Comment y voir (enfin) clair dans le parcours d’achat des consommateurs, digital compris. Interview de Nathalie Perrio-Combeaux (Harris Interactive)

24 Oct. 2013

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La montée en puissance du digital n’a fait que rajouter en complexité à une question déjà fort épineuse en soi, celle de la connaissance du parcours d’achat du consommateur (et donc de tout le processus qui le fait choisir une marque plutôt qu’une autre) et qui compte pourtant parmi les plus essentielles pour les acteurs du marketing. Comment ne pas se perdre face à cette complexité ? Quelles études marketing doivent-être mise en œuvre pour apporter une vision juste, précise et actionnable ? Nathalie Perrio-Combeaux, co-CEO d’Harris Interactive, nous livre ses convictions quant aux meilleures options pour y parvenir.

Market Research News : L’importance prise par le digital dans les parcours d’achat semble une évidence. Mais avez-vous des indicateurs qui objectivent cela précisément ?

Nathalie Perrio-Combeaux : Tout à fait. Nous avons une première vision via une étude de cadrage que nous réalisons sur un large spectre de produits et de services, avec une mesure du poids des différents points de contact (les fameux « touch points ») dans les processus d’achat. Pour être précis, cette mesure est déclinée selon les grandes étapes du parcours du consommateur. Schématiquement, on considère que la première étape est celle de la prise d’information du consommateur autour du produit/service dont il envisage l’achat. Elle inclut la définition du premier set des marques envisageables, celles qu’il va « considérer ». Dans un second temps, le consommateur procède à l’évaluation des différentes options possibles, la troisième étape étant naturellement celle de l’achat ou du report-abandon de l’achat. Pour cette dernière étape, le poids du digital va varier considérablement selon les secteurs. Ainsi le digital va être très présent pour les voyages, les produits culturels tels que les livres ou les DVD, ou bien encore pour certains biens technologiques. Pour d’autres catégories, les ventes se font encore massivement offline, mais le digital pourra être fortement présent dans la phase de recherche: c’est le cas par exemple pour la banque, l’assurance ou bien encore l’automobile. Les configurations sont réellement très variables, même au sein d’un même secteur mais sur des catégories de produits différentes.

Le off-line reste le canal de vente privilégié lorsque le consommateur a un fort besoin de réassurance par rapport au produit…

Oui ; cela s’applique bien pour l’automobile notamment. Mais d’autres paramètres peuvent intervenir. Pour les produits cosmétiques par exemple, le digital facilite la recherche d’information mais le passage en magasin spécialisé reste un réel moment de conseil, de plaisir et de tentation aussi; et il est donc privilégié pour une large majorité de consommatrices. Pour les produits technologiques « impliquants », le digital est très présent en amont, puis le besoin de réassurance incite le consommateur à aller en point de vente, à la fois pour voir ou prendre en main le produit et vérifier des aspects critiques (niveau d’encombrement …). Il se retrouve alors face à un vendeur qui peut lui apporter une information nouvelle et parfois le déstabiliser, ceci conduisant au report d’achat dans certains cas alors que tout semblait bien fonctionner. L’inverse étant vrai aussi. Et lorsque le consommateur va enfin avoir fait son choix, il peut tout à fait revenir à la solution du on-line, pour payer moins cher, gagner du temps, éviter de se déplacer …

Bonjour la complexité !

C’est évident. L’explosion du digital est venue bouleverser notre façon d’acheter et même de penser l’achat, en particulier dans les phases de prise d’information et de sélection. Nous sommes dans l’ère du cross canal, avec la réelle complexité de cet exercice imposé pour les marques : comment délivrer le bon message au bon moment en fonction de là où se situe le consommateur dans son parcours, et donc sur le bon canal ? Tout cela avec à la fois la bonne complémentarité et la bonne cohérence. Ce n’est effectivement pas simple, face à un consommateur de plus en plus averti, de plus en plus acteur et zappeur, et dans un contexte où la notion antérieure de « brand funnel » ne s’applique plus.

Qu’entendez-vous par là ? Qu’est-ce qui invalide cette notion de brand-funnel ?

A l’époque du mono-canal, les choses étaient beaucoup plus simples, les parcours étaient linéaires. En simplifiant, les consommateurs recevaient des informations des marques selon un mode « push » au travers des publicités ou des brochures, ils s’informaient éventuellement de l’opinion de leurs connaissances, allaient faire leurs recherches en magasin. Et ils passaient à l’acte d’achat. Aujourd’hui, dans un contexte de crise, le consommateur doit effectuer des arbitrages et se rassurer constamment sur ses choix. La logique dans son parcours d’achat suit des « méandres », met en place des processus beaucoup plus circulaires, à rebond, ponctués d’allers-retours, de phases actives et passives. Un autre effet important est la progression du nombre de marques prises en considération durant la phase d’évaluation. Dans le « brand-funnel » traditionnel, peu de marques étaient considérées : seules l’étaient celles qui avaient les moyens de faire de la publicité. Alors qu’aujourd’hui, des marques plus confidentielles, non présentes localement ont toutes leurs chances d’être connues avec un marketing viral efficace.

