Depuis bien longtemps, sans doute même depuis que les études existent (qu’elles relèvent du marketing ou pas), les hommes de l’art se posent la question de savoir comment effectuer des mesures qui ne soient pas influencées par des variables d’environnement, la problématique étant majeure pour les domaines de l’alimentaire ou du parfum. En créant le premier laboratoire sensoriel pliable et transportable (The Lab In The Bag) l’institut Repères sort du registre habituellement dévolu aux sociétés d’études et apporte une réponse assez étonnante à cette problématique. Franck Saunier, directeur Recherche er Innovation de Repères, répond aux questions de Market Research News.
Market Research News : Il y a quelques semaines, vous avez lancé sur le marché les premières cabines sensorielles portables, sur la base d’un brevet mondial. Mais en fait qu’est ce qu’une cabine sensorielle, et à quoi sert-elle ?
Une cabine sensorielle, c’est avant tout un espace d’isolation sensorielle. C’est un espace neutre sur le plan olfactif, phonique, et visuel. Cette neutralité constitue une condition idéale pour appréhender les réactions d’un individu quand il découvre un objet, une senteur, un goût,… C’est ce qui permet de mesurer des réactions qui ne soient pas parasitées, « polluées » par l’environnement.
Et c’est donc ce que vous proposez, dans une version « portable » ?
Absolument. Concrètement, nous proposons une cabine qui, lorsqu’elle est pliée, tient dans une valise qui pèse 23 kgs. La cabine se monte en 4 à 5 minutes, montre en main, y compris pour un néophyte. Elle fait 1m50 sur 1m avec 1m90 de hauteur. On y trouve un pupitre, une chaise, une petite fenêtre « passe-plat ». Elle intègre les raccordements nécessaires. Et elle répond parfaitement à ce cahier des charges, avec une parfaite isolation sur le plan sensoriel. C’est vrai sur le plan phonique, mais aussi sur le plan olfactif puisque l’espace est désaromatisé en permanence avec un système de filtration de l’air ambiant et de purge. Mais cela s’applique également sur le plan visuel puisqu’il est de fait difficile d’accrocher son regard à quoi que ce soit. Idem pour la température et l’hygrométrie. L’espace est très silencieux, avec simplement le souffle quasi imperceptible des flux d’air. On dispose ainsi d’une bien meilleure maitrise de l’environnement que dans les conditions habituelles dites de laboratoire.
En réalité, est-ce qu’un espace peut-être parfaitement neutre ?
Non, vous avez raison. La neutralité absolue n’est pas concevable d’un point de vue pratique. Mais on peut s’en rapprocher le plus possible, ce que nous faisons là. Et surtout, et c’est bien l’immense avantage de cette innovation, on peut faire en sorte que cette neutralité soit aisément reproductible. On considère que si l’on veut avoir une analyse fine et juste des évènements qui ponctuent la découverte d’un objet, d’une senteur, d’un goût, il faut disposer pour cela d’un cadre, d’un espace infiniment reproductible et qui garantisse toujours un seuil de gestion. C’est le cas ici : cela sera toujours le même univers sensoriel. Cet objet permet ainsi d’atteindre une forme de perfection dans la gestion des plans d’expérience, dans une économie raisonnable et maitrisée.
L’objet est portable, je peux donc tester le même stimuli dans des conditions rigoureusement identiques à Paris, Tokyo ou Rio…
Exactement. Et cette notion de « reproductibilité » s’applique bien sûr aussi dans le temps. On pourra parfaitement comparer les résultats d’une expérience faite aujourd’hui avec celles qui seront faites dans dix ou quinze ans. En d’autres termes, on crée des conditions qui ont valeur de normes.
