Interview Alexis Bonis (B3TSI) - Quelles précautions avec les panels online

Et si l’on sortait le trade-off des oubliettes de la recherche marketing ? Interview d’Alexis Bonis Charancle, DG associé de B3 TSI

16 Oct. 2014

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Alors que la technique des trade-off (ou de l’analyse conjointe en version française) a longtemps été considérée comme parmi les plus intéressantes pour la recherche marketing, celle-ci semble néanmoins être tombée quelque peu en désuétude, en particulier auprès des plus jeunes praticiens des études. Et s’il y avait un réel intérêt à réintégrer cette technique dans la boite à outils des équipes Etudes, compte tenu à la fois de la puissance potentielle de ses éclairages et de l’opportunité qu’offre la généralisation des recueils via le web ? C’est la conviction que développe ici Alexis Bonis Charancle, DG associé de B3 TSI, dans le cadre de cette interview. 

Market Research News – Thierry Semblat : Le trade-off faisait partie des techniques « reines » des études il y a quinze ou vingt ans. Elle n’a peut-être pas complètement disparu des écrans radars des équipes Etudes, mais il semble quand même qu’elle soit de moins en moins utilisée. Partagez-vous ce constat, et si oui qu’est-ce qui explique ce phénomène selon vous ?

Alexis Bonis Charancle (B3 TSI) : Oui, je partage tout à fait ce constat d’un net recul de l’usage des trade-off.  Je crois que cela tient à un ensemble de facteurs. Sur le fond, cette méthode est puissante, mais elle implique certaines contraintes si on l’applique rigoureusement. Pour élaborer des plans d’expérience valides, il est notamment conseillé de n’introduire qu’un nombre limité de critères, 5 ou 6 dans l’idéal. Cela demande donc en amont une phase de réflexion qu’il n’est pas toujours facile de mettre en œuvre. On peut bien sûr, avec la méthode ACA, travailler sur un grand nombre de caractéristiques, mais il faut alors utiliser des gros échantillons, ce qui peut générer des coûts importants. Et l’on court le risque de se retrouver face à des résultats difficiles à interpréter. Par ailleurs, l’usage des trade-off demande parfois la mise au point de maquettes, de prototypes. Et cela représente bien sûr aussi un coût. Enfin, je rajouterai que d’autres méthodes « avancées » ont été mises en avant ces dernières années, grâce notamment à la percée du Data Mining. Je pense par exemple aux réseaux bayesiens et neuronaux. Cela a sans doute contribué à faire de l’ombre à la technique du trade-off.

Est-ce que le développement du recueil par téléphone – il y a déjà quelques années – n’a pas aussi contribué à ce moindre usage des trade-off ?

Vous avez tout à fait raison. Cela a certainement eu un impact important. Mais la roue tourne ! Et il est évident que la très forte diffusion du web dans la collecte des données ouvre des perspectives à nouveau très intéressantes pour le trade-off !

En quelques mots et à destination de ceux qui ne sont pas très familiers avec cette technique, comment en définiriez-vous le principe ?

La mécanique d’interrogation est très simple. Elle consiste à présenter à un échantillon d’individus un ensemble de propositions, des produits par exemple, qui se définissent par un nombre relativement limité de caractéristiques : par exemple pour un produit alimentaire une marque, un packaging, une recette, et un prix. Et on demande aux individus d’exprimer comment se hiérarchisent leurs préférences vis à vis de ces propositions, en les classant. On ne demande pas aux individus de se prononcer « directement » sur l’importance qu’ils accordent aux différentes caractéristiques, au prix par exemple. Mais grâce au plan d’expérience, qui permet de présenter différents niveaux de prix, et par l’analyse statistique qui est effectuée, on va pouvoir mesurer l’incidence du prix sur la préférence et le taux d’achat. On peut définir le produit idéal, c’est-à-dire la combinaison d’attributs qui maximise la préférence, donc potentiellement la part de marché.  On peut aussi chercher à optimiser le taux de marge si l’on sait associer un coût aux différentes caractéristiques produit. En résumé, on observe la façon dont les gens font des compromis, le prix étant souvent la variable d’ajustement majeure. Le trade off permet aussi, si l’on dispose d’un échantillon suffisamment important, de repérer différents segments de population, homogènes dans leurs critères de choix.

