Co-construire les offres avec les consommateurs est par essence une démarche on ne peut plus humaine. Mais l’Intelligence Artificielle générative pourrait manifestement bien y trouver sa place, et contribuer grandement à la réussite de ces projets. C’est en tout cas la conviction de Marc Papanicola et Sandra Chéritat-Bretagne (Insightquest), qui nous font part des travaux de R&D qu’ils ont menés ces derniers mois — ayant abouti à l’élaboration de modules propriétaires —, ainsi que des enseignements qu’ils tirent de leurs expériences.
MRNews : Accompagner les entreprises dans des démarches de co-création est un pan important de votre activité. Pourquoi éprouvent-elles la nécessité d’aller ainsi au-delà des études marketing « classiques » ?
Sandra Chéritat-Bretagne (Insightquest) : L’écoute des consommateurs reste incontournable. Et elle est encore et toujours omniprésente dans les dispositifs de nos clients et dans nos réponses. J’ajouterai que nous sommes aujourd’hui dans un monde où l’hyper personnalisation des solutions est devenue la norme, et où les individus réclament une relation bien plus horizontale que par le passé avec les marques. Ils ont l’habitude des réseaux sociaux, de donner leur avis, de participer. Je dirais donc que la co-création s’impose parce qu’elle permet de passer d’une logique d’adaptation à une dynamique d’anticipation et d’innovation partagée.
La co-création s’impose parce qu’elle permet de passer d’une logique d’adaptation à une dynamique d’anticipation et d’innovation partagée.
Marc Papanicola (Insightquest) : J’abonde dans le sens des propos de Sandra. Les marques craignent parfois de ne pas parvenir à se renouveler suffisamment. D’où leur intérêt pour des démarches permettant de donner de l’oxygène à leurs processus créatifs, en intégrant des individus « landas » ou des personnes particulièrement impliquées ou créatives. C’est aussi une bonne façon pour les entreprises de se « désiloter ». En mettant le client au centre, il devient le point d’attention et le fédérateur commun des équipes, cela génère un cercle vertueux en termes d’efficacité quotidienne. Pour ce qui est de la communication externe, c’est un sacré atout pour une marque de pouvoir dire qu’elle co-crée ses offres avec ses clients !
Cela fait beaucoup d’avantages en faveur de la co-création, qui n’est cependant pas une démarche si facile à mener. Quels sont les grands pièges à éviter ?
SCB : Un point important au démarrage d’une réflexion est de déterminer au plus tôt qui sont les cibles. Les équipes peuvent avoir du mal à les définir, et à différencier les cibles « aspirationnelles » ayant vocation à être mises en scène dans la communication, et les cibles business concrètes auxquelles il faut répondre en priorité. Le risque qui en découle est de mal penser l’intérêt business réel. Attendre un test de concept pour le réaliser, c’est-à-dire après la session de co-créativité, c’est perdre énormément de temps et de ressources. Cadrer dès le début de la démarche des territoires d’opportunité bien définis est donc essentiel avant d’entamer le jeu créatif. Créer du neuf, c’est assez enthousiasmant, souvent ludique. Mais l’offre ne crée pas naturellement la demande, et il y a un risque que cet enthousiasme interne ne se transfère pas nécessairement au consommateur si elle n’est pas pleinement pensée pour lui. Lorsque vous offrez un cadeau : à qui voulez-vous faire plaisir ?
Un point important au démarrage (…) est de déterminer au plus tôt qui sont les cibles. Les équipes peuvent avoir du mal à les définir, et à différencier les cibles « aspirationnelles » ayant vocation à être mises en scène dans la communication, et les cibles business concrètes auxquelles il faut répondre en priorité.
MP : L’autre risque est de partir sur de « faux insights », fabriqués rapidement par manque de temps et avec des apriori servant les idées ou les convictions que l’on a dès le départ. Il faut préparer les sessions de co-créativité en les alimentant d’insights hyper rigoureusement établis et sourcés. Et c’est là que les modules d’IA Générative que nous avons développés accélèrent considérablement cette première étape, qui n’est jamais évidente pour les équipes CMI ou les équipes Produits marketing …
L’autre risque est de partir sur de « faux insights », fabriqués rapidement par manque de temps et avec des apriori servant les idées ou les convictions que l’on a dès le départ (…)
Vous avez beaucoup travaillé sur la façon dont l’IA pouvait « augmenter » l’efficacité des démarches de co-créativité. Quel peut être son rôle ?
MP : Nous avons pris il y a plus d’un an l’option d’élaborer nos modules propriétaires dans l’écosystème ChatGPT, avec des formules garantissant la confidentialité et que nos données ne soient pas exploitées pour l’apprentissage d’OpenAI. Nous avons d’abord utilisé ceux-ci pour nos propres besoins, puis de plus en plus pour travailler en session avec nos clients.