Vous disiez que la maitrise de l’environnement est supérieure à celle habituellement obtenue en laboratoire…
Oui. C’est vrai ne serait-ce que sur le plan de l’isolation acoustique. Dans beaucoup de laboratoires de test, les box ne proposent souvent qu’une faible étanchéité sur le plan visuel ou sonore. On voit et on entend les autres testeurs. Dit autrement, les conditions classiques sont à la fois imparfaites à un instant T ; elles ne permettent pas d’assurer cette reproductibilité que nous venons d’évoquer. Et elles sont cependant onéreuses. Nous n’avons pas évoqué le coût de nos cabines, qui est un point essentiel : nous arrivons à des prix qui sont de l’ordre de 15 K€ pour 4 cabines, ce qui est donc extrêmement faible.
Comment l’idée est-elle venue ? Qu’est-ce qui vous a poussé à chercher dans cette direction-là ?
Au fait, l’idée de ces cabines est née d’une nécessité. Repères est un institut qui est fortement présent dans le domaine des tests dit « organoleptiques », et qui est plus largement en pointe sur la prise en compte et la mesure des émotions. Ces tests requièrent des protocoles sophistiqués. C’est le cas pour les parfums par exemple, où il faut atteindre une très grande finesse dans les mesures. Nous sommes donc très sensibilisés à la difficulté à travailler sur la dynamique des perceptions des individus au moment de la découverte d’un nouvel objet, ou d’un stimuli. Si en plus, on intègre une multitude de stimuli environnementaux, on se retrouve dans une sorte de « bazar » des sens absolument innommable. Notre démarche a donc largement été inspirée par la volonté de faciliter le travail d’analyse : comment supprimer cette couche de complexité liée aux interactions avec l’environnement ?
En somme, l’idée est d’enlever le bruit de l’environnement ?
Exactement. Quand on enlève le bruit, il reste peu de choses, sauf que c’est précisément le signal intéressant à observer.
En termes d’application, ces cabines ont donc vocation à être utilisées exclusivement pour les tests organoleptiques ?
En termes d’études, il est clair que le domaine de l’organoleptique sera le champ privilégié. Nous allons offrir à nos clients, et aux clients de nos partenaires, un avantage considérable pour ce type de tests. Mais je pense néanmoins que cette neutralité sensorielle est intéressante dans un cadre d’études beaucoup plus large, qui inclus celui des tests de concepts. Nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer ensemble il y a quelques temps, et peut-être y reviendrons nous*. L’expression d’un concept passe par une forme, et engage donc les sens et l’émotion, et pas uniquement la « raison pure ». Mais en réalité, ces cabines intéressent bien plus d’acteurs que les seuls instituts d’études. C’est ce dont nous avons pu nous rendre compte lorsqu’elles ont été présentées pour la première fois au Brésil. Elles intéressent les grandes sociétés du domaine de l’alimentaire ou du parfum pour la fonction « recherche » de leurs laboratoires, pour la conduite de leurs tests et de leurs études. Mais nous avons également découvert un autre champ d’application, qui est le domaine de la mesure de la qualité. Pour ces entreprises qui travaillent dans ces univers de l’alimentaire ou de l’olfactif, il est essentiel de maitriser l’évaluation qualitative des produits en bout de chaine. Or il est tout à fait possible d’installer nos cabines en bout de n’importe quelle chaine de production.
Le marché des études marketing est donc loin de représenter l’essentiel des débouchés commerciaux ?
En effet ! Et j’allais oublier l’intérêt que manifestent d’autres acteurs importants, qui sont les grandes universités de formation sensorielle, qui veulent toutes s’équiper de ces cabines pour leurs laboratoires. C’est un enjeu très important, puisqu’il touche à la formation des ingénieurs de demain.
D’institut d’études, vous voilà donc embarqué sur le terrain de la conception et de la production industrielle… Ce n’est pas une expérience si commune !
C’est vrai, et cela constitue une des composantes parmi les plus passionnantes de cette aventure, qui n’aurait sans doute pas été possible sans l’ADN de cette société, où la dimension entrepreneuriale est essentielle. Mais je dois avouer que oui, il y a un côté assez jouissif à ne pas rester « que » sur le plan des « pures idées » et des concepts, et à s’aventurer ainsi dans le domaine des produits avec leurs dimensions physiques. Même si le paradoxe est que ce physique a précisément pour vocation de constituer du « neutre » !
POUR ACTION
• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Franck Saunier