# Mais où va le Quali ? (volet 2)

"Réussir la mixité"

Frédérique Nicolas
Associée- directrice du Département Quali d'Audirep

9 Mar. 2017

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Aux yeux de Frédérique Nicolas (Audirep), les signes sont contradictoires quant à la santé du quali, avec à la fois des évolutions alarmantes mais aussi des indices d’un certain renouveau, notamment autour des enjeux de l’expérience client. Sa vision est néanmoins qu’une des clés essentielles pour mieux répondre aux besoins des entreprises est de réussir pleinement le mariage du quali et du quanti, l’important étant non pas de l’énoncer mais d’en faire une vraie ligne directrice dans le fonctionnement au quotidien de l’institut.

MRNews : Une partie des professionnels parle d’un déclin des études qualitatives, d’autres évoquent au contraire plutôt un renouveau. Quelle est votre vision ?

Frédérique Nicolas : Les signaux me semblent relativement ambivalents. A l’évidence, nous avons assisté à une forme de recul du quali que l’on qualifie de « latin » ou de « à la Française », un quali très approfondi,  avec par exemple des entretiens non directifs ou des groupes  « longue durée »,  du fait de la pression sur les budgets et aussi de l’urgence dans laquelle travaillent le plus souvent nos clients. Mais il y a également des signes d’un renouveau du fait des nombreuses interrogations des entreprises sur la notion d’expérience et de relation client, qui sont les grands enjeux du moment ; renouveau alimenté par les possibilités offertes par le digital.

Cet enjeu est un appel d’air important pour les études qualitatives…

Absolument. Ce thème impose de procéder à des interrogations très ouvertes, et à combiner différentes méthodologies pour bien appréhender la variété et la complexité des parcours clients. La narration de l’expérience client étant par essence individuelle, cela a un peu amoindri la demande pour des approches de type réunion de groupe. Mais ce format reste au global assez incontournable. Il est performant et souple, ce qui est important dans le contexte de la demande des entreprises. Et il conserve ce côté « théâtral » : la réunion de groupe est une occasion privilégiée pour permettre aux équipes des entreprises d’écouter leurs clients « en direct ». Ce besoin est extrêmement fort et joue en faveur du quali. Il explique aussi le succès de formules de type ‘Consumer Connect’ avec la possibilité pour des collaborateurs de l’entreprise de venir à domicile chez leurs clients, dans leur espace de travail ou là où ils font leurs courses.

Ces tendances se retrouvent dans l’activité de votre département au sein d’Audirep ?

Oui, tout à fait. 2016 est une année où nous avons réalisé un grand nombre d’entretiens individuels et un peu moins de réunions de groupe, avec même un glissement en faveur des petits formats, de type triade ou tétrade notamment. Mais, pour nous, cette année passée a également été l’occasion de beaucoup avancer dans le sens de la mixité des approches, avec une très forte complémentarité quali-quanti. C’est particulièrement le cas sur les enjeux de satisfaction client et plus largement de la relation marque-client qui est un de nos grands domaines de prédilection. Nous avons notamment procédé à un travail de fond sur ces enjeux, avec la mise en évidence de l’importance des composantes émotionnelles de la satisfaction, des traces mémorielles, ainsi que de la notion de double effort :  le ratio entre l’effort que le client estime avoir dû fournir et celui qu’il a perçu de la part de l’entreprise pour obtenir satisfaction. Ce chantier a été l’occasion d’un gros travail dedéfrichage qualitatif en amont d’une démarche de quantification, notre préoccupation ayant été de remettre de « l’humain », «  de la chair » dans ces enjeux où l’on a un peu trop tendance à s’enfermer dans des indicateurs statistiques. Nous sommes ardemment convaincus de l’intérêt à travailler avec cette mixité quali-quanti, et cela fait partie de nos perspectives majeures que de continuer à développer celle-ci.

Mixer les approches quali-quanti n’est pour le moins pas un principe nouveau. Mais les instituts éprouvent souvent beaucoup de difficultés à la mettre en oeuvre de façon convaincante pour les entreprises. Quels sont les ingrédients de réussite ?

Il est évident que la taille de notre structure constitue un avantage indéniable : elle nous permet de travailler en proximité immédiate. Le parcours et la sensibilité des personnes sont aussi des facteurs importants. Même si je suis une spécialiste du quali, il m’est arrivé de réaliser des études quantitatives. Et je ne fuis pas lorsque je vois des tableaux quanti ! Didier Caylou, avec qui j’ai par exemple beaucoup travaillé sur ces enjeux de satisfaction, est également très familier des démarches qualitatives. Je crois aussi que cela renvoie à des choix fondamentaux de la part des instituts, Audirep faisant partie de ceux qui ont résolument pris cette option, avec la volonté d’apporter systématiquement une réponse globale à ses clients.

