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Qu’est-ce que le design peut apporter aux études marketing ? #1 – La vision de Diouldé Chartier-Beffa (D’Cap Research)

15 Juil. 2013

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La psychologie, l’ethnologie, la sémiologie, les statistiques,… A l’évidence, la capacité à intégrer des disciplines diverses et variées figure en bonne place dans les composantes génétiques majeures de l’univers des études marketing. Et le design fait manifestement partie des domaines de compétence qui suscitent aujourd’hui un engouement croissant auprès du public des « marketing researchers ».
Mais quelle est la raison de cet intérêt ? Qu’est-ce que le design peut apporter aux études marketing ? Ce sont les questions que nous avons posées à Diouldé Chartier Beffa, dirigeante et fondatrice de D’Cap Research, une jeune et petite structure qui a récemment pris l’option d’intégrer cette compétence.

Market Research News : Intégrer une compétence ‘Design’ au sein d’une petite structure dédiée aux études marketing est un parti-pris fort. Qu’est ce qui vous a motivé à prendre cette option ?

Dioudé Chartier-Beffa : En réalité, il s’agit bien d’une double motivation. La première est assez évidente : il est naturellement intéressant d’utiliser la compétence design au moment de la restitution des études, au travers de ce que l’on appelle la datavisualisation. Mais le design nous apporte également beaucoup au moment de l’analyse, et donc dans le contenu même de notre métier.

Quel a été l’élément déclencheur de cet intérêt ? Comment avez vous découvert en particulier l’apport du design dans les phases d’analyse ?

Cela s’est fait un peu par hasard. L’an dernier, j’ai demandé à Ben Chartier, qui est designer, de réfléchir à une charte graphique pour présenter notre Observatoire Système D, une étude en souscription que nous avons menée sur les stratégies de débrouille des Français depuis la crise. Pour s’imprégner de l’étude il a participé dès l’amont au dépouillement des résultats. Nous avions délibérément organisé celui-ci selon un mode collaboratif, avec des personnes issues de différentes disciplines. Le processus intégrait des séminaires d’interprétations collectives, intercalés entre les séquences d’analyse individuelle des différents pans de l’étude menées par nos qualitativistes. Dans ce contexte, j’ai été frappée par ce qu’un regard qui a été formé par le geste, le signe, la forme, la couleur, la géométrie des choses pouvait apporter à l’intelligence des données et des situations. C’est une forme de perspicacité et de sensibilité qui manque à l’analyse uniquement fondée sur le « logos » – le verbe – qui prévaut en quali. Du coup je me suis dit que le design devait absolument être intégré au cœur de notre métier d’analyse, dès l’amont. Après le QI (quotient intellectuel) on a inventé le QE qui reflète l’intelligence émotionnelle ; on devrait aussi créer le QS, le quotient sensible !

Vous avez évoqué l’apport du design au moment de la restitution. Partagez-vous le sentiment que les annonceurs sont de plus en plus sensibles à la qualité de cette phase-là ?

La question de la restitution des données quali, qu’elles viennent du web ou du quali classique, est en effet devenue un enjeu stratégique. Notre métier de qualitativistes est d’accéder à la complexité, de structurer le flou, l’incertain, l’inconnu, pour le rendre lisible et le transmettre afin qu’il soit transformable en décisions pour l’annonceur. Or les rapports quali s’arrêtent au milieu du gué : ils restent eux-mêmes complexes, et nécessitent un temps de digestion que le décideur n’a plus. Avec la quantité d’informations qui bombardent nos clients, et qu’ils doivent traiter pour décision en un temps toujours raccourci, les gros rapports powerpoint ne sont souvent plus très adaptés. La perspective d’une présentation d’étude est un pensum, relire le rapport a posteriori est une souffrance pour les gens d’étude. Quand aux Directeurs marketing, au-delà de 2 pages de « toplines » ils décrochent ! Et ils ont raison. C’est une question de préservation de leur « santé neurocognitive », si je puis dire ! Pour réduire la complexité et la rendre métabolisable sans l’aplatir, il faut passer par les circuits sensoriels du cerveau, infiniment plus rapides et plus agréables à utiliser que le cortex (la partie qui raisonne). Le design dynamique, qui associe le visuel et l’action (je clique, il se passe quelque chose que je vois immédiatement et qui m’informe) utilise ces circuits-là.

