Isabelle Fabry - Fondatrice d'ActFuture

« L’IA se prête à un mariage génial avec les études qualitatives ! » – Interview d’Isabelle Fabry (ActFuture)

10 Nov. 2023

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L’usage de l’open IA dans les études marketing est accueilli avec méfiance ou scepticisme par certains, mais soulève aussi de l’enthousiasme chