(Micro)portrait : Laurent Butery, responsable des Etudes Panels chez Lactalis

12 Nov. 2015

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Et si, histoire de changer un peu, on tournait les projecteurs vers les acteurs les plus discrets de la recherche marketing, ceux qui ont fait le choix de travailler au sein des entreprises, « chez l’annonceur » pour reprendre la formule consacrée ? A la fois pour mieux connaître leurs profils, leurs motivations à exercer ces fonctions, mais aussi leur vision quant aux enjeux de cet univers
C’est le parti-pris de ces micro-portraits, dont nous reprenons le fil avec l’interview d’un acteur particulièrement expérimenté, Laurent Butery, aujourd’hui responsable des Etudes Panels chez Lactalis. 

 

Thierry Semblat (MRNews) : Vous travaillez aujourd’hui chez Lactalis. Quelle est plus précisément votre fonction ?

Laurent Butery : Depuis quelques mois, je suis en effet responsable des études panels chez Lactalis, qui est le premier groupe laitier mondial. Je travaille au sein de la structure Etudes globale du groupe, avec deux missions principales. Celle de garantir la fiabilité des données, en tenant compte du fait que celles-ci proviennent pour partie de marchés comme la France où les outils sont parfaitement matures, mais aussi de zones comme l’Afrique ou l’Asie qui requièrent un travail particulier. Ma seconde mission consiste à dégager et formaliser les insights provenant des différentes études, qu’il s’agisse des données et des analyses provenant des panels ou des études de type « shopper »

Quelles sont les grandes lignes de votre cursus professionnel ?

J’ai effectué la quasi totalité de mon parcours dans des fonctions marketing. Dans des fonctions opérationnelles chez Nestlé puis chez Maison du Café. Puis à des postes Etudes, chez SC Johnson et au sein du groupe Carlsberg ou j’étais directeur de l’entité « Consumer and Shopper Insight ». J’ai également fait un passage dans l’enseignement au sein de l’ESSCA, où j’étais responsable du département Marketing.

Vous avez travaillé dans des fonctions études exclusivement chez l’annonceur. Il s’agit d’un choix délibéré de votre part ?

Oui, tout à fait. Je suis très attaché à ce rôle d’accompagnement associé à la fonction, auprès des équipes du marketing opérationnel ou stratégique, de l’innovation, du commercial. J’apprécie beaucoup ce rôle de conseil interne, qui s’appuie sur les études pour influencer les décisions dans le sens de la plus grande pertinence possible. Je pense qu’il est beaucoup plus facile de jouer celui-ci en travaillant dans l’entreprise, en étant immergé au sein des équipes. Il est essentiel de parfaitement connaître les enjeux de l’entreprise.

Votre formation est celle d’un marketeur « pur-jus » ?

Pas tout à fait. Je suis titulaire d’un master en Marketing en effet, mais aussi d’un DESS de psychologie, avec une spécialisation sur les enjeux de psychologie du travail, d’organisation, et d’ergonomie. J’ai même démarré mon cursus professionnel dans ce domaine des Ressources Humaines.

Qu’est ce qui vous a fait bifurquer vers le marketing ?

Dans le cas des RH, comme dans le cas du marketing, il s’agit de mieux comprendre comment motiver un individu. A l’époque, j’ai opté pour le métier qui me semblait le plus créatif et j’ai découvert l’univers du marketing, grâce à un ami qui avait également ce background en psychologie, j’ai pris conscience que l’on pouvait utiliser des compétences ou des outils que je m’étais appropriés, mais en ayant un pouvoir d’influence sur la gestion des entreprises ou des marques. Et cette perspective-là me paraissait intéressante.

Qu’est-ce qui vous plait le plus dans cette fonction ? C’est ce pouvoir d’influence ?

Il y en effet le sentiment d’une grande liberté, de jouer un rôle qui est parfois de l’ordre du contre-pouvoir, en recul par rapport à des marketeurs qui sont fortement investis dans leurs projets et ont le devoir de les vendre dans l’entreprise. S’ajoute à cela la motivation d’être la voix des consommateurs, naturellement, ce qui rend ce contre-pouvoir légitime et utile pour l’entreprise. Le troisième point que j’ajouterai tourne autour de la notion de veille. Si l’on veux devenir leader sur un marché, il y a une obligation à comprendre en permanence ce qui s’y passe, à anticiper. On doit donc toujours être à la recherche de méthodes nouvelles, plus inspirantes pour la création de valeur.  On se retrouve ainsi avec une logique d’action très proche du planning stratégique.

Quelle a été votre expérience la plus forte jusqu’ici ?

Le poste que j’ai occupé chez Carlsberg était particulièrement passionnant. C’est en partie lié au fait que l’entreprise traversait une période compliquée (du fait d’un rachat), avec pas mal de turbulences. Cela engendrait naturellement de la douleur, des tensions, mais aussi la nécessité de bien comprendre ce qui se passait, de travailler avec des bases saines et des outils innovants. Il était extrêmement important d’avoir le bon recul par rapport à la performance des marques, et d’aller ainsi au fond des choses dans un temps réduit.

Des rencontres ont-elles été particulièrement décisives dans votre parcours ?

Oui, tout à fait. De manière générale, je pense que la première partie de carrière est très structurante de la vision que l’on se fait du métier. Cela s’applique à mon cas personnel en tout cas. J’ai eu la chance en particulier de faire mes premiers pas chez Nestlé, avec quelqu’un comme Philippe Nahon, qui m’a beaucoup appris sur le plan de la rigueur, sur l’importance de la qualité des méthodologies. Hervé de Froment, qui était à l’époque directeur marketing et commercial chez Nestlé, a également joué un rôle très important. Il m’a aidé à comprendre en quoi et comment un processus études peut impacter un business. Cela a été déterminant dans ma vision du métier. La décision que j’ai prise il y cinq ans de me consacrer à l’écriture d’une thèse m’a également amené à effectuer une autre rencontre clé, celle avec le monde de la recherche universitaire.