L’enjeu n’est quand même pas tout à fait le même selon qu’il s’agisse d’une démarche qualitative ou d’une étude quantitative ?

D’une certaine façon, le problème est peu moins aigü dans le domaine du quantitatif : le chiffre est déjà une réduction formidable de la complexité ! Mais avec la limite que l’on sait : il faut connaître à l’avance les réponses pour les mesurer. Or dans la mutation accélérée à laquelle nous sommes confrontés, le monitoring de l’incertain, de ce qui n’est pas déjà défini et nommé, est plus que jamais nécessaire pour progresser. C’est le boulot du quali.

Mais les frontières bougent ! Avec le quali disponible dans des quantités massives sur le Web des conversations, le quali peut aujourd’hui donner des mesures quantitatives, qui permettent aux décideurs d’asseoir des décisions sur des données encore plus complexes (car encore moins normées qu’en quali sollicité), mais aussi plus solides car plus hiérarchisables. Ainsi l’enjeu est décuplé par la complexité et le nombre, mais les possibilités techniques le sont aussi : nous entendons bien les utiliser au service de nos clients !

La couche « datavisualisation » peut représenter un coût important. Ce coût est-il facilement compatible avec l’économie propre des études qualitatives ?

Vous avez raison, l’enjeu de la datavisualisation  peut aussi se traduire en termes économiques, qui est le point noir du quali. C’est un gros investissement, certes, mais à terme elle permettra des gains de productivité considérables, à la fois dans la façon de le produire (finies les heures de rédaction et de mise en page !) et dans l’efficacité de sa transmission au commanditaire. Aujourd’hui nous sommes obligés de dissocier le workshop stratégique de la présentation des résultats d’études, car celle-ci prend déjà beaucoup de temps. Demain, DCAP devra pouvoir donner au directeur marketing ou innovation, en quelques touches sur une tablette, les moyens  de clarifier sa vision. Les réunions chez le client seront plus intéressantes et plus créatives car ne serviront plus à absorber l’information pendant 3 heures, mais à partager les idées et prendre la décision ou l’orientation qu’il faut.

Quels sont les premiers chantiers pour lesquels vous avez mobilisé cette compétence ?

Nous avons réalisé une première maquette interactive des résultats de l‘Observatoire Système D. C’est ainsi qu’avec 4 ou 5 pages web, nous sommes arrivés à dire l’essentiel de cette étude qui tient par ailleurs dans un rapport de 150 pages word et une présentation ppt de 70 pages !

Pouvez-vous évoquez d’autres chantiers pour lesquels cette compétence devrait être fortement mise à contribution ?

Le chantier design de cette année sera concentré sur Net-Conversations, notre outil d’analyse des conversations spontanées sur le web social. Pour faire écho au point que nous avons évoqué précédemment, il s’agira bien de passer de la visualisation ad hoc de chaque étude, à l’automatisation d’une grande partie du rendu, de façon à ce qu’il ne nous reste, à chaque étude, qu’à nous concentrer sur l’unique, l’irréductible, bref la pointe fine de la valeur ajoutée.

Et l’année prochaine, notre grande ambition est de systématiser une visualisation de toutes les études qualitatives. Ca va demander pas mal de recherche fondamentale, car trouver les invariants de la pensée dans ce qu’il y a de plus ad hoc – le quali – puis leur donner une forme visuelle est une gageure. Masi l’enjeu est énorme, pour les annonceurs et pour toute la profession. Encore une fois, c’est sa traduction économique que je vise : moins cher et plus actionnable pour les clients, moins douloureux et plus rentable pour nous !

Vous auriez pu faire le choix de recourir à des compétences « design » via des prestataires externes. Pourquoi avoir fait le choix d’internaliser cette compétence ?

C’est bien l’expérience qui nous a naturellement mené à cette option. Nous avons commencé à fonctionner selon ce mode de prestation externe. Et c’est chemin faisant, en réalisant à quels multiples titres elle est stratégique que nous avons décidé de l’internaliser.


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Diouldé Chartier-Beffa

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