Le premier grand champ d’application est la génération d’insights structurés et précis. Les entreprises souhaitent souvent créer une banque d’insights, ce qui est chronophage et technique. Aujourd’hui, créer celle-ci à partir de toutes les collectes de data est vraiment à portée de main. C’est un vieux serpent de mer dans les organisations, nous pensons avoir enfin craqué ce besoin. (rires)
Les entreprises souhaitent souvent créer une banque d’insights, ce qui est chronophage et technique. Aujourd’hui, créer celle-ci à partir de toutes les collectes de data est vraiment à portée de main. C’est un vieux serpent de mer dans les organisations, nous pensons avoir enfin craqué ce besoin !
Cela nous a amenés à élaborer un module avec deux options. La première permet de lancer directement une requête à partir de rapports d’études ou de transcripts de focus groupes, d’interviews… La seconde s’adapte à la situation où l’équipe de la marque part de zéro ou n’a pas d’études sur un sujet donné. Dans ce cas, notre module va scanner le web, les commentaires consommateurs, les articles, le contenu des marques… puis recouper et sourcer les informations.
Une différence importante en comparaison avec ce que ChatGPT produit déjà habituellement est que nous ne générons pas des « learnings », des « résumés », mais des dizaines voire des centaines d’insights consommateurs articulés avec un format commun, et ce en l’espace de quelques minutes. On peut ensuite les regrouper, les thématiser et sélectionner ceux sur lesquels la marque estime être dans son champ légitime d’intervention. Cela représente un gain de temps considérable pour les équipes projet tout en assurant un très haut niveau de maitrise de l’insight.
Un de vos partis-pris est d’utiliser une définition précise de cette notion d’insights. Comment avez-vous appris à ChatGPT à maitriser celle-ci ?
MP : Le mot insight, c’est un peu un fourre-tout : « vérité consommateur », « fait », « unmet need », « tension », « learning », etc… A l’arrivée, on trouve souvent tout et n’importe quoi, et cela est très confusant pour les équipes. C’est d’ailleurs ce qui nous a amenés à créer nos formations. Depuis 15 ans, nous enseignons le fait qu’un insight doit avant tout être porteur d’un enjeu (contexte, motivation et tension). Sur ces dernières années, nous avons formé près de 9000 personnes à la rédaction d’insights et de concepts, dans une quinzaine de pays différents. Former, c’est aussi recevoir beaucoup de questions et être challengé. C’est une richesse inestimable. Lorsque nous avons écrit nos prompts et codé en python pour établir certaines règles, il nous a fallu être astucieux pour contourner la limite de 8000 caractères de l’écosystème ChatGPT. Sans charger de données d’apprentissage — car ce n’est pas notre parti pris —, nous avons appris à notre module de A à Z ce qu’était un insight, dans le détail, avec des exemples, des contre-exemples, des conseils rédactionnels. Comme nous le faisons dans nos formations. Idem pour générer des personae, puis des idées sous forme de concepts, et enfin pour challenger ces derniers. En workshop, cela constitue une aide majeure.
Nous avons appris à notre module de A à Z ce qu’était un insight, dans le détail, avec des exemples, des contre-exemples, des conseils rédactionnels. Comme nous le faisons dans nos formations.
Ces insights sont ainsi injectés comme un input dans les ateliers de co-création ?
SCB : Absolument. Les équipes Produits peuvent alors passer plus de temps à s’en imprégner, à les choisir, à les améliorer, qu’à les générer « from scratch ». Cela laisse davantage de temps pour la réflexion business et la génération d’idées. Nous enchainons sur un travail sur les imaginaires, les émotions, les sensations, en mode divergence créative, et toujours en lien avec les insights ciblés. Nous utilisons ensuite nos modules dédiés à la génération de concepts, afin de créer à la volée des dizaines de concepts déjà structurés, répondant à l’insight. L’idée est de les feuilleter, de noter des mots, des angles, des approches que propose notre module, et non de les considérer comme un output final.
MP : Il est important de bien définir avec nos interlocuteurs jusqu’où on va dans l’usage de l’IA. Le principe de base est de l’utiliser comme une séquence parmi d’autres, de faire en sorte que l’IA ne vampirise pas la démarche. Dit autrement, l’objectif est d’aller plus loin dans les idées ! Nous sommes là pour accompagner et conseiller nos clients dans cette approche.
Le principe de base est d’utiliser l’IA comme une séquence parmi d’autres, de faire en sorte qu’elle ne vampirise pas la démarche. Dit autrement, l’objectif est d’aller plus loin dans les idées !
Nous avons également développé une fonctionnalité permettant de challenger les concepts. Ainsi, nous faisons tout pour que de nombreuses cases soient cochées à l’issue des séances de co-créativité. Les insights utilisés doivent être solides et sourcés, les idées exprimées de manière émotionnelle et articulée. Elles doivent en outre être challengées par des confrères, des consommateurs présents ainsi que notre IA. Bref, nous intégrons un maximum de challenges pour qu’à l’étape suivante, celle du test de concept, les meilleures conditions de clarté et de succès soient réunies.
