Satisfaction et fidélité client : et si l’on parlait un peu du retour sur investissement ?! – Interview de Daniel Ray, professeur à Grenoble Ecole de Management

17 Oct. 2016

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« Tout le monde sait bien que fidéliser est plus rentable que conquérir de nouveaux clients ! » ; « Satisfaire le client est la meilleure façon de le fidéliser ! »… Et s’il y avait une réelle nécessité à ne pas en rester au stade des croyances — y compris lorsqu’elles sont largement partagées — mais plutôt à s’intéresser aux faits scientifiquement établis, et à remonter la chaine qui aboutit à la seule vraie finalité de l’entreprise : son profit durable !
Tel est le parti pris de Daniel Ray, co-auteur avec William Sabadie de « Marketing relationnel : Rentabiliser les politiques de satisfaction, fidélité, réclamation » (Éditions Dunod), qui répond aux questions de MRNews.

 

MRNews : Les ouvrages publiés sur le thème de la satisfaction et de la fidélité des clients ne manquent pas. Pourquoi avez-vous ressenti le besoin d’en écrire un de plus ?

Daniel Ray : L’idée du livre est née d’un constat : aussi surprenant que cela puisse paraitre, les politiques de gestion de la relation client reposent plus sur des « croyances » ou des idées toutes faites que sur des bases réellement objectives. Il semble acquis par exemple que les clients fidèles rapportent plus à l’entreprise. Ou bien que les clients qui ont le plus confiance dans l’entreprise sont nécessairement ses meilleurs « ambassadeurs ». Et si c’était faux, ou en tout cas plus complexe qu’il n’y parait ? Et si ce genre d’affirmations ne s’avérait vrai que sous certaines conditions ? De très nombreux chercheurs travaillent en effet sur ces sujets depuis des dizaines d’années, et leurs résultats (qui les connaît d’ailleurs… ?) sont souvent en totale contradiction avec certaines de ces affirmations toutes faites, affirmations qui guident pourtant la plupart des politiques actuelles de relation client.

Dans le même temps, de plus en plus d’entreprises nous consultent en se plaignant du manque de rentabilité de leurs politiques de relation client. L’idée de l’ouvrage est donc née du choc de ces deux constats : d’un coté des entreprises en manque de ROI et de l’autre des recherches qui proposent un certain nombre de solutions, ou tout au moins des guidelines pour éviter certains écueils. Nous avons donc cherché à digérer ces recherches, puis à construire une démarche complète et structurante afin de les restituer de façon claire et surtout opérationnelle. Ce livre est donc un ouvrage pratique fondé sur des contenus scientifiques. Pour autant, le lecteur ne doit pas s’attendre à des solutions simplistes résumées en une phrase… Mais aujourd’hui, en matière de relation client, qui croit encore à l’existence de solutions miracles qui fonctionnent dans tous les cas ?

Enfin, avec ce livre, notre démarche a été de partir à l’envers de ce qui se fait d’habitude : puisque l’objectif est d’obtenir un profit durable, partons alors plutôt de celui-ci et posons-nous les bonnes questions une à une, en remontant ce que nous avons appelé « l’experience-profit chain ».

Quelle est votre réponse à cette grande question de savoir s’il est plus rentable pour l’entreprise de fidéliser les clients que d’en conquérir de nouveaux ?

C’est en effet la première question à se poser avant d’aller plus loin, et notamment investir massivement dans des politiques et autres programmes de fidélisation. Mais posez cette question autour de vous et vous constaterez que : « tout le monde sait très bien que fidéliser rapporte plus qu’acquérir un nouveau client ! ». Or ce que nous montrent les recherches, c’est qu’il n’y a pas de réponse absolue à cette question. Ainsi, en arrivant dans la téléphonie mobile, Free devait-il vraiment privilégier la fidélisation ? Ce n’est clairement pas ce qu’ils ont fait, et ils ne semblent pas pour autant être passés à côté du marché… Pour que la fidélité soit réellement plus rentable que l’acquisition, un certain nombre de conditions doivent en effet être réunies. Ces conditions constituent une sorte « d’effet turbo » de la fidélisation. En conséquence, calculer l’effet réel, sur son propre marché, de chacun de ces « chemins » qui mènent de la fidélité au profit, constitue un basique incontournable pour espérer rentabiliser ses politiques de relation client. Pour ce maillon de l’experience-profit chain, ce que nous nous sommes attachés à faire, c’est à décrire ces principaux chemins. L’idée n’est naturellement pas de décréter quelles seraient les options idéales, mais de formaliser un cadre clair et réaliste permettant aux décideurs de cheminer vers un optimum économique.

