Si le lancement de ChatGPT a fortement marqué les esprits y compris auprès du grand public, il ne doit cependant pas occulter des usages spécifiques de l’Intelligence Artificielle, notamment pour répondre à des problématiques marketing bien précises. C’est le cas pour les enjeux de packaging en magasin physique et dans le domaine du e-commerce, où les écarts de performance entre une bonne et une moins bonne proposition peuvent se chiffrer à coup de millions d’euros… Damien Arrouas, VP Customer Success chez Behaviorally — un des leaders mondiaux des tests de packaging — évoque les possibilités qu’ouvre l’IA sur le cœur de métier de sa société.
MRNews : Les acteurs des études marketing utilisent l’IA depuis déjà quelques années, mais le lancement de ChatGPT a été un énorme accélérateur. Quelle est votre vision et celle de Behaviorally quant à cet usage et son intérêt ?
Damien Arrouas (Behaviorally) : Il y aura à l’évidence un avant et un après lancement de ChatGPT, qui a permis au grand public de prendre conscience des possibilités étonnantes qu’offre l’IA. Il reste des sceptiques, comme il y en avait eu au début d’internet, aussi bien dans les sociétés d’études que côté annonceurs où les réactions sont fort contrastées. Mais je crois nécessaire néanmoins de faire un distinguo entre les possibles usages de l’IA. Et notamment entre ce que l’on appelle le « Narrow AI », qui est entrainée pour une tâche bien précise à la différence de ChatGPT, qui relève lui de l’Artificial General Intelligence.
L’intérêt de Behaviorally s’est déclenché très tôt sur le champ associé à notre coeur de métier, les tests de packaging, et donc dans cette veine ‘Narrow AI’. Le schéma est assez simple. À partir de toutes les études que nous avons menées depuis des années, nous avons constitué une gigantesque base de données agrégeant toutes nos observations. Cela nous a permis de définir des algorithmes établissant le lien entre les ingrédients utilisés dans les propositions de packs et les réactions des consommateurs. Nous pouvons ainsi modéliser et prévoir les performances potentielles d’une piste avant même d’interroger les consommateurs. Et ce dans des temps extrêmement courts du fait la puissance de ce que l’on appelle les ‘Large Language Models’.
À partir de toutes les études que nous avons menées depuis des années, nous avons constitué une gigantesque base de données agrégeant toutes nos observations. Cela nous a permis de définir des algorithmes établissant le lien entre les ingrédients utilisés dans les propositions de packs et les réactions des consommateurs. Nous pouvons ainsi modéliser et prévoir les performances potentielles d’une piste avant même d’interroger les consommateurs.
Cela signifie que l’IA est déjà aujourd’hui fortement présente dans les solutions Behaviorally ?
Absolument. Oui, on peut considérer que l’IA est intégrée dans quasiment 90% de notre mix-produit. Nous avons défini un indicateur, PackPowerScore™, qui constitue une sorte de NPS du pack et estime le potentiel de vente en s’appuyant sur les principes de modélisation que je viens d’évoquer. Nous utilisons concrètement deux solutions, pour répondre à des besoins distincts. La première, Pack.AI, s’intéresse spécifiquement à la problématique des chances de succès des packs dans les points de vente physique. La seconde, eCom.AI, a été conçue pour adresser les enjeux du commerce en ligne, et à la question de savoir quelles images sélectionner pour maximiser le potentiel de conversion des ‘Product Description Pages’.
Commençons par l’univers des magasins physiques. Qu’apporte concrètement l’IA dans ce contexte ?
L’idée clé, c’est de permettre aux industriels de ‘screener’ différentes pistes plutôt que de devoir toutes les étudier via des tests consommateurs. Nous proposons ainsi une nouvelle étape en amont de ceux-ci. En exploitant nos bases de données — qui agrège plus de 18 millions d’observations — et avec nos algorithmes, nous obtenons des éclairages extrêmement rapides, enrichis naturellement par l’expertise de nos équipes. On ne teste auprès des consommateurs que des pistes de packaging dont on sait qu’elles ont une vraie chance de succès. L’IA nous permet ainsi de booster l’efficacité de nos tests. Cela engendre un gain de temps considérable pour nos clients dans leurs processus de décision, mais également un avantage budgétairesubstantiel. C’est le cas notamment pour les industriels qui ont énormément d’idées à explorer, mais aussi pour des sociétés aux moyens plus modestes, qui peuvent mieux focaliser leurs investissements.
En exploitant nos bases de données — qui agrège plus de 18 millions d’observations — et avec nos algorithmes, nous obtenons des éclairages extrêmement rapides, enrichis naturellement par l’expertise de nos équipes. . On ne teste auprès des consommateurs que des pistes de packaging dont on sait qu’elles ont une vraie chance de succès. L’IA nous permet ainsi de booster l’efficacité de nos tests.