Quel est le feed-back de vos interlocuteurs côté Marques. Qu’apprécient-ils le plus ?
MP : Sur la partie insights, ils sont sensibles au gain d’efficacité, au temps dégagé et à la capacité de notre module à attaquer différentes natures de sources. Ce gain de temps laisse nettement plus de place à la prise de recul pour les équipes CMI et Produits.
SCB : Ils apprécient aussi la fonctionnalité qui permet de générer et challenger les concepts. Ils la perçoivent comme un filet de sécurité supplémentaire, pour disposer d’autres angles, pensés « out of the box » et que n’apporterait pas une démarche plus classique. Ils n’intègreront pas tout, mais ils peuvent ainsi « faire leur marché » et retenir des détails, des façons de voir qui leur semblent particulièrement intéressants.
Je pense enfin à un dernier point. Les outputs de nos modules — qu’il s’agisse des insights, des persona ou des concepts — reposant sur un format systématique et cohérent, nos interlocuteurs nous disent que c’est un bon moyen pour acquérir des réflexes et un langage communs. Ce qui, soit dit au passage, est une demande récurrente dans nos formations. Au-delà de la « génération » de contenu, ces modules aident à créer des réflexes et des process internes.
Nos interlocuteurs apprécient aussi la fonctionnalité qui permet de générer et challenger les concepts. Ils la perçoivent comme un filet de sécurité supplémentaire, pour disposer d’autres angles, pensés « out of the box » (…). Par ailleurs, les outputs de nos modules reposant sur un format systématique et cohérent, ils nous disent que c’est un bon moyen pour acquérir des réflexes et un langage communs.
Qu’est-ce qui vous a le plus positivement surpris en développant l’usage de l’IA dans ces démarches co-créatives ? Et quels sont éventuellement les risques ou les pièges à éviter ?
MP : La possibilité de l’utiliser pour structurer la connaissance client acquise, comme vient de l’évoquer Sandra, est vraiment très intéressante ! Cela va au-delà des sessions de co-créativité, et participe à la gouvernance ‘knowledge’ de l’entreprise. Nous pouvons ainsi aider nos clients à constituer des banques d’insights sur le long terme, s’actualisant à chaque collecte de data. Des banques cohérentes et facilement consultables plutôt qu’un ensemble d’éléments hétéroclites où l’on perd du temps à y voir clair, ce qui incite à lancer de nouvelles études alors que les insights ont déjà été collectés.
SB : Le vrai piège, nous l’avons dit, est de trop se reposer sur l’IA. La tentation est grande du fait de sa puissance. Mais son usage doit être maitrisé et pensé pour augmenter les capacités humaines. Nous sommes là pour accompagner nos clients. Dans nos sprints augmentés, l’IA apporte une contribution énorme. Mais son usage est exigeant, cela demande du temps, plusieurs itérations et beaucoup de rigueur. Il faut toujours garder son esprit critique face à l’IA !
Le vrai piège est de trop se reposer sur l’IA. La tentation est grande du fait de sa puissance. Mais son usage doit être maitrisé et pensé pour augmenter les capacités humaines.
Une dernière question enfin : les équipes des annonceurs sont-elles intéressées par un usage en mode Do-It-Yourself de ces outils ? Ou bien le perçoivent-elles celui-ci comme un « plus » dans l’accompagnement que vous leur proposez ?
MP : L’intérêt pour une utilisation en DiY de ces outils existe, mais demeure circonscrit à certaines entreprises. Beaucoup de groupes ont créé leur IA Générative interne fermée. Les outputs peuvent être bluffants notamment sur la création de packaging, avec les codes de la marque. Mais ces IA internes restent souvent généralistes comme l’est la version de base de ChatGPT. En théorie, les annonceurs pourraient développer des modules spécifiques à la génération d’insights et de concepts. Mais, en pratique, cela constitue un projet trop micro ou exigeant une trop grande mobilisation. C’est ce qui a conduit certaines entreprises à acquérir des licences d’utilisation à nos modules. Nous assurons alors la formation et le suivi, et les aidons ainsi à gérer les cas compliqués et à déminer les risques.
SB : Mais, le plus souvent, nous nous servons de ces outils pour accompagner nos clients dans leur démarche d’innovation. Et nous nous sommes organisés en ce sens. Toute notre équipe est formée et rompue à l’usage de nos modules, pour accompagner nos clients. L’outil IA est un outil formidable, enthousiasmant, mais il est exigeant. Bien l’exploiter suppose de développer de nouvelles compétences, tant chez nos interlocuteurs côté annonceurs que chez nous. Au fond, c’est un peu comme une voiture de course, il faut apprendre à la conduire, cla se mérite !
POUR ACTION
• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Marc Papanicola / @ Sandra Chéritat-Bretagne