# Mais où va le Quali ? (volet 2)

Oui à l’hybridation, mais pas à la dilution !

Pascal Bluteau
Directeur Général Sratégir - WSA

9 Mar. 2017

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Pour Pascal Bluteau (Stratégir-WSA), le sens de l’histoire est bien celui d’un enrichissement croissant des approches Etudes, en intégrant les opportunités qu’offre le digital et en favorisant une hybridation et un croisement des regards. L’idée n’est certainement pas d’aller vers une dilution du savoir-faire propre au quali mais bien au contraire de conforter celui-ci dans sa vocation fondamentale : expliquer les comportements et les représentations des consommateurs avec toute la profondeur nécessaire pour en décoder la complexité.

MRNews : Quelles ont été selon vous les évolutions les plus marquantes pour les études qualitatives sur ces dix dernières années ? Est-il justifié notamment de parler de déclin comme le font certains ?

Pascal Bluteau : Je n’utiliserais pas ce terme qui me semble excessif, mais il y a bien eu en effet un « virage » dans le  développement des études qualitatives. Ce phénomène est en grande partie lié à l’irruption du digital, qui est le premier grand facteur d’évolution sur ces 10 dernières années. Le digital a fortement impacté la demande des entreprises, en détournant celles-ci d’un certain nombre d’études qu’elles réalisaient précédemment. Il a aussi conduit à certaines errances. Mais cela a aussi ouvert des opportunités à partir du moment où l’on a compris que le digital n’avait pas vocation à se substituer aux modes de recueil traditionnels, mais à étoffer la panoplie des outils disponibles.

La seconde grande évolution a trait aux consommateurs eux-mêmes : les comportements – et même les modèles de consommation – se sont considérablement transformés.

En très grande partie sous l’effet de cette digitalisation…

Les consommateurs se retrouvent assez systématiquement face à une profusion de choix : dans les offres elles-mêmes, les prix, mais aussi dans les modalités de parcours, avec le multi-canal notamment. Avec la crise, ce modèle montre ses limites : ce qui apparaissait auparavant comme un achat « radin » est devenu un achat « malin ». Et nous avons assisté à la montée en puissance des enjeux écologiques au sens large du terme, qui introduisent des nouveaux critères d’arbitrage importants pour les individus ou les incitent même à moins consommer. La conjugaison de ces phénomènes engendre plus de  complexité, les logiques étant à la fois très évolutives et différenciées selon les secteurs. Le digital a en effet bien eu un effet accélérateur et démultiplicateur de ces changements.

Le quali est-il nécessairement le meilleur outil pour se mettre au diapason de cette complexité ?

Une lecture consiste à dire que le quali repose sur le « déclaratif » des consommateurs, avec le risque que celui-ci ne soit pas cohérent avec leurs comportements. Mais on peut objecter que face à une telle complexité des comportements, il est difficile de comprendre quoi que ce soit sans en passer par une interrogation en profondeur des consommateurs. La difficulté est donc de dépasser un certain niveau de discours pour parvenir au bon décodage ; c’est dans ces conditions que le quali a toujours un rôle fondamental à jouer, celui de trouver les meilleures clés en dépit de cette complexité.

Est-ce qu’il n’y a pas précisément un hiatus entre cette exigence — celle de la profondeur d’analyse requise pour démêler cette complexité — et une demande qui s’oriente assez systématiquement vers le « toujours plus vite » et parfois aussi vers le « toujours moins cher » ?

Bien sûr. Trouver la bonne profondeur d’analyse demande du temps. On en revient toujours à cela. C’est là qu’intervient l’expérience de l’institut, sa capacité à avoir un rôle de conseil ainsi que la relation de confiance instaurée avec les clients : ce sont ces ingrédients qui permettent de trouver les bons compromis et d’obtenir les délais nécessaires pour conserver la qualité des analyses, ce qui est notre obsession. Mais cette pression du temps est permanente en effet ; elle est extrêmement challenging en particulier dans la nature des restitutions, qui doivent être hyper synthétiques tout en apportant les nuances indispensables pour adresser les enjeux clés.

Vous avez évoqué le digital comme étant une opportunité pour les études qualitatives. Mais encore ? En quoi ?

Un des avantages formidables du digital est de rendre possible des approches « ethno » renouvelées. Par exemple, dans le cadre d’un projet portant sur les pet-food, nous avons demandé aux gens de filmer leurs chats au moment où ils consommaient ces aliments, de saisir l’interaction qu’ils avaient avec eux à ce moment précis. Dans une seconde phase, nous avons réalisé des entretiens individuels avec ces personnes en leur remontrant leurs vidéos. Et nous avons été impressionnés par la justesse et la richesse des ouputs. Idem lorsque nous avons mené une étude portant sur des produits cosmétiques – où les gens étaient invités à utiliser le produit dans leur salle de bains tout en se filmant. On fait sauter cette fameuse limite du déclaratif, on évite les effets de démémorisation et de censure consciente ou pas. Le digital apporte ainsi le bénéfice d’une super connexion avec la réalité, dans des conditions de temps et de budget acceptables ! C’est le côté « live » du digital. Mais on peut paradoxalement trouver cet aspect de mise en contexte en utilisant la réalité virtuelle, comme nos collègues de Stratégir l’ont fait avec le casque VR Samsung.

C’est ce qu’avait évoqué Isabelle Goisbault, avec l’exemple de cette étude où le casque permettait de mettre les consommateurs dans l’ambiance d’un apéritif entre amis ?