La seconde solution que vous évoquiez concerne spécifiquement le commerce en ligne…
Oui. Lorsque le consommateur cherche un produit sur un site e-commerce, il scrolle ou fait dérouler un carrousel pour visualiser les différentes propositions. Si une image capte son intérêt, il clique pour en savoir plus, et arrive sur une page Produit, sa visite se concrétisant ou pas par un achat. Le fait est que les images jouent un rôle considérable pour déclencher l’attention puis le passage à l’acte. Selon un schéma similaire à celui qui nous venons d’évoquer, nous avons constitué une base de données et analysé plus de 36 millions d’heures d’activité e-commerce. Nous avons ainsi élaboré un modèle permettant de mesurer le potentiel des images, de prévoir lesquelles vont assurer les meilleures performances commerciales. Il est naturellement possible d’analyser plus en détail les propositions. Par exemple, pour certaines catégories, de croiser la clarté du message avec sa capacité à véhiculer la perception d’un produit « luxueux ».
Selon un schéma similaire à celui qui nous venons d’évoquer, nous avons constitué une base de données et analysé plus de 36 millions d’heures d’activité e-commerce. Nous avons ainsi élaboré un modèle permettant de mesurer le potentiel des images, de prévoir lesquelles vont assurer les meilleures performances commerciales.
En somme, l’intelligence artificielle évalue l’illustration sur un certain nombre de critères et en déduit son potentiel en s’appuyant sur une large base d’informations. S’agit-il d’une « boite-noire », avec un immense nombre de critères ?
L’analyse est réalisée en mode « computer vision », mais nous sommes en effet sur un set limité de critères, tels que la forme, le contraste, la couleur, … Pour être précis, les modélisations ont permis d’identifier 8 critères clés s’agissant de la performance des images. Avec des algorithmes qui sont néanmoins aujourd’hui déclinés selon 12 grands univers catégoriels.
Les modélisations ont permis d’identifier 8 critères clés s’agissant de la performance des images. Avec des algorithmes qui sont néanmoins aujourd’hui déclinés selon 12 grands univers catégoriels.
Mais là encore, j’insiste sur ce point, nous sommes dans le domaine de la modélisation, il s’agit bien de prévisions reposant sur des algorithmes. Ceux-ci ne sortent pas d’un chapeau. En amont, il y a bien eu une intelligence humaine pour poser des hypothèses, puis solliciter les ressources informatiques pour les tester et les optimiser. L’intelligence humaine intervenant également en aval pour apporter une expertise, interpréter, proposer des conseils.
Nos prévisions ne sortent pas d’un chapeau. En amont, il y a bien eu une intelligence humaine pour poser des hypothèses, puis solliciter les ressources informatiques pour les tester et les optimiser. L’intelligence humaine intervenant également en aval pour apporter une expertise, interpréter, proposer des conseils.
À partir de cette « intelligence », vous est-il possible de délivrer des règles relativement transversales quant aux les ingrédients les plus performants pour un packaging ou une ‘Product Description Page’ ?
Absolument, et c’est bien pour cela que nos clients utilisent eCom.AI. Cela dit, ces règles peuvent varier d’une catégorie à l’autre ; et c’est bien la raison pour laquelle nous avons développé (et continuons à le faire) nos modèles prenant en compte ces différences sectorielles. Il existe néanmoins des principes à respecter pour maximiser la conversion. Ils s’articulent notamment autour de trois questions : les images eCom permettent-elles aux shoppers de discerner la marque, la variante et la taille ? Les éléments distinctifs de la marque sont-ils exploités au maximum ? Comment la quantité est-elle communiquée ? Souvent nos clients utilisent cette solution afin d’identifier ces règles transversales pour leurs catégories de produits tout en intégrant la concurrence. Nous parlons de milliers d’images analysées et donc d’un volume d’analyse énorme, impossible sans l’IA.
Il existe néanmoins des principes à respecter pour maximiser la conversion. Ils s’articulent notamment autour de trois questions : les images eCom permettent-elles aux shoppers de discerner la marque, la variante et la taille ? Les éléments distinctifs de la marque sont-ils exploités au maximum ? Comment la quantité est-elle communiquée ?
Une dernière question enfin. Vous l’avez évoqué, l’IA ne remplace pas les tests, mais permet d’en booster l’efficacité. Peut-elle ou pourra-t-elle un jour concevoir elle-même des propositions de packaging à fortes chances de succès ?
On voit des réalisations intéressantes s’inscrivant dans cette logique. Certains de nos clients utilisent ces ressources en particulier pour détecter des tendances en termes de packaging. Par exemple l’appétence de certaines cibles pour des propositions bien spécifiques. Il est clair que la puissance potentielle de ces outils est fascinante. Quand on donne à Dall-E 2d une image comme celle du tableau de Vermeer — La jeune fille à la perle — il est capable d’imaginer le contexte de cette scène, avec une crédibilité troublante…
L’intelligence artificielle va-t-elle booster la créativité des professionnels et des agences de design dans notre cas ? Ou bien va-t-elle aller plus loin et permettre de les remplacer ? Je ne le sais pas, mais c’est une vraie grande question, et les réponses viendront certainement très vite au rythme où vont les choses !
POUR ACTION
• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Damien Arrouas