nous sommes partis d’un constat réaliste : il est de plus en plus difficile pour les professionnels des études d’interroger les gens. Il ne faut pas se voiler la face, quels que soient les moyens utilisés, le face-à-face où le téléphone, le refus de répondre atteint des proportions vraiment élevées, le même constat s’appliquant aux panels online. En apparence, tout va bien : nous finissons toujours par disposer de fichiers avec des réponses. Mais les conditions d’obtention de ces données sont de plus en plus problématiques. Les gens rechignent à répondre à la fois parce qu’ils sont sursollicités, mais aussi parce que les modalités que nous leur proposons dans notre grande majorité en tant qu’institut d’études ne sont plus adaptées…
Les gens sont prêts à répondre si on les sollicite avec les bons outils…
Absolument. C’est le premier paradoxe : avec la diffusion des outils digitaux notamment, les gens ont de plus en plus envie de s’exprimer. Mais ils sont de moins en moins disposés à le faire selon les conditions traditionnelles des études. C’est une question de medium, mais aussi de questionnaires. Ils n’en peuvent plus des batteries avec des vingtaines de critères, et des échelles sophistiquées certes, mais qui en appellent à des jugements hyper rationnels. Tout cela leur parait artificiel, inadapté, alors qu’ils sont parfaitement prêts à s’exprimer selon des modes plus en prise avec la spontanéité, l’émotion.
Le second paradoxe, qui est bien sûr complètement lié au premier, est que les lignes budgétaires affectées aux études dans les entreprises diminuent, alors que leur besoin de connaissance client n’a jamais été aussi important.
Il y aurait donc une sorte de budget latent disponible pour la connaissance client ?
Je crois surtout que les entreprises n’ont pas attendu que les instituts d’études se transforment. Elles ont pris d’autres options pour connaitre leurs clients : le décryptage de ce que ceux-ci expriment sur les réseaux sociaux, des interrogations en mode Do It Yourself, des propositions à la Clic And Walk,…. Elles ont alloué leurs ressources vers des solutions technologiques leur permettant de capter l’information autrement, avec une frontière assez poreuse entre étude et écoute client.
Point de salut hors la technologie ?
Absolument ! Au fond, C’est comme si nous avions délégué notre métier de l’intelligence client aux spécialistes de la technologie. Nous devons impérativement reprendre la main. C’est ce que nous essayons de faire avec Brand Birds, en intégrant une équipe d’ingénieurs et en procédant à des investissements substantiels pour une société de notre taille.
Quel est donc le principe, quelle est la philosophie spécifique de Brand Birds ?
Brand Birds est une application mobile qui permet aux marques de créer, d’interroger et d’animer leurs propres panels de clients. C’est à ma connaissance la première à donner cette possibilité. A partir du moment où la marque loue notre solution, elle demande à ses clients – ou éventuellement à une autre communauté qui l’intéresse – de télécharger notre application. Et elle va pouvoir ainsi interagir avec ses clients dans un environnement qui sera le sien, à ses couleurs, en définissant ses propres règles de gestion et sa politique d’incentive.
Concrètement, la marque peut solliciter ses clients autant qu’elle le souhaite, avec ses propres interrogations ?
Oui, tout à fait. Elle envoie des notifications à ses clients panélisés pour inviter ceux-ci à s’exprimer, à donner leur avis ou à réaliser des missions comme celles de prendre et de remonter des photos par exemple. La philosophie, c’est bien sûr de sortir du mode d’interrogation de l’univers des études. Mais plutôt de solliciter les gens pour des missions extrêmement courtes, pour leur demander des réponses immédiates à des questions qui ne demandent pas une réflexion intense, qui n’est plus dans leur cadre mental. La spontanéité doit primer, avec des courtes durées de consultation.
D’ci quelques semaines, nous intègrerons également la possibilité pour les marques d’indiquer aux gens les actions qu’elles ont pu mettre en oeuvre grâce à ces remontées.
Le consommateur doit être connecté à internet…
Attention, il ne s’agit pas d’utiliser des formulaires web. Il s’agit bien d’une application à part entière, pensée pour offrir la plus grande convivialité possible. Les avantages de la mobilité sont bien sûr là : le client peut répondre via son smartphone lorsqu’il est dans un train, dans une salle d’attente chez son médecin. Ou bien dans son canapé ! L’idée étant bien que cette application soit son interface privilégiée d’interaction avec les marques pour lesquelles il a envie de jouer le jeu.
