Les études exploratoires ne sont certainement pas en perte de vitesse aux yeux d’Inès Bizot (June Marketing). La demande, telle qu’elle l’entrevoit, est même au contraire en nette progression depuis le coup d’arrêt provoqué par la crise du Covid. Mais les besoins des entreprises ont beaucoup évolué : l’attente d’opérationnalité est devenue centrale, obligeant à repenser en profondeur la manière de conduire ces démarches — et de les prolonger. Elle partage ici sa vision et ses convictions sur le sujet.
MRNews : Les échos sont contrastés s’agissant de la demande d’études exploratoires de la part des entreprises… Quand est-il de votre côté ?
Inès Bizot (June Marketing) : Nous n’avons jamais réalisé autant d’études exploratoires que depuis 1 an ! Il est vrai que la demande s’exprime très diversement, et pas nécessairement sous ce terme. Il y a bien sûr eu un coup d’arrêt pendant la crise du Covid et les mois qui ont suivi, celle-ci ayant incité les marques à beaucoup se tourner vers des études tactiques, court-termistes. Mais celles-ci ne peuvent pas s’enfermer bien longtemps dans cette logique, elles ont régulièrement besoin de comprendre plus en profondeur l’environnement dans lequel elles évoluent. Et ce d’autant que les marchés sont bien plus mouvants qu’hier. Les tendances se renouvellent en permanence. Dans des domaines comme l’alimentaire ou la cosméto, une marque est très vite dépassée si elle n’actualise pas sa vision.
Nous n’avons jamais réalisé autant d’études exploratoires que depuis 1 an !
Vous soulignez la diversité des demandes. Mais, au fond, qu’est-ce qu’une étude exploratoire ? Qu’est-ce que cela n’est pas ?
En termes descriptifs, techniques, cela peut recouvrir une large palette d’approches… Il peut s’agir d’études purement qualitatives ou quantitatives pourquoi pas, ou de mix quali-quanti. Mais aussi de social messaging, de planning stratégique… Il me semble que la démarche se définit d’abord et avant tout par un état d’esprit, une posture mentale. À un moment donné, l’entreprise veut prendre le temps d’observer ce qui se passe sur son marché, et écouter celui-ci en acceptant de se remettre en cause s’il le faut. Et ce non pas pour le seul plaisir de savoir ce qu’il en est, mais pour élaborer un plan de marche pertinent en fonction de cette observation.
Il me semble que la démarche (exploratoire) se définit d’abord et avant tout par un état d’esprit, une posture mentale. À un moment donné, l’entreprise veut prendre le temps d’observer ce qui se passe sur son marché, et écouter celui-ci en acceptant de se remettre en cause s’il le faut. Et ce non pas pour le seul plaisir de savoir ce qu’il en est, mais pour élaborer un plan de marche pertinent en fonction de cette observation.
Une démarche exploratoire a en réalité deux fonctions. Historiquement, elle est un peu une « boussole ». Elle a vocation à éclairer le chemin sur lequel l’entreprise va pouvoir avancer. Mais la seconde fonction, qui a pris une importance considérable ces dernières années, est de permettre à l’organisation de se mettre en marche.
La connaissance a pour rôle d’éclairer l’action. Mais, ce que vous dites, c’est qu’il n’y a plus deux temps distincts, l’action est intégrée dans la démarche ?
C’est exactement ça. Ce sont des études fondatrices, elles ont vocation à marquer durablement les esprits en apportant une nouvelle façon de se représenter son environnement. Elles ne sont pas nécessairement définies comme exploratoires en tant que telles au départ, mais elles conduisent à des changements structurants. C’est le cas d’une étude que nous sommes en train de terminer, qui se veut très orientée « shopper », pour une marque alimentaire qui s’interroge sur les rayons de demain dans les grandes surfaces. Nous avons apporté une première couche de réponses sous cet angle, mais aussi des insights qui transforment la façon d’appréhender le marché, les rayons et leur périmètre. L’éclairage est riche, structurant, au point que l’on nous demande d’effectuer trois présentations, dont une en comex. C’est l’exemple même d’une démarche passionnante à réaliser tellement son utilité est évidente, et qui fait bouger les lignes. C’est en réalité à cela que l’on reconnait une étude exploratoire réussie, et donc à sa capacité à embarquer les parties prenantes dans l’action.
