DOSSIER DU MOIS

# Comment étudierons-nous les consommateurs - et les citoyens - en 2030 ? (volet 1)

"Les panels doivent évoluer, mais ils ont encore de très beaux jours devant eux"

Romain Barbet
Managing Director de Norstat France

7 Oct. 2024

Romain Barbet - Managing Director Norstat France

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Les panels en ligne constituent à l’évidence l’outil « dominant » aujourd’hui dans la collecte des données à des fins d’études marketing. Mais le resteront-ils nécessairement demain, compte tenu à la fois des limites qui peuvent être les leurs et des avancées technologiques en cours ? Romain Barbet, qui dirige en France l’activité du grand spécialiste européen des panels, Norstat, évoque l’enjeu de la qualité des données et la façon dont il est adressé par sa société. Et nous livre sa vision de possibles évolutions à horizon 2030.

MRNews : Les panels online sont omniprésents dans les dispositifs de collecte des données d’études, mais ils sont néanmoins régulièrement challengés sur des enjeux de qualité et de fiabilité. Quel est votre regard sur ce paradoxe ?

Romain Barbet (Norstat) : Le paradoxe est réel en effet. D’une part les panels en ligne se sont imposés comme la méthode dominante pour la collecte de données et ont contribué à transformer le secteur des études marketing au début des années 2000, avec l’essor d’Internet. Avec ces dispositifs, on peut interroger des populations très larges, de manière représentative, partout dans le monde, à condition que l’accès à Internet y soit suffisamment développé. Ils ont aussi permis de réduire considérablement les coûts de collecte par rapport aux approches traditionnelles telles que le face-à-face ou les enquêtes par téléphone. 

Cependant, ce modèle comporte des risques. Il repose notamment sur le principe de rémunérer les participants, qui est à la fois logique et le plus souvent indispensable. Mais celui-ci peut générer des comportements déviants, comme des réponses hâtives ou la participation à des enquêtes non pertinentes. Même si la majorité des répondants sont légitimes et participent de bonne foi, il y a bien un véritable enjeu de qualité dont il faut se préoccuper tout en maintenant l’accessibilité et l’efficacité que ces panels apportent au marché.

Même si la majorité des répondants sont légitimes et participent de bonne foi, il y a bien un véritable enjeu de qualité dont il faut se préoccuper tout en maintenant l’accessibilité et l’efficacité que ces panels apportent au marché.

Quels sont les partis-pris de votre société, Norstat, précisément sur cet enjeu de la qualité des données?

Norstat est un groupe européen de collecte de données de premier plan, fondé il y a plus de 25 ans en Norvège. Aujourd’hui, nous sommes présents dans 19 pays grâce à nos panels exclusifs, ce qui nous donne accès à plus de 4 millions de consommateurs européens.  La qualité des données a toujours été une priorité absolue. Nous avons développé différentes approches, mais celles-ci s’articulent autour de 4 grands piliers. 

La qualité des données a toujours été une priorité absolue pour Norstat. Nous avons développé différentes approches, mais celles-ci s’articulent autour de 4 grands piliers. 

Le premier porte sur la façon dont nous recrutons nos panélistes. Nous le faisons notamment via des centres d’appels téléphoniques ; nous en avons aujourd’hui 8, répartis dans 8 pays différents. Procéder ainsi nous permet de recruter des répondants de manière plus aléatoire, et de limiter le biais d’auto-sélection inhérent aux inscriptions volontaires sur les panels en ligne. Nous continuons à utiliser cette méthode pour pouvoir atteindre des segments de population souvent sous-représentés dans les panels traditionnels. Nous sommes à ma connaissance les seuls à le faire. Et, par ailleurs nous nous appuyons sur une équipe d’experts en interne pour aller chercher les répondants sur les réseaux sociaux, via des campagnes ciblées. C’est là où ils se trouvent naturellement, sur les Facebook, Instagram, TikTok, Snapchat,… Cela nous permet ainsi de compléter nos panels, sur des critères démographiques précis.

Nous appliquons enfin des procédures strictes pour valider l’authenticité des répondants, comme le double opt-in, en demandant aux participants de confirmer leur inscription via un code envoyé sur leur téléphone. De plus, un point extrêmement important est que nos panels sont fermés, ce qui signifie que l’on ne peut pas s’y inscrire directement sans passer par un processus de vérification. 

Un point extrêmement important est que nos panels sont fermés, ce qui signifie que l’on ne peut pas s’y inscrire directement sans passer par un processus de vérification. 

Si je veux m’inscrire de moi-même sur un panel Norstat, cela me sera impossible ?

Tout à fait. De même que nous sommes parmi les seuls à ma connaissance à utiliser le téléphone dans nos procédures de recrutement, nous nous différencions également par ce principe de panel « fermé ». Bien sûr, cela ne nous facilite pas la tâche, mais cela nous permet d’éviter les multi-inscriptions et de maintenir ainsi une qualité de données optimale. 

Par ailleurs et cela fait aussi partie de notre ADN, nous utilisons la technologie, y compris naturellement les ressources de l’intelligence artificielle, en nous appuyant sur une équipe d’une dizaine de personnes. Nous pouvons détecter des comptes qui seraient dupliqués, ou plus largement tous les comportements suspects, comme des réponses trop rapides ou incohérentes. Dès qu’il y a le moindre doute, nous excluons immédiatement le répondant en question. C’est une politique « dure », mais c’est une condition clé pour assurer la qualité que nous visons.