Votre organisation reste néanmoins structurée selon ces deux grandes entités que sont le quali et le quanti. Une organisation sectorielle ne faciliterait-elle pas plus cette mixité ?

Ce mode d’organisation n’est pas adapté pour un institut de notre taille. Il est plus pertinent, pour nous, d’assurer ce métissage des regards au travers de nos process et de nos modes de fonctionnement.

Quels sont précisément les modes de fonctionnement les plus essentiels pour y parvenir ?

Le principe fondamental est celui d’un fonctionnement en binôme quali-quanti. Non pas de façon systématique, dogmatique, certaines demandes émanant de nos clients ne s’y prêtant pas. Mais dès lors que cette mixité fait potentiellement sens compte tenu du besoin du client, un tandem se met en place pour travailler ensemble sur toutes les étapes clés du projet, depuis la rédaction de la proposition jusqu’à la présentation des résultats et des recommandations, en passant par les phases intermédiaires importantes. C’est le cas au moment de l’animation des groupes ou des séances de débrief à chaud, où le responsable du quanti est présent, de sorte à pouvoir avancer  au plus vite sur la mise en place de la phase  quantitative. Le responsable du quali va quant à lui systématiquement travailler sur les questionnaires, pour s’assurer de l’intégration des axes d’interrogation les plus pertinents et de la bonne formulation des items et questions. L’exploitation des questions ouvertes est également fortement optimisée, les qualitativistes travaillant sur le plan de code et leur analyse allant au-delà de la simple codification. Et bien sûr, le rapport final de l’étude fait véritablement l’objet d’un travail à deux, avec un total croisement des différents points d’éclairage VS 2 histoires juxtaposées.

Quelles sont les natures des problématiques pour lesquelles cette synergie quali-quanti est plus particulièrement « payante » ?

La palette est large. Cette synergie est d’un apport extrêmement précieux pour les approches de type « exploratoire » et « usage et attitudes », et par extension pour toutes les études aboutissant à des typologies d’individus, le quali permettant une description très fine et parlante autour des notions de « persona ». Ces derniers mois nous ont montré qu’elle pouvait aussi nous apporter beaucoup pour des projets relatifs à l’expérience et à la satisfaction client, ainsi que sur des études en mode « miroir ». Cela a été assez flagrant dans un projet qui nécessitait de mettre en regard les perceptions des clients et la vision des conseillers pour une entreprise de services. Elle est également très intéressante pour des tests de concepts ou de produits.

Mais cette synergie quali-quanti est aussi très intéressante sur le plan des outils.

A quels types d’outils pensez-vous ?

Nous aurons l’occasion d’en parler plus en détail dans le cadre du Printemps des Etudes, mais nous sommes en train de travailler sur des plateformes communautaires. Depuis 4 ans, nous utilisons celles-ci dans une logique d’étude qualitative.  Nous avons également des panels quanti dédiés. Et nous sommes en train de mettre en place des plateformes qui seront complètement mixtes et pourront aussi servir de support pour des projets quali-quanti.

Comment cette volonté d’établir une mixité des approches se traduit-elle dans votre politique de recrutement ? Cherchez-vous des profils mixtes ?

Au-delà des compétences propres des nouvelles recrues potentielles pour le département quali  (Sciences humaines notamment pour le qualitatif), nous nous préoccupons de leur degré d’appétence pour les autres disciplines. Un qualitativiste qui serait totalement hermétique au quanti n’aurait pas sa place chez nous. Et réciproquement.  Nous  encourageons cette ouverture  au quotidien, et avons également prévu des sessions de formation interne permettant de sensibiliser  les équipes aux approches quali ou quanti selon les cas

L’entente entre qualitativistes et quantitativistes n’est pas réputée être toujours si facile…

Des enjeux de timing peuvent naturellement générer du stress et donc des tensions. Mais je n’ai jamais vu au sein d’Audirep des conflits d’ordre « culturel » à ce sujet. Ce ne serait pas cohérent avec notre philosophie.

Cette alliance avec le quanti fait donc partie des perspectives que vous considérez comme majeure pour les études qualitatives. En voyez-vous d’autres ?

Beaucoup de choses ont déjà été dites par mes confrères sur les apports du digital. Il est évident que ceux-ci sont extrêmement importants, en particulier pour favoriser la mixité et la complémentarité des approches. Le digital nous aide également beaucoup pour la réalisation d’études internationales, et plus largement pour tous les projets où il permet de réduire les contraintes d’espace et de temps. La réalité virtuelle constitue aussi un axe prometteur. Ma conviction néanmoins est que le digital est vraiment intéressant pour élargir la palette d’outils disponibles, ou pour faire jouer des complémentarités. Mais à contrario, il faut être prudent lorsqu’il est utilisé en substitution des approches traditionnelles, celles-ci restant souvent irremplaçables pour appréhender des émotions des gens, ce qui est au coeur de notre métier.


 POUR ACTION  

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