C’est en réalité à sa capacité à faire bouger les lignes dans l’entreprise que l’on reconnait une étude exploratoire réussie, et donc à sa capacité à embarquer les parties prenantes dans l’action.
L’époque est révolue où les investigations exploratoires pouvaient être très riches intellectuellement, mais rester trop difficiles à exploiter sur le plan opérationnel.
Si l’on remonte à quelques années en arrière, l’output le plus classique d’une étude exploratoire ressemblait plus ou moins à une bible…
S’agissant des outputs, nous sommes très attachés au fait de mettre en récit les learnings, à pouvoir raconter des « histoires » avec un début, un milieu et une fin qui correspond souvent à la proposition marketing.
Mais ce que vous évoquez me semble très juste. Cette extrême diversification des outputs fait partie des évolutions clés. Il peut s’agir de sessions de workshops en interne, de books d’inspiration pour bien mettre en évidence des ambiances, des territoires envisageables. Ou même pourquoi pas le briefing d’agences de communication ou de merchandising, lorsque l’entreprise souhaite qu’il y ait la moins grande déperdition possible dans l’exploitation des éclairages de l’étude. Cela illustre là encore à quel point ces nouvelles exploratoires sont orientées vers l’action.
Le corolaire de ce phénomène est que, plutôt que de zoomer dans tous les sens pour dégager une connaissance exhaustive, on va partir d’un angle, d’une intention, pour obtenir ainsi une représentation dynamique sur un enjeu clé.
Cela vous a-t-il amenés à beaucoup évoluer dans la façon de mener ces études exploratoires, ou dans la nature des compétences à réunir?
L’importance de cet enjeu du partage de l’information au sein des équipes nous a encouragés à beaucoup travailler sur la visualisation des données et des résultats. Et en particulier à solliciter les compétences de data-design dont nous nous sommes dotés pour optimiser les supports. Ceux-ci, bien souvent, ne se limitent pas à des powerpoints. Nous pouvons intégrer la création de vidéos, d’autant qu’il est possible aujourd’hui de faire des choses superbes avec l’Intelligence Artificielle, dans des enveloppes budgétaires extrêmement réduites.
L’importance de cet enjeu du partage de l’information au sein des équipes nous a encouragés à beaucoup travailler sur la visualisation des données et des résultats.
Nous l’évoquions, la composante Activation est également devenue essentielle. Lorsqu’il y a un enjeu fort d’embarquer l’interne, nous proposons de mettre en œuvre des workshops. Ces sessions de travail — que nous dénommons « de l’insight à l’action », avec des jeux de rôle, des brainstormings — sont très efficaces ! Il est bien sûr possible de « doser » cette démarche en fonction des besoins de nos interlocuteurs.
J’ajouterai que ces évolutions nous amènent souvent à aller très loin dans nos recommandations. Nous pouvons le faire du fait de certains partis-pris « historiques » chez June, dont celui de recruter des profils ayant une très solide expérience marketing. Je pense par exemple à Sylvie Cohen, dont le background apporte énormément à nos clients lorsqu’il faut mener une U&A et établir une segmentation. Nous pouvons aussi nous appuyer sur des experts du planning stratégique. Ce qui nous permet notamment d’élaborer des plateformes de marque, dans le prolongement des études.
J’ajouterai que ces évolutions nous amènent souvent à aller très loin dans nos recommandations. Nous pouvons le faire du fait de certains partis-pris « historiques » chez June, dont celui de recruter des profils ayant une très solide expérience marketing.
Et s’agissant des expertises méthodologiques d’études à proprement parler?
June a la particularité de s’appuyer sur une très grande palette technique. Mais nous continuons à l’élargir. Assez récemment, nous nous sommes par exemple dotés de solutions de social intelligence pour pouvoir investiguer la sphère des influenceurs, qu’il s’agisse de micro ou de nano-influenceurs. Cela nous donne des éclairages extrêmement puissants, avec l’avantage de pouvoir couvrir quasiment tous les pays.
Quelles sont les natures d’exploratoire qui vous sont les plus demandées par les entreprises ?
Nous réalisons beaucoup d’exploratoires et de bilan de marques. Cela me semble correspondre à une prise de conscience accrue du fait que la marque est un asset majeur pour l’entreprise. Laisser le terrain aux MDD, c’est prendre tôt ou tard le risque d’être déréférencé des rayons. Il faut donc choyer cet asset et le faire évoluer. Lorsqu’un brief porte sur la question de la désirabilité de la marque, je trouve cela intéressant. Il y a un angle, et un enjeu crucial en effet. Il est vital pour une marque de faire envie, et que le marché ait besoin qu’elle existe.