Comment les marques peuvent-elles y voir clair sur les règles du jeu propres aux catégories de produits sur lesquelles elles interviennent ?

Les marques doivent en effet dorénavant maîtriser et si possible influer sur le consommateur à diverses étapes de son parcours. Il nous semble qu’une première façon importante d’y arriver consiste à avoir une bonne vision du type de consommateur auquel elles ont affaire. C’est ce qui nous a incités chez Harris Interactive à dresser une typologie des consommateurs, à l’issue de laquelle nous avons pu identifier 6 grands types, dont le poids peut-être très variable selon les catégories de produits et les pays. Chaque type renvoie à une logique différente de parcours. Si l’on s’intéresse au domaine de la banque ou de l’assurance par exemple, on va trouver une forte proportion de sceptiques, qui se distinguent par une phase d’interrogation importante, et un besoin fort de ré-assurance. C’est une population différente des « routiniers » qui ont tendance à toujours acheter les mêmes produits, les mêmes marques dans les mêmes points de vente. On va également trouver des « rationnels », qui vont être méthodiques dans leurs recherches d’informations et ne pas se laisser influencer facilement ; des « spontanés » qui vont beaucoup fonctionner à l’instinct (proportion intéressante en produits hygiène/ beauté d’ailleurs). Ou bien encore des « affectifs », qui fonctionnent aux coups de coeur. Ce tableau général donne ainsi des indications précieuses pour les marques, en leur permettant de mieux identifier quelles sont les logiques dominantes pour leurs catégories de produits ou services. Mais dès lors que l’on veut se donner les moyens d’une vision très opérationnelle des parcours d’achat dans une catégorie donnée de produits ou de services, il faut passer à une étude ad’hoc.

Il est bien connu que ces études du parcours d’achat sont particulièrement complexes. Elles l’ont toujours été, compte tenu de la longueur des processus d’achat parfois, et aussi de l’incapacité des consommateurs à se souvenir de toute leur expérience. Le digital et les évolutions que vous venez d’évoquer ne simplifient absolument pas les choses… Quelles sont vos convictions clés quant aux meilleures options pour y voir clair ?

Vous avez tout à fait raison de souligner la complexité de ces études. Mais c’est précisément une problématique sur laquelle nous nous sommes beaucoup penchés, d’où cette typologie. Mais cela nous a également amené à développer un certain nombre d’approches complémentaires, dont un protocole mixte le ‘P to P’ ou Pathway to Purchase, qui repose sur deux principes clés : d’une part un suivi longitudinal du consommateur, tout au long du processus qu’il suit jusqu’à l’achat final ; et d’autre part la combinaison de différents modes de recueil qualitatifs et quantitatifs, actifs et passifs, pour observer et comprendre.

Comment le protocole fonctionne-t-il concrètement ? Imaginons que l’on s’intéresse au processus d’achat d’un PC…

C’est en effet un exemple tout à fait intéressant : l’achat est impliquant, et le processus relativement long et complexe. Concrètement, nous recrutons un certain nombre d’individus en cohérence avec les cibles définies par l’annonceur, qui envisagent un achat de ce type, et en tenant compte du fait qu’une partie d’entre eux renoncera à l’achat où le reportera dans le temps. Nous leur proposons de participer à notre protocole, ce qui suppose notamment de tenir un blog que nous mettons à leur disposition. Ils vont ainsi pouvoir nous raconter leur expérience avec toute la précision souhaitée, à chaque moment où il se sera passé quelque chose, où ils auront été exposés à des informations, des stimuli. Au-delà des faits, ils pourront partager leurs émotions. Nous sommes également amenés à les suivre en magasin lorsque cela s‘y prête, pour observer ce qu’ils font, avec les manipulations des produits que cela suppose, et les éventuelles interactions avec les vendeurs. Et nous allons naturellement procéder à quelques interviews individuelles pour comprendre leurs différents comportements.

L’idée est de définir les sous-titres du film qui se construit avec eux ?

