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« Nous voulons contribuer à ce que les études marketing soient plus inclusives » – Interview d’Isabelle Fabry (ActFuture)

14 Mai. 2025

Isabelle Fabry, fondatrice d'ActFuture

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Par les temps qui courent, le sujet de l’inclusivité peut être perçu comme un enjeu moral ou idéologique… Et s’il touchait en réalité au cœur même de la vocation des études marketing ? Celle d’éclairer les décisions stratégiques en s’appuyant sur une connaissance fine, plurielle et fidèle des cibles. C’est la conviction d’Isabelle Fabry, fondatrice d’ActFuture, qui vient d’annoncer le lancement d’ACT Inclusive. Elle revient ici sur le sens de cette démarche. 

MRNews : Vous lancez une nouvelle offre, ACT Inclusive. Comment est née l’idée ?

Isabelle Fabry (ActFuture) : Elle est née d’un moment d’émotion et d’un constat très concret. Lors des derniers César, le comédien Karim Leklou a dédié son prix “aux gentils”. Un mot simple, mais plein de force. Cela m’a rappelé pourquoi j’avais choisi ce métier : pour entendre, pour comprendre, pour relier l’humain / les humains.

Et dans la réalité, nous passons aujourd’hui à côté de beaucoup de gens. Pas forcément ceux qu’on ignore volontairement, mais ceux qu’on entend moins. Et dont, à force, on se passe. Parce qu’ils ne sont pas à l’aise avec nos formats. Parce qu’ils ne répondent pas vite. Parce qu’ils ne verbalisent pas leurs ressentis avec aisance. Or, en les laissant de côté, nous oublions l’essentiel de notre mission : comprendre nos cibles, vraiment. 

Nous passons aujourd’hui à côté de beaucoup de gens. Pas forcément ceux qu’on ignore volontairement, mais ceux qu’on entend moins. Et dont, à force, on se passe. Parce qu’ils ne sont pas à l’aise avec nos formats. Parce qu’ils ne répondent pas vite. Parce qu’ils ne verbalisent pas leurs ressentis avec aisance.

Nous devons aussi prendre en compte le contexte dans lequel nous travaillons : une société perturbée intellectuellement, émotionnellement, par les crises géopolitiques, sociales, environnementales. Une société où même le droit de chacun d’exister et d’être entendu semble parfois remis en question. Ce climat accentue encore l’urgence d’une écoute sincère et inclusive.

En somme, il y a un vrai gros souci de « représentativité » des études…

Appelons un chat un chat, ce phénomène fait que nos investigations sont en bonne partie biaisées. Oui, et ce n’est pas seulement un biais technique. C’est un angle mort stratégique. En France, près de 17% de la population est en situation d’illectronisme (INSEE, 2021). Et près de 12% n’ont pas d’équipement informatique personnel.

Mais au-delà de ces chiffres, il faut regarder la difficulté plus profonde : pour une grande partie de la population, il est tout simplement complexe de prendre conscience de ses propres actes, pensées ou ressentis, de les décoder, d’en prendre la mesure, et de les exprimer clairement — encore moins par écrit. Cela demande des compétences cognitives, émotionnelles et linguistiques que tout le monde n’a pas ou n’ose pas mobiliser.

En France, près de 17% de la population est en situation d’illectronisme. Et près de 12% n’ont pas d’équipement informatique personnel (…) Mais au-delà de ces chiffres, il faut regarder la difficulté plus profonde : pour une grande partie de la population, il est tout simplement complexe de prendre conscience de ses propres actes, pensées ou ressentis, de les décoder, d’en prendre la mesure, et de les exprimer clairement — encore moins par écrit.

Et l’écriture, qui est souvent sollicitée dans les études (questionnaires, verbatims), ajoute une autre barrière : 7% des adultes sont en situation d’illettrisme en France (source : ANLCI, 2022), et bien davantage se disent mal à l’aise avec l’écrit. Cela crée un filtre puissant : ceux qui s’expriment bien sont surreprésentés. Les autres deviennent invisibles.

Lire aussi > L’interview de Bruno Vincent (La Voix du Client) : « L’inclusion est un réel enjeu pour le monde des études »

En quoi consiste ACT Inclusive ?

C’est une combinaison de dispositifs concrets et d’une posture d’écoute. Nous adaptons les outils, le langage, les formats, et nous formons nos intervieweurs à cette écoute différente avec notre module “Inclusive Mind”. On peut aller jusqu’à proposer des entretiens à domicile, des supports imprimés, des entretiens oraux sans pression, selon les profils.

Mais surtout, nous acceptons l’idée que tout ne sera pas “bien formulé”, “structuré”, “cohérent”. Et c’est là que notre métier retrouve sa profondeur : interpréter, reformuler, donner du sens. C’est aussi une manière de redonner ses lettres de noblesse au rôle du consultant ou de l’expert référent, une figure que l’on sait apprécier dans bien d’autres sphères, notamment dans le conseil stratégique où l’on reconnaît volontiers — et valorise financièrement — la capacité à proposer des idées neuves, à prendre du recul, à ouvrir des perspectives. Cela revient aussi, plus largement, à réaffirmer la valeur de l’intelligence humaine elle-même, dans ce qu’elle a de plus fondé : la capacité à relier, à interpréter, à mettre en perspective, à faire émerger du sens et de la vision.

Dans un monde saturé de solutions rapides et de réponses séduisantes, nous réaffirmons que la véritable valeur ajoutée, c’est la quête de sens — pas la quête du plus simple, du plus rapide ou du plus sexy.

Et c’est sans doute ce que nous avons parfois laissé s’effacer : cette conviction que notre métier repose avant tout sur une pensée vivante, humaine, plurielle, capable de faire émerger des hypothèses fécondes, pas simplement de confirmer ce qui est déjà là. Dans un monde saturé de solutions rapides et de réponses séduisantes, nous réaffirmons que la véritable valeur ajoutée, c’est la quête de sens — pas la quête du plus simple, du plus rapide ou du plus sexy.  Autrement dit : interpréter, reformuler, donner du sens. Ces compétences, issues des sciences humaines, sont plus que jamais au cœur de notre pratique.

Ne s’agit-il pas, au fond, de revenir à des méthodes plus « traditionnelles » ?

Oui, mais avec un regard neuf. Il ne s’agit pas d’être passéiste, mais de rééquilibrer. Aujourd’hui, l’industrie des études est très attirée par les méthodes rapides, visuelles, “scalables” — c’est-à-dire facilement déployables à grande échelle, uniformes, et optimisées pour la production massive de résultats. Ce sont de très bons outils — nous les utilisons nous aussi, y compris avec l’IA. Mais il ne faut pas qu’ils deviennent des standards uniques, au risque de passer à côté des cibles essentielles.

Il ne s’agit pas d’être passéiste, mais de rééquilibrer.

ACT Inclusive propose autre chose : une intelligence de l’écoute, un respect des rythmes humains, une capacité à décoder les silences, les hésitations, les émotions.

Pour quels secteurs ou quelles problématiques ces approches vous paraissent spécialement recommandées ?

Ces approches prennent tout leur sens également dans le domaine des études cliniques et du médical, où les participants interrogés peuvent être dans une grande fragilité émotionnelle et structurelle, et parfois n’avoir que les ressources cognitives et verbales équivalentes à celles d’un enfant de 10 ans. Dans ces contextes, plus encore qu’ailleurs, il est essentiel d’adopter des postures d’écoute, de patience, de décodage, et de reformulation bienveillante pour recueillir une parole juste et exploitable, sans la déformer ni la surinterpréter.

Dans tous les secteurs, nous rencontrons des angles morts. Mais certains contextes rendent l’approche ACT Inclusive particulièrement pertinente. Je pense au secteur Banque/Assurance, avec des parcours client de plus en plus numériques, parfois déshumanisés. A celui du tourisme, où l’accessibilité physique, émotionnelle et cognitive est souvent oubliée. Ou bien à ceux de l’habitat et de l’automobile, où l’ergonomie devient essentielle à mesure que la population vieillit. Mais l’approche se justifie tout à fait en grande consommation, où un mot mal lu, une image mal perçue, peuvent suffire à exclure quelqu’un d’un acte d’achat. Le dernier que je citerai est secteur cosmétique, où l’on parle souvent de beauté, mais trop rarement du bien-être profond des femmes, de leur rapport à elles-mêmes, à leur image, à leur histoire. Ce sont des sujets subtils, intimes, que les approches standardisées captent très mal. Là encore, il faut une écoute respectueuse, lente, humaine.

Nous avons mené un projet récemment dans l’univers des résidences seniors. Il fallait comprendre ce que signifiait, émotionnellement, le passage d’un “chez soi” à un “ailleurs collectif”. Une question difficile, impossible à traiter avec un simple questionnaire. Il fallait du tact, du temps, du soin.

Voyez-vous un dernier point à ajouter ?

Oui. Un point de fond. Je crois que notre métier, pour être utile, doit redonner du sens. Pas seulement valider des hypothèses. Pas seulement produire des slides. Mais permettre aux décisions de se fonder sur une compréhension juste, profonde, plurielle.

Je crois que notre métier, pour être utile, doit redonner du sens. Pas seulement valider des hypothèses. Pas seulement produire des slides. Mais permettre aux décisions de se fonder sur une compréhension juste, profonde, plurielle.

Les décisions que nous aidons à prendre ont des impacts très concrets : elles orientent des investissements, des choix produits, des politiques de communication, des organisations humaines. Elles construisent des usines. Elles nourrissent des familles. Elles respectent l’environnement.

ACT Inclusive est là pour ça : pour redonner une voix à ceux qu’on oublie trop souvent d’écouter, pour remettre l’humain au cœur de nos décisions, et pour accompagner les marques dans un monde où la compréhension fine et sincère des individus est devenue un véritable avantage stratégique.


 POUR ACTION 

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