Nous réalisons beaucoup d’exploratoires et de bilan de marques. Cela me semble correspondre à une prise de conscience accrue du fait que la marque est un asset majeur pour l’entreprise.
Nous intervenons aussi beaucoup sur des études d’U&A qui aboutissent à des segmentations. Là encore, ce sont des interrogations stratégiques saines, la marque doit savoir quels sont les grands clusters d’attente, et pouvoir définir à qui elle s’adresse en priorité, tant pour ses développements Produit que dans sa politique de communication.
Nous réalisons également des études prospectives, sur des univers précis. Par exemple la Salle de bains du futur. Ou bien le Yaourt en 2050… Ces investigations sont parfois menées en partenariat avec des cabinets de conseil, et très souvent en s’appuyant sur la méthode des scénarios prospectifs — élaborée par Futurible — à laquelle nous nous sommes formés. Nous aidons ainsi nos clients à identifier des hypothèses s’agissant du futur, avec la perspective qu’il soit le plus désirable possible…
Travaillez-vous encore sur d’autres natures d’exploratoires ?
Le dernier registre que j’ajouterai est celui des exploratoires de communication. Lorsque des marques sont positionnées sur un territoire, par exemple la douceur, ou pourquoi pas celui de l’aventure, il est important pour elles d’actualiser régulièrement ce que ces notions signifient pour les gens. Pour une investigation de ce type, nous avons utilisé le social messaging, avec des sollicitations via les réseaux sociaux dans différents pays, pour déclencher des interrogations très ouvertes. Nous avons pu questionner près de 10 000 personnes. Et, avec l’IA, identifier les axes, hiérarchiser les poids de ceux-ci, avec des éléments de contenu très riches et précis, visuels, extrêmement opérationnels !
Le dernier registre que j’ajouterai est celui des exploratoires de communication. Lorsque des marques sont positionnées sur un territoire, par exemple la douceur, ou pourquoi pas celui de l’aventure, il est important pour elles d’actualiser régulièrement ce que ces notions signifient pour les gens.
Voyez-vous des conseils importants à donner aux équipes Etudes / Insights des annonceurs pour réussir leurs études exploratoires ?
Ces démarches gagnent énormément à être menées dans un vrai esprit de partenariat, plus encore que pour toute autre étude. Je crois que l’on ne peut réellement bien explorer qu’à deux, en étant solidaire l’un de l’autre. C’est vrai tout au long du projet. Cela se joue dès le brief, où le commanditaire doit faire l’effort de définir les questions que l’organisation se pose, en expliquant autant que faire se peut le pourquoi de celles-ci. On avance beaucoup plus efficacement ainsi plutôt qu’en aveugle. Mais de même, en aval, les meilleurs outputs s’obtiennent lorsqu’on travaille ensemble. Nos interlocuteurs savent ce qui peut faire mouche chez les décideurs, s’appuyer sur eux est donc essentiel.
Ces démarches gagnent énormément à être menées dans un vrai esprit de partenariat, plus encore que pour toute autre étude. Je crois que l’on ne peut réellement bien explorer qu’à deux, en étant solidaire l’un de l’autre. C’est vrai tout au long du projet.
Ne pas avoir d’idées préconçues s’agissant de la méthodologie à déployer me semble également être un conseil important. Et ce pour la raison que nous évoquions précédemment, le fait qu’une étude exploratoire peut aujourd’hui prendre plein de formes différentes, le multisource aidant beaucoup à détecter les meilleurs insights. Avoir un mimimum de temps et de liberté, et aussi savoir au plus tôt dans quelle enveloppe budgétaire on peut travailler, ce sont des conditions clés pour avancer efficacement.
Souhaitez-vous ajouter un dernier point ?
Sans doute le conseil le plus important à donner aux équipes des marques est tout simplement de réaliser ce type d’études. Dans le contexte dans lequel elles évoluent, et du fait de la vitesse des changements, ce me semble être une forme d’hygiène vitale que de se remettre régulièrement en cause en s’appuyant sur une écoute attentive du marché. Ne pas le faire, c’est prendre le risque d’être rapidement dépassé par les concurrents. Mais j’ai le sentiment que les marques ont fortement intégré cet impératif ces dernières années.
POUR ACTION
• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Inès Bizot