La technique est dans un sens très souple, puisque cette notion de combinaisons d’attributs peut s’appliquer à une immense variété de propositions. Mais où est la limite ? Dans le nombre de caractéristiques associées aux propositions ?

C’est en effet un point extrêmement sensible. On est souvent tenté d’introduire un grand nombre de caractéristiques, ce qui est problématique. Certaines sociétés proposent des techniques qui permettent soit-disant de s’affranchir au moins en partie de cette limite, mais cela amène à des découpages, pour ne pas dire à des « saucissonnages » (avec force usage de scenario dits « incomplets ») qui ne nous semblent pas souhaitables. La méthode d’origine, avec des scenarios complets, nous semble devoir être respectée pour obtenir des résultats fiables.

En présentant les propositions comme étant des combinaisons de caractéristiques, on met en quelque sorte celles-ci à égalité d’information pour le consommateur. Alors que dans la « vraie vie », on sait que le consommateur fait l’impasse sur certaines. Y compris sur le prix : je ne regarde pas toujours le prix de la bouteille d’huile que j’achète en faisant mes courses… Est-ce que l’on ne tombe pas ainsi, avec le trade off, dans le piège de sur-estimer la rationalité des choix des consommateurs ?

C’est pour cela que l’on utilise des maquettes, c’est-à-dire des produits tels qu’ils pourraient être dans un linéaire ou des services tels qu’ils pourraient être décrits sur un dépliant. La plupart des plans d’expérience sont composés de 16 scenario. Donc cela demande de concevoir 16 maquettes, ce qui peut être complexe et onéreux. En tous cas, ça l’était et ça l’est toujours pour les trade off administrés en face à face. Maintenant, avec les possibilités qu’offrent le web, c’est beaucoup plus simple.

Quelles sont les problématiques des entreprises pour lesquelles il vous semblerait particulièrement intéressant de ré-utiliser cette technique du trade-off ?

En réalité, je crois qu’elles sont très nombreuses. On peut bien sûr penser aux tests d’offre. Plutôt que de tester systématiquement toutes les nouvelles pistes d’offre, un trade-off permet de se faire une bonne idée de ce à quoi les consommateurs sont sensibles. Cela permet ainsi de rationaliser les études de produits ou de services. Cette technique est aussi fondamentalement intéressante pour mesurer la valeur et donc le prix des choses. Elle donne par exemple une idée tout à fait valable du différentiel prix cohérent entre le prix d’un produit de marque et son équivalent en marque distributeur. La réponse est claire quant à l’écart de prix à ne pas dépasser. On est pleinement dans la logique du compromis, ce qui est la traduction exacte du mot anglais trade off.  Dans un domaine que nous connaissons bien, celui de la santé, cette technique s’est aussi avérée très efficace pour évaluer le compromis que font les individus entre l’efficacité d’un médicament ou d’un traitement, et les éléments de risque associés à celui-ci.

Vous avez évoqué précédemment les problématiques de segmentation…

C’est juste. Avec un échantillon suffisamment conséquent, l’éclairage d’un trade off peut être des plus intéressants pour répondre à ce type de besoin, en ce sens qu’il permet de passer outre les limites classiques du déclaratif. On identifie ainsi la réelle proportion et les caractéristiques des individus hyper-sensibles au prix, qui sont souvent moins nombreux qu’on ne peut le penser à priori. J’évoquerai enfin les problématiques de « cost-reduction ». Toujours en vertu de cette mécanique dont nous avons parlée, le trade-off permet d’identifier des caractéristiques ou des ingrédients qui coûtent chers à l’entreprise, et que celle-ci peut donc éliminer ou dégrader sans préjudice pour sa part de marché. Ce sont néanmoins des dispositifs qui demandent une certaine expérience, car il faut surveiller de près la puissance du test. Au global, cette technique n’est bien sûr pas une recette universelle, mais elle mérite en tout cas dans bien des cas d’être considérée et examinée comme une véritable option, susceptible d’apporter des éclairages extrêmement puissants !


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Alexis Bonis Charancle

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