Quel est le thème de votre thèse ? Et qu’est-ce qui vous a incité à aller à la rencontre de ce milieu ?

Ma thèse porte sur l’enjeu du Cross-Canal dans la distribution. La décision de m’y consacrer est venu d’un constat, ou disons d’une impression : celle d’une forte consanguinité du marketing, à la fois du point de vue des équipes et des méthodes. Le risque inhérent à cela, c’est celui de pédaler dans le vide, de ne plus avancer. Ma motivation était donc de découvrir des idées nouvelles.

Le monde des études vous parait insuffisamment connecté avec celui de la recherche ?

Mon sentiment est que les instituts ont parfois des liens assez étroits avec l’univers de la recherche. Ils font cette démarche consistant à se plonger dans les réflexions issues de ce milieu, et de concevoir des outils permettant d’exploiter celles-ci de façon accessible. Ils font des choix parmi les méthodes naturellement, mais cela aboutit à des solutions potentiellement intéressantes pour les annonceurs. Mais faut-il pour autant se couper de cet univers de la recherche lorsqu’on est côté annonceurs ? Je ne le crois pas. Ce n’est pas si facile, parce que le temps de la recherche et celui de l’entreprise diffèrent beaucoup. Mais je crois pour autant que ce n’est pas du temps perdu que d’avoir ce regard là, ne serait-ce qu’en lisant des revues telles que Décisions Marketing, Recherche et Applications en Marketing (RAM), Management & Avenir, la Revue Française de Gestion…

Quels conseils donneriez-vous en priorité à des jeunes tentés par la voie de la recherche marketing ?

La plupart d’entre eux passe par un cursus de type master, avec l’obligation de rédiger un mémoire. Je pense que c’est une excellente occasion pour commencer à se spécialiser sur un sujet, un type de problématique. C’est une opportunité à saisir pour se créer une expertise, avec la réflexion académique que cela suppose et la possibilité de rencontrer des acteurs intéressants. Et cela facilite bien sûr l’accès au marché du travail. Mon premier conseil est donc de ne pas hésiter à se spécialiser très tôt. Le deuxième serait de s’obliger à toujours être à l’affut de nouvelles idées, en assistant à des conférences ou en s’inscrivant en tant qu’auditeur libre à l’université par exemple. Le temps de la formation et de l’apprentissage ne doit pas s’arrêter avec l’obtention d’un diplôme.

Si vous aviez le pouvoir de changer quelque chose dans ce petit univers des études et de la recherche marketing, que feriez-vous ?

Il me semble que l’on assiste à une certaine simplification des débats et des idées, ce qui est dommageable à la pratique du marketing. En allant toujours plus loin dans le « moins de temps, moins d’argent », nous obtenons en retour des réponses de plus en plus simples, pour ne pas dire simplistes. Je crois qu’il est bon parfois d’accepter plus de complexité, et notamment le fait que les consommateurs peuvent avoir des aspirations contradictoires. Pointer ces contradictions peut mener à la découverte de leviers intéressants.

Un deuxième point gravite autour d’un enjeu auquel je suis particulièrement sensible, celui de la création de valeur. On assiste à de nouvelles formes de co-création de valeur. Avec la participation des consommateurs naturellement, mais plus largement de toutes les parties prenantes d’un éco-système. Sur les sujets qui sont les nôtres, cela comprend les fournisseurs, les distributeurs, les ONG, les pouvoirs publics, etc. Nous ne sommes sans doute encore qu’aux prémisses de ce phénomène, qui pose plein de questions comme celle de savoir comment redistribuer cette valeur co-crée ! Je crois qu’il y a là un véritable enjeu pour les gens d’études, qui auraient tout intérêt à mon sens à s’approprier ces modes de fonctionnement, à savoir les animer et les piloter.

Une dernière question enfin : quelle est votre vision de MRNews, et quelles sont éventuellement vos suggestions quant aux évolutions possibles ?

Ce n’est pas de la flagornerie mais j’ai le sentiment que c’est une belle réussite, c’est devenu le hub des études. Dans un contexte où, en tant qu’annonceur, il nous est impossible de rencontrer tout le monde, c’est un support qui permet d’accéder rapidement à un large spectre d’informations et de réflexions. C’est une vraie vitrine de l’innovation dans le domaine de la recherche marketing. Cela permet bien sûr de découvrir des acteurs, mais aussi d’entendre des nouveaux points de vue y compris de personnes que l’on connaît déjà. J’ai été très intéressé par exemple par les propos récents de Luc Milbergue sur l’enjeu du taux d’échec des innovations et la façon d’avancer sur ce sujet. Ou bien encore par la vision que fait partager Mary le Gardeur sur les évolutions des compétences dans notre univers. Ce ne sont que des exemples bien sûr. En termes d’évolution, peut-être serait-il intéressant de faire en sorte que le contenu soit émis et partagé librement par un grand nombre d’acteurs, peut-être sous la forme d’un forum, mais j’imagine que ce n’est pas si facile à mettre en œuvre !


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Laurent Butery


 COMMENTAIRE(S) 

Catherine : Très intéressante interview et beau parcours ! J’ai particulièrement apprécié la partie où Laurent Butery parle de sa vision de la fonction études, « contre-pouvoir légitime et utile pour l’entreprise ». Et aussi son sentiment que l’on assiste en marketing à une « simplification des débats et des idées ».

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