Absolument. Le digital apporte par ailleurs des possibilités extrêmement intéressantes lorsqu’on le considère non pas seulement en tant que mode de recueil, mais comme canal d’influence ou de choix. On observe la façon dont les gens échangent ou s’influencent sur un sujet donné via les réseaux sociaux. On capte les termes du débat, et on a ainsi moyen de saisir quels sont les jeux d’influence, quels sont les « pain points » et les contenus qui ont du sens pour les gens.

Cet enrichissement des approches qualitatives via le digital et les nouvelles possibilités techniques est-il l’axe majeur des évolutions pour demain ?

Ce phénomène a toutes les chances de se poursuivre en effet. Mais je crois qu’il s’inscrit dans une mutation plus profonde encore, le sens de l’histoire étant celui d’un élargissement de la palette des observations, des regards et donc du spectre d’analyse en complément de l’interrogation qualitative des consommateurs. Dans certains cas, ceux-ci n’ont pas des attentes très claires ; et leurs visions risquent d’être peu inspirantes. D’où l’intérêt d’aller chercher aussi ailleurs.

Par exemple ?

Nous obtenons par des résultats très intéressants en intégrant des modules de recherche de tendances, selon un fonctionnement en trois temps. Nous sollicitons des vrais spécialistes des tendances, qui identifient celles qui sont les plus structurantes sur des catégories de produits données y compris à l’échelon international ; puis, sur cette base, démarre une phase de recherche des insights, l’interview qualitative des consommateurs intervenant ainsi en bouclage de la démarche.

Nous proposons également à nos clients de travailler selon le principe de modules créa, en mode worshop, en associant l’exploration, l’insightment et la recherche d’idées.

Nous obtenons enfin d’excellents résultats via des démarches d’interviews d’experts. Cela n’a rien de très neuf, naturellement. Mais on observe un net regain d’intérêt pour ces approches, qui sont extrêmement efficaces pour se forger une vision bien plus large et avant-gardiste comparée à celle que nous obtiendrons en se focalisant sur les seuls consommateurs. C’est fou ce que l’on apprend par exemple en interrogeant des gens des réseaux de vente, qui saisissent parfaitement ce qui fonctionne ou pas pour convaincre ou satisfaire le client final !

Ce sont des démarches « hybrides »…

Oui. Mais qui s’appuient toujours sur la grande force des études qualitatives, qui est la connaissance intime des logiques consommateurs sur un certain nombre de catégories de produits ou de services. Il ne faut jamais oublier cela. Cette connaissance fine des acteurs, des leviers et des règles du jeu propre à chaque secteur d’activité ne s’invente pas. Nous l’obtenons parce que nous passons des heures et des heures avec les consommateurs, et avec nos clients.

Cette hybridation peut-elle aller jusqu’à l’intégration des méthodes et des process du quanti, ou même de l’analyse statistique, du big data ?

Entre le big data et le quali, soyons clairs il y a un encore un gouffre ! Mais il y a bien des complémentarités qui vont se construire progressivement. Il est évident que nous avons tout à gagner à intégrer des données chiffrées comportementales issues du Big Data dans nos démarches. Dans le cadre d’une étude portant sur des tablettes pour des cibles seniors, j’ai été frappé par les décalages qu’il pouvait y avoir entre les zones d’intérêt déclaré par ceux-ci et la réalité des usages une fois qu’ils avaient ces outils en main (usages mesurés via des trackers comportementaux). L’éclairage vraiment intéressant commençait là, en cherchant à comprendre pourquoi il y avait de tels décalages, pourquoi par exemple ces seniors n’utilisaient pas ces applications « photos » qui semblaient les enthousiasmer de prime abord. En creusant un peu, on s’est aperçu que les deux informations n’étaient pas contradictoires, mais complémentaires : il y avait un désir d’usage, mais une solution inadaptée ! Le quali est là parfaitement dans son rôle fondamental, celui de comprendre pour optimiser.

Une dernière question enfin, sur le fait que WSA ait rejoint le groupe Stratégir il y a maintenant deux ans. Qu’est-ce que cela a changé pour vous ? Et si l’on se projette dans les dix ans qui viennent, restera-t-il selon vous de la place pour des acteurs « pure-players » des études qualitatives ?

C’est une évidence, cette complémentarité quali-quanti nous permet de proposer des réponses globales et « articulées » aux problématiques que nous soumettent nos clients, ce qui est bien sûr une très grande force. Mais au-delà, nous avons pu mesurer à quel point il était intéressant de s’appuyer sur des outils qui n’ont vraiment de sens que du fait de cette synergie. C’est typiquement le cas de cette application pour smartphone que nous avons utilisée dans les études que nous avons évoquées, sur la nourriture pour chats ou pour l’univers des cosmétiques.

Si nous avons fait cette démarche de rejoindre Stratégir, c’est bien parce que nous avions conscience de l’intérêt et même de la nécessité d’associer ces compétences. Mais je ne crois pas du tout néanmoins que l’histoire aille dans le sens d’une « dilution » du quali dans une sorte de « grand tout ». Le quali reste un métier spécifique, avec sa culture propre, ce principe consistant à saisir les modes de pensée sous-jacents aux comportements et aux opinions des individus, la vocation in-fine étant de conseiller les clients, de les accompagner dans l’élaboration et le déploiement de leur stratégie en veillant toujours à mettre le consommateur au coeur de la démarche.


 POUR ACTION  

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