C’est tout à fait cela ! Ces entretiens permettent en effet de compléter, d’expliciter ce que le consommateur a vécu, ou ce que nous avons observé. Cela nous permet d’éviter de faire fausse route dans l’analyse de son parcours, mais aussi d’établir une relation avec lui, pour que celui-ci soit intéressé à ‘alimenter’ l’étude. Le processus de recueil se clôt par un focus group. C’est souvent à ce moment là que l’on constate les décalages frappants entre le souvenir des consommateurs, et ce que nous avons tracé de leurs expériences notamment au travers des « murs » sur leur blog : le mur des marques, qui saisit la façon dont les marques sont venues s’inscrire dans l’histoire, et le mur des émotions qui ont été les leurs.

Cela suppose de recruter des consommateurs qui se plient à un protocole impliquant…

Les gens aiment que l’on s’intéresse à eux. Ils doivent en particulier accepter de tenir un blog, et éventuellement d’être suivi en magasin. Mais en réalité, ils n’ont rien d’atypiques, et nous retrouvons bien une grande diversité de profils parmi les participants.

Ce protocole permet d’appréhender les clés dans le processus, celles que la marque devra utiliser pour convaincre le consommateur. Mais permet-il d’avoir un diagnostic sur la façon dont la marque « performe » comparativement aux concurrents ?

Oui, absolument. Dans le cadre de ce protocole qualitatif, il permet de disposer d’une quantité assez impressionnante de matériaux, et de voir ainsi comment chaque marque se comporte au fur et à mesure des différentes étapes. On va ainsi repérer par exemple telle marque dont le marketing digital est particulièrement incitatif, ou telle autre pour laquelle les argumentaires vendeurs sont efficaces. Plus largement, nous pouvons ainsi mettre les actions des différentes marques (marketing push) en regard des effets produits sur les consommateurs. Cela donne ainsi une vision du ROI de ces actions, avec une vision très fine de ce qui fonctionne bien et de ce qui mérite au contraire d’être optimisé. Sachant que par ailleurs, nous proposons également des approches quantitatives complémentaires, qui donnent des éclairages tout à fait précieux sur cette dimension de ROI et permettent de modéliser les parcours d’achat.

En quoi consistent ces approches quantitatives ?

Nous mettons en place des panels dédiés, avec plusieurs centaines de consommateurs pour une problématique donnée. Dans ces cas-là, nous n’allons pas fonctionner avec des blogs, mais par questionnaires itératifs sur tous devices (PC, tablettes, mobile). Grâce à nos solutions « M-diary », nous mettons à leur disposition une application mobile pour qu’ils puissent tenir un journal de bord électronique, et afin qu’ils puissent ainsi nous injecter les matériaux correspondant à leur expérience avec les différentes marques. Et en complément de cela, nous procédons à des mesures passives. Avec l’accord des panélistes, nous mettons en place des tracers sur leur ordinateur, ce qui nous permet d’obtenir des renseignements précieux comme l’identification des sites et pages web qu’ils ont fréquentés (concernant l’étude) et le temps qu’ils y ont passé. Là encore, ces constats sont nécessaires, mais ils n’expliquent pas tout : la confrontation entre ces données passives et le déclaratif des consommateurs est indispensable pour y voir clair. Sachant que par ailleurs, nous sommes capables de qualifier le type de consommateur (cf notre typologie) auquel ils appartiennent.

Pouvez-vous nous donner des ordres de grandeur sur le coût de ces approches ?

Pour une étude qualitative de type Pathways to Purchase, le budget est naturellement variable selon les besoins de l’annonceur, mais la fourchette est globalement de 20 à 50K€. Ce sont des études dont le ROI est assez exceptionnel, compte tenu de la nature de ce que l’on apprend et des enjeux concernés. Elles permettent à la fois de prendre un certain recul par rapport à la façon dont fonctionnent les consommateurs pour une catégorie de produits ou de services donnée, mais aussi d’avoir un regard précis sur les actions de la marque, avec ce qui fonctionne et ce qui doit être optimisé.

Et pour une marque qui n’aurait qu’un budget études particulièrement restreint : quelles seraient les approches à privilégier ?

La connaissance du poids du digital dans les différentes phases que nous avons évoquées est un enseignement peu onéreux, de même que la détermination du poids des différentes typologies. Une façon intéressante de travailler peut aussi consister à mettre en regard le calendrier des actions de la marque et ces grands temps forts avec les effets produits sur les consommateurs, que nous pouvons enregistrer via nos omnibus. Tout cela peut être fait dans des enveloppes de coûts réellement raisonnables comparativement aux enjeux marketing. Nous réalisons aussi actuellement des séries d’études de cadrage sur les parcours d’achat, la dernière en date concerne les produits hygiène/ beauté avec la vente de back datas. 


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Nathalie Perrio-Combeaux

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