Le quatrième et dernier pilier est le fait que nous exploitons en propre nos panels. Nous n’ouvrons pas l’accès à nos panélistes à des sociétés tierces et notamment à des « agrégateurs », contrairement à ce que font d’autres acteurs du marché. Cela nous permet de garder le contrôle de l’expérience des répondants. Concrètement, nous maitrisons la forme des questionnaires et en particulier leur longueur, qui est un point important mais trop souvent sous-estimé, et aussi le wording et la qualité des traductions. Chaque questionnaire est ainsi minutieusement vérifié et retravaillé par nos équipes si nécessaire, pour s’assurer que l’expérience soit la meilleure possible pour les répondants. Celle-ci contribue très fortement à la qualité des données obtenues au final.

Le quatrième et dernier pilier est le fait que nous exploitons en propre nos panels. Nous n’ouvrons pas l’accès à nos panélistes à des sociétés tierces et notamment à des « agrégateurs », contrairement à ce que font d’autres acteurs du marché. Cela nous permet de garder le contrôle de l’expérience des répondants.

Je vous propose maintenant que nous nous projetions à 2030. Quelles sont vos convictions sur la façon dont nous devrions étudier les consommateurs à cet horizon ?

Une des grandes questions que nous nous posons probablement tous est celle de l’impact qu’aura l’Intelligence Artificielle dans les années à venir, en général et plus spécifiquement dans nos métiers. Même les experts divergent sur l’arrivée de l’AGI, l’intelligence artificielle générale, certains considérant qu’elle se fera avant 2030, d’autres qu’elle n’adviendra que bien plus tard voire jamais ! Nous autres spécialistes des études ne pouvons donc qu’évoquer des hypothèses. On peut penser par exemple que des outils comme ChatGPT pourraient bientôt jouer un rôle clé dans les décisions d’achat des consommateurs. Imaginons un futur où chacun d’entre nous aurait un assistant IA capable de comprendre nos préférences, d’analyser nos expériences passées et de nous proposer des marques et produits les plus à même de nous satisfaire. Cela bouleverserait l’approche traditionnelle du marketing, en rendant les décisions d’achat moins influencées par la publicité et plus axées sur l’adéquation aux besoins réels des consommateurs.

Imaginons un futur où chacun d’entre nous aurait un assistant IA capable de comprendre nos préférences, d’analyser nos expériences passées et de nous proposer des marques et produits les plus à même de nous satisfaire. Cela bouleverserait l’approche traditionnelle du marketing…

Cela dit, cette évolution soulève aussi des questions éthiques et techniques. Comment garantir que ces assistants agissent dans l’intérêt des gens et non en fonction de celui des entreprises ? Cela nécessitera une régulation stricte et une transparence accrue dans la manière dont les données des consommateurs sont utilisées.

Entrevoyez-vous d’autres évolutions importantes à horizon 2030 ?

On peut s’attendre à un très fort développement de l’usage de l’Open Data. Le succès d’une société française comme Pappers, ou de Data EOSA (?) aux Etats-Unis me semble emblématique de la puissance potentielle de ce principe. On voit également des initiatives intéressantes sur les enjeux d’authentification des individus, les deux sujets étant liés. Un bon exemple étant France Connect. En résumé, on a là des dispositifs permettant de garantir l’identité d’un utilisateur sur un site en s’appuyant sur ses autres comptes existants, son identité ayant déjà été vérifiée sur ceux-ci. On se dirige ainsi vers une authentification 100% fiable, qui pourrait s’appliquer à nos métiers…

On peut s’attendre à un très fort développement de l’usage de l’Open Data (…). On voit également des initiatives intéressantes sur les enjeux d’authentification des individus, les deux sujets étant liés.

Quid de l’avenir des panels à horizon 2030 ? Ne sont-ils pas susceptibles d’être fortement concurrencés par des alternatives, et notamment les dispositifs de recueil via les réseaux sociaux ?

Les réseaux sociaux constituent à mon sens une solution tout à fait pertinente pour étudier des niches de population auxquelles les panels ont du mal à avoir accès. Mais cette solution présente deux limites. La plus importante est qu’elle est particulièrement coûteuse. La seconde est qu’elle est peu compatible avec des interrogations relativement longues… 5 minutes, c’est bien. Au-delà, c’est plus compliqué. Ces deux limites font que cette méthode n’est pas adaptée pour tous les projets. Je pense donc qu’elle restera complémentaire à des outils comme les panels, qui ont encore de beaux jours devant eux. Ils continueront vraisemblablement à jouer un rôle central dans les études de marché, même si les modalités de collecte et d’analyse des données évolueront.

La collecte via les réseau sociaux restera complémentaire à des outils comme les panels, qui ont encore de beaux jours devant eux. Ceux-ci continueront vraisemblablement à jouer un rôle central dans les études de marché, même si les modalités de collecte et d’analyse des données évolueront.

Voyez-vous un dernier point à ajouter ? Peut-être un conseil vis-à-vis des équipes Etudes des annonceurs, ou des décideurs marketing ?

Le message clé que je voudrais transmettre aux donneurs d’ordre, c’est que la qualité des données doit être une priorité. Stéphane Marcel l’exprime très justement dans son interview récente, on ne peut pas faire de bonne cuisine sans de bons ingrédients. Il est donc crucial que les acheteurs d’études posent les questions permettant de s’en assurer. Et qu’ils s’interrogent sur le juste prix à payer pour cela, certains acteurs du marché faisant malheureusement des propositions qui n’ont aucun sens. La collecte de données est le fondement de toute prise de décision, c’est donc un enjeu clé pour les entreprises comme pour les décideurs politiques ! 


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Romain Barbet

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