# Quelles études pour les marques à l’ère du digital, des réseaux sociaux et des influenceurs ? (volet 2)
Georges Lewi - Valomarques

« Monde digital ou pas, une marque doit encore et toujours être un repère mental sur son marché ! »

Georges Lewi
Fondateur de Valomarques

12 Mai. 2024

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Sans doute est-ce le propre des bouleversements majeurs. Ils obligent — les êtres humains, les organisations, les marques… — à s’adapter, toute la difficulté étant qu’ils brouillent la capacité à bien faire la part des choses entre les changements nécessaires et les principes intangibles à respecter. Et malheureusement, les erreurs ne pardonnent pas ! Georges Lewi (Valomarques) nous livre son regard d’expert des marques quant aux conséquences clés de la révolution digitale et sur les réflexes à avoir.

MRNews : L’idée que le digital a chamboulé la donne pour tous y compris les marques semble une évidence. Plus rien n’est donc comme avant ?

Georges Lewi (Valomarques) : Un paramètre parait avoir peu changé en 20 ans : la confiance et la fidélité aux marques ne s’essoufflent pas vraiment. C’est ce que nous dit l’étude Kantar Média de 2023 (1), avec un taux de confiance « moyen » avoisinant les 60% et atteignant même les 80% pour les marques françaises et régionales. Ce qui peut sembler rassurant. Sauf qu’autrefois, on faisait clairement la distinction entre les marques et les enseignes. Alors qu’aujourd’hui, les grandes enseignes — physiques et numériques — sont devenues des marques. Et les MDD visent désormais les 50% du chiffre d’affaires (2). Des Amazon, Leclerc, Vinted ou Décathlon caracolent en tête des marques préférées selon la plupart des études. Les « marques-enseignes » traditionnelles nées dans les années 90 ont elles bien du mal à développer leurs ventes sur le net et disparaissent les unes après les autres. Pour le consommateur, peu importe la marque du produit commandé pourvu qu’il soit labellisé Vinted ou Amazon… Ce dernier est d’ailleurs devenu le nouveau moteur de recherche, annonçant en plus des caractéristiques les comparatifs de prix et les avis des acheteurs.

Avec, pour les consommateurs, le bénéfice d’une fluidité incroyable… 

Absolument ! Plaisir et facilité sont les 2 mamelles nourricières du consommateur. Il lui faut tout, tout de suite. Il compare en quelques secondes, il clique, il reçoit ! Et la crise du Covid a tout accéléré : 68 % des individus achètent davantage en ligne qu’avant (3). La promesse d’une livraison rapide est le critère numéro 1 pour faire des ventes en ligne. C’est la condition d’achat n°1 pour 85 % des consommateurs. Lorsqu’on interroge les gens sur les canaux sur lesquels ils sont les plus enclins à effectuer un achat, les sites de distributeurs sont désormais à égalité parfaite avec les boutiques physiques (68 %). Viennent ensuite le click and collect, le site de marque et les moteurs de recherche. Les sites de marque ne sont eux consultés que par 17 % des consommateurs (3). 

Plaisir et facilité sont les 2 mamelles nourricières du consommateur. Il lui faut tout, tout de suite. Il compare en quelques secondes, il clique, il reçoit ! Et la crise du Covid a tout accéléré (…)

Un excellent « merchandising » digital devient alors l’impératif premier de toute communication de marque pour vendre ses produits. Par où faire passer l’œil du consommateur ? Comment faire émerger l’essentiel sur la marque (et son produit) lorsque l’œil ne reste que 47 secondes sur une page (4) et quitte, après ce « temps perdu », le site dans un cas sur deux. En comparaison, si on fait ses courses en hypermarché, on y reste 1h30 en moyenne, et on revient souvent en arrière dans un rayon déjà « visité » pour changer de produit.

Un excellent « merchandising » digital devient alors l’impératif premier de toute communication de marque pour vendre ses produits. Par où faire passer l’œil du consommateur ? Comment faire émerger l’essentiel sur la marque (et son produit) lorsque l’œil ne reste que 47 secondes sur une page (…)

Quid du « discours » de la marque dans ce contexte ? Peut-il réellement s’exprimer ?