Après la question de la fidélité, on remonte ainsi la chaine Expérience Client / Profit, en visitant les trois modèles qui en régissent les principaux liens. Et à chaque fois, comme le nerf de la guerre consiste à prouver au préalable que les investissements demandés pourront être rentables, nous proposons au lecteur des données chiffrées issues des meilleures revues académiques : combien peut rapporter la fidélisation ? La satisfaction client permet-elle d’augmenter la valeur de l’entreprise, et de combien ? Combien une bonne gestion des réclamations rapporte-t-elle et comment le calculer sur son propre marché ?

Le premier de ces modèles, c’est le « Loyalty Model » ?

Tout à fait. C’est celui qui structure la réflexion autour de cette grande question du lien entre satisfaction et fidélité. Nous partons du principe que la satisfaction n’est pas une finalité en soi : elle ne doit donc pas être maximisée à tout prix, mais optimisée pour fidéliser les clients. Car dans de nombreux cas, il existe en effet des effets de seuil qui limitent la rentabilité. Il est donc primordial de bien connaître la réalité des liens entre satisfaction et fidélité sur son propre marché.

Ensuite, à la lumière des résultats du Loyalty Model, le Satisfaction Model remonte la chaine d’un cran, puisqu’il s’agit là d’étudier une question bien connue des spécialistes des études : comment hiérarchiser les composantes de l’expérience client en vue d’optimiser la satisfaction ? L’ouvrage détaille d’ailleurs, pour la première fois à notre connaissance dans un manuel, les principes et les méthodes permettant de mieux rentabiliser cette partie de la chaîne, en considérant que minimiser l’insatisfaction et maximiser l’enchantement ne passent pas par les mêmes priorités d’actions. Par exemple, si un petit chocolat Valrhona servi avec votre café peut permettre de vous enchanter, la présence d’un chocolat moins haut de gamme ne vous mécontentera pas pour autant. A contrario, la simple présence d’un sucre ne sera pas source d’enchantement alors que son absence mécontentera fortement ceux qui prennent leur café sucré. Ainsi, chocolat Valrhona et sucre sont donc tous deux à la fois « importants » et « pas importants », selon que vous cherchez à maximiser la satisfaction de votre client ou à diminuer son insatisfaction…

Mais vous vous intéressez aussi à une partie de la chaine souvent délaissée dites-vous : le traitement des réclamations.

En effet, c’est un maillon souvent délaissé ou occulté. Les réclamations, c’est négatif ! Alors qu’il y en réalité un enjeu considérable autour du bon traitement de celles-ci ! C’est le Complaint Model, avec ses deux grands aspects : d’une part l’examen du lien entre réclamations et rentabilité dans le contexte spécifique de l’entreprise, et d’autre part la question de savoir quelles démarches permettent d’optimiser le recueil, le traitement et l’utilisation des réclamations clients.

Pour un certain nombre d’entreprises, et très souvent pour celles qui sont en position de leader sur leur marché, ces enjeux de satisfaction et plus largement de relation client sont adressés sur des partis-pris « volontaristes ». Vous dites en substance que ce volontarisme ne suffit pas, qu’il faut mettre plus de rationalité sur ces sujets ?

Oui. Répétons-le : dans le contexte dans lequel évoluent aujourd’hui les entreprises, démontrer la rentabilité de ces actions est devenue une absolue nécessité si l’on veut convaincre. La meilleure preuve, c’est que nous sommes de plus en plus sollicités pour intervenir devant des comités de direction afin de fournir des éléments extérieurs et scientifiques sur cette problématique. Car en ne le faisant pas, les équipes concernées s’exposent à subir des cercles vicieux, en devant régulièrement faire des économies au risque de perdre toute cohérence d’action. C’est ce qui nous a incités à réaliser un état des lieux des connaissances scientifiques, de sorte à apporter la preuve que la rentabilité est possible -à condition d’accepter d’investir réellement dans la compréhension des phénomènes et de sortir des solutions toutes faites ! Mais la rentabilité -potentiellement très forte- est à ce prix.

Ces enjeux de marketing relationnel concernent un grand nombre d’acteurs dans les entreprises, et pas uniquement les spécialistes des études au sein de celles-ci. Si vous étiez à leur place, que feriez-vous en priorité ?