Est-ce que cela ne suppose pas une forme de bienveillance vis-à-vis de la marque en question ?
Oui, tout à fait. D’où le terme de « birds ». Ce sont bien des gens qui ont une attitude positive, une certaine affinité vis-à-vis de la marque. Cela peut apparaitre comme un biais si l’on regarde cela au travers du prisme habituel des études. Mais le fait est que les biais sont partout ! Il faut en quelque sorte choisir les biais avec lesquels on écoute les clients, en fonction de ses objectifs. Sachant qu’il est naturellement possible, pour la marque, de définir les filtres qu’elle souhaite apposer à son panel en fonction de ses interrogations.
Pour quels types d’éclairage cet outil peut-il être utilisé en priorité ?
Il nous semble pouvoir être utilisé sur une grande variété de problématiques, en substitution des approches études classiques. C’est par exemple le cas pour les visites mystères des enseignes en réseau. Ce sont des dispositifs couteux et de plus en plus difficiles à mettre en oeuvre. Avec Brand Birds, la marque a la possibilité de confier des missions à ses clients, en les remerciant au travers d’incentives plutôt que de rémunérer (indirectement) des enquêteurs. L’outil se prête également très bien à des mesures de satisfaction, en particulier sur un mode « à chaud ». Ou bien à des tests de concepts de produits, ou de communication. Mais il peut très bien être utilisé en substitution à des gros dispositifs. Je pense à des études de type Usage et Attitudes par exemple. Plutôt que d’imposer des questionnaires de près de trente minutes, la marque sollicite ses clients par le biais de micro-séquences d’interrogation, ou par exemple en leur refaisant remonter et commenter des photos.
La vraie grande limite est celle de l’imagination ?
Oui, dès lors qu’il s’agit de solliciter ses propres clients. Mais l’outil n’est pas adapté – aujourd’hui en tout cas – pour des approches qui sortent de ce cadre. Il n’est pas envisageable de faire une étude en national représentatif, ou bien encore sur une zone géographique donnée, pour faire une étude de chalandise par exemple.
Soyons clairs, ce n’est pas un outil universel. Mais il offre cet immense avantage de pouvoir systématiser l’écoute de la voix du client, et de devenir ainsi un véritable levier de transformation culturelle de l’entreprise. Il présente en outre un autre intérêt qui nous semble majeur : celui de pouvoir être utilisé pour consulter les collaborateurs de l’entreprise.
La marque peut solliciter ses collaborateurs tout autant que ses clients…
Absolument ! Ce qui ouvre là encore des possibilités considérables : l’entreprise peut faire remonter en temps réel les avis des équipes, en particulier pour nourrir les décideurs des réalités et des perceptions du terrain. Et l’on peut confronter leur vision avec celle des clients. Sur les premières expériences que nous avons pu mener, nous avons été bluffés par la connaissance que les opérationnels ont des clients. De plus, les écouter est une sacrée bonne façon de les valoriser !
Votre application commence à être utilisée par de grandes marques comme La Fnac, Go Sport, Jardiland, Gemo… Avec ce type de démarche, les études ne sont-elles pas en train de scier la branche sur laquelle elles sont assises ?
C’est possible (rires). Mais il y une autre façon de voir les choses… Si les études dans leur mécanique classique sont assez moribondes, il y a de réelles opportunités pour les spécialistes de ce métier compte tenu du formidable besoin de connaissance client des entreprises. Mais cela signifie qu’il faut transformer les outils, ou au moins une bonne partie d’entre eux en tout cas. Et surtout changer de posture. C’est une vraie révolution copernicienne que nous devons faire en réalité. Nous devons à mon sens cesser de vouloir garder systématiquement la maitrise du recueil de données, mais aider les marques à réaliser celui-ci dans les meilleures conditions, tous paramètres confondus. Et c’est vraisemblablement le même cheminement que doivent prendre les études côté annonceurs, qui ont tout intérêt à lâcher leur précarré technique pour aider les équipes en interne (le marketing, le commercial, les Ressources Humaines,…) et être garant de la bonne utilisation des outils qu’ils mettent à leur disposition.
POUR ACTION
• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Guillaume Antonietti