Absolument ! Il y a le produit, le prix, la promo et… la marque. C’est là où l’art du pitch est fondamental. Notre métier de storyteller au service du branding — de spécialiste du pitch — « booste » les marques que nous accompagnons dans ce que nous nommons « le Brand Profiling ».  Quelques mots simples comme « Depuis… », « original », « qualité irréprochable », « garantie », « local… » vont « faire l’achat ». Et contrairement à ce que disent certains experts du digital, ces mots ne sont pas superflus…

Tout est en silo dans les entreprises, alors que tout est en relation dans la tête et le comportement d’un consommateur. L’émetteur est éclaté, le consommateur et la consommatrice sont en fluidité. Leurs synapses fonctionnent à fond quand ils font leurs courses. Ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. Et il est bien difficile de suivre l’agilité de parcours d’un consommateur d’aujourd’hui ! Il faut agir comme ces nouveaux enquêteurs qui ont développé des méthodes de profilage pour tenter de cerner « celui qui a fait le coup ! »

Tout est en silo dans les entreprises, alors que tout est en relation dans la tête et le comportement d’un consommateur. L’émetteur est éclaté, le consommateur et la consommatrice sont en fluidité.

Les règles du jeu sont donc bouleversées… Quelles sont éventuellement les autres erreurs de perspectives à éviter ? 

Le paradoxe ultime est que l’expérience en ligne est devenue plus importante que l’expérience en magasin pour générer de la fidélité comme on le voit dans le graphique ci-dessous. En magasin, on « ressent ». En digital, on « comprend ». Face à sa carte bancaire, la raison reprend le dessus sauf pour les tout petits prix (Shein, Temu, Action…) où l’achat intervient pour compenser une frustration, à la manière de la barre ou du carré de chocolat croqués entre deux bouffées de stress. 

Source : Salsify. Etude Consommation 2023

Cette expérience en 47 secondes chrono repose sur 4 paramètres (4). D’une part la transparence véhiculée, 20% des consommateurs renonçant à l’achat lorsqu’ils perçoivent des informations peu ou pas cohérentes. Vient ensuite la crédibilité de la marque au travers de ses affirmations examinées de façon factuelle. Les gens veulent des faits plutôt que de belles paroles ! Le prix et les caractéristiques produits comptent bien sûr, mais cet item n’apparait qu’en troisième position. Et on retrouve enfin la confiance sous l’angle des avis, de la notoriété de la marque, du bouche-à-oreille, ses influences, etcétéra.

Au global, le critère numéro 1 d’une marque est la confiance qu’elle inspire, quel que soit le circuit de distribution, le digital ne faisant certainement pas exception. Une marque reste un « repère mental sur son marché ». Quel est le repère ? Qu’est-ce qui fait repère ? sont toujours les questions clés. La différenciation est désormais moins recherchée que dans le passé. Dans le monde souvent bien compliqué de la consommation, la quête de confiance redevient la norme.

Au global, le critère numéro 1 d’une marque est la confiance qu’elle inspire, quel que soit le circuit de distribution, le digital ne faisant certainement pas exception.

Plus précisément, quels éclairages sont prioritaires ?

Deux questions demeurent essentielles pour les marques. Quel repère constituent-elles ? Quelle confiance génèrent-elles ?

Elles doivent donc s’interroger sur ce en quoi elles et leurs produits jouent bien ce rôle de repère sur leur marché, en qualité et en statut, mais toujours en lien étroit avec leurs convictions. La marque doit savoir se raconter simplement, avec des faits et des mots. Cette aptitude est en train de se perdre au profit du bénéfice immédiat. Le consommateur est devenu un sachant de ses produits et un savant de ses marques. Ne le mésestimons donc pas !

Les marques doivent s’interroger sur ce en quoi elles et leurs produits jouent bien ce rôle de repère sur leur marché, en qualité et en statut, mais toujours en lien étroit avec leurs convictions.

La confiance est stratégique dans un contexte où les consommateurs se sentent vulnérables, elle est bien la réponse à un besoin. 63% des consommateurs jugent au travers de ce critère — facilement mesurable — si la marque est à même de satisfaire leurs attentes. Plus de 71% des Français considèrent en 2023 que pouvoir faire confiance aux marques est plus important que par le passé. Et 73% sont attirés par les marques qui renforcent ce sentiment de confiance et de sécurité, soit 9 points de plus qu’en 2022 (5).

Comment les accompagnez-vous sur ces enjeux ? Avec quels outils ?

Nous avons développé une méthode, « Brand Profiling », qui se déroule en 4 étapes. La première est celle de l’analyse quantitative, les chiffres étant indispensables pour avoir une vue d’ensemble et éviter de « prendre l’exception pour la règle », erreur régulière de certains communicants. Vient ensuite la phase du focus-group, pour saisir et faire s’entrechoquer les sensibilités des consommateurs. Lorsqu’elle est bien menée, la réponse à la question posée apparait comme une révélation, tel le « pop » qui se fait entendre après un bon coup de tire-bouchon. L’étape du « brand-profiling » à proprement parler est celle au cours de laquelle, comme dans les séries TV, on suit « chez eux » quelques consommateurs et consommatrices pour comprendre l’usage précis, le mode décisionnel caché, quelquefois peu avoué ou si routinier qu’on ne l’évoque jamais. C’est une force de notre cabinet d’étude et de conseil auprès des marques d’avoir institué cette phase et de savoir la mener avec efficacité. 

Nous procédons enfin à une valorisation financière de la marque et de ses principaux concurrents. C’est là qu’intervient notre méthode Valomarques. L’idée est d’analyser le « price power », le surplus payé pour cette marque ramené à son chiffre d’affaires. Car le consommateur est, in fine, le juge suprême. S’il accepte de payer plus cher, c’est un bon signe de la force de la marque, numérique ou physique.

Une dernière question enfin. Pouvez-vous évoquer un exemple de chantier sur lesquels vous avez travaillé sur ces sujets ?

Avec mon équipe, nous travaillons actuellement sur ce qui était considéré comme un « mystère marketing » : la réussite du « Rosé tendre », un vin rosé fruité et légèrement « sucré », décrié des professionnels et dont les ventes ont déjà atteint des niveaux impressionnants et progressent encore. Les vignerons d’Anjou étaient perplexes face à ce succès, en ayant bien du mal à imaginer le profil des acheteurs…

Nous avons donc mené l’enquête, avec notre méthode. Et nous sommes allés de surprise en surprise… La première est venue avec les résultats de l’étude quantitative, qui a révélé que ce vin est un vin de jeunes femmes, de la génération « soft-drink », plutôt aisées, et ayant une consommation régulière, au moins 1 fois/mois. La seconde tombe avec les focus-groupe, qui nous dévoilent que ces acheteuses ont l’habitude de « réunions girly », d’apéros déjeunatoires ou dinatoires, et ont adopté « spontanément » ce Rosé fruité comme leur boisson. 

Nous avions donc bien identifié la cible. Et, qui plus est, une cible d’avenir ! Nous sommes allés les voir, les interroger, et avons découvert que ce qui accompagnait ces apéros était toujours de la worldfood, ce mélange d’acras de morue, de falafels, de sushis, de fruits, de fromage… Nous avions ainsi la réponse à la question « À quoi je sers ? ».

La dernière étape est celle où nous rajoutons un zeste de créativité. Pour échapper à la complexité de plusieurs appellations, nous avons « créé » la marque « Rosé tendre ». La worldfood avait enfin trouvé son accord mets-vins : Cuisine du monde et Rosé tendre, ils vont si bien ensemble ! Le slogan a suivi : « Sucré/Salé/Rosé ». Il nous reste à travailler sur la partie valorisation. Les grands distributeurs vont devoir comprendre que, pour tenir leurs clientes, il va leur falloir accepter une augmentation du prix. On ne reçoit quand même pas ses meilleures copines avec un vin de pauvre ! 



 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Georges Lewi 

  • Retrouver les points de vue des autres intervenants du dossier 

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