Ce que nous observons avant tout dans les entreprises, c’est la tyrannie du court terme. Il ne faut pas y voir la faute de telle ou telle catégorie d’acteur économique : c’est inscrit dans les gènes du capitalisme financier. Dans ce contexte, la question de l’expérience client est paradoxale : chacun reconnaît qu’il s’agit d’une priorité absolue pour éviter d’être sorti du marché, mais au moment de décider, on en revient systématiquement aux contraintes à court terme vis-à-vis de nos actionnaires et/ou des marchés financiers. Or ce qui marche à très court terme, c’est avant tout la réduction des coûts ainsi que les campagnes marketing tous azimuts, le tout accéléré par la digitalisation de l’économie et les outils CRM. Cette contradiction entre priorité client et tyrannie du court terme amène inéluctablement les entreprises à faire ce que j’appelle du « Customer Washing » : on repeint la façade à coups de clients histoire de faire bonne figure, mais en même temps on pressurise par exemple les équipes du service client afin de baisser les coûts… La meilleure preuve de l’existence d’un simple Customer Washing ? Le manque de cohérence entre les KPI (ex : nombre d’appels passés à l’heure) et les discours (« le client est au cœur de nos préoccupations ») !

Or comme le montre l’ensemble des recherches à ce sujet, et comme l’affirment même depuis peu les gestionnaires des fonds les plus puissants au monde, cette obsession du court terme détruit de la valeur pour l’actionnaire à moyen et long terme. Jeff Bezos ne dit pas autre chose dans sa lettre annuelle aux actionnaires d’Amazon : privilégier ses clients est la meilleure façon de privilégier ses actionnaires. Par ailleurs, et là aussi les recherches sont unanimes, il faut savoir que les nouvelles générations ne sont pas dupes de ce Customer Washing : stopper ce genre de comportement devient ainsi une question de survie.

Dans ce contexte, la première chose consiste donc à démontrer aux dirigeants et aux équipes, chiffres crédibles à l’appui, la rentabilité d’une « bonne » politique de relation client. Et surtout à faire preuve de pédagogie afin que les dirigeants comprennent les mécanismes qui régissent cette rentabilité : notre expérience montre que lorsqu’un comité de direction s’est véritablement approprié ces raisonnements, il y a clairement un « avant » et un « après ». A ce titre, un détail (!) issu d’une recherche récente apporte un argument intéressant : il a été montré, sur un large panel d’entreprises, qu’améliorer la satisfaction client contribue certes à une meilleure rentabilité, mais aussi à une meilleure rémunération du dirigeant…

C’est ce qui s’appelle un effet collatéral heureux !

En effet ! Deuxième constat : Grâce aux nouvelles techniques de recueil digitales et afin d’optimiser l’efficacité de chaque silo, nous multiplions les mesures à chaud (satisfaction, NPS, CES…) dédiées à une partie seulement de l’expérience client (boutique, SAV, etc.). Rien à redire à cela dans un contexte de management des équipes -ou presque : demandez à vos clients s’ils aiment être interrogés 10 fois par jour… Mais pour autant, ces études ne mesurent en rien « l’expérience client », c’est-à-dire « tout ce qu’un client fait, ressent, pense et raconte durant l’intégralité de ses interactions directes et indirectes avec une organisation » (voir p. 144 de l’ouvrage). Or cette méprise de plus en plus répandue est très grave, car une somme de mesures verticales (silos internes) ne donne en aucun cas une vision réaliste de l’expérience client, c’est-à-dire du « voyage » complet du client ! On se gargarise donc de NPS ou de « % de très satisfaits » silo par silo, et l’on en oublie le sens initial, c’est-à-dire que l’unique chose qui compte en termes de rentabilité, c’est la vision qu’a notre client de son voyage… En complément du « à chaud par silo », il est donc impératif de construire des instruments de mesure fiables et valides de l’ensemble de l’expérience client, et surtout que ceux-ci soient utilisés au sein d’une approche claire et structurée de l’experience-profit chain.

Troisième et dernier constat, quitte à nous répéter : ce n’est pas parce que notre culture nous amène à considérer les réclamations clients comme un mal inéluctable qu’on doit passer sous silence leur rôle central en termes de rentabilité. Là aussi, tout part du sens : pour parodier l’adage de l’AMARC (Association pour le MAnagement de la Réclamation Client – http://www.amarc.asso.fr/), la réclamation ne serait-elle pas une pépite plutôt qu’un pépin ? Une fois de plus, il va d’abord falloir prouver la rentabilité d’une bonne gestion des réclamations (cf. le Complaint Model). Et l’on s’apercevra que le problème ne vient sans doute pas d’une mauvaise gestion des réclamations, mais d’abord d’un refus de les voir, de les entendre et de les accueillir. Vaste programme culturel !


 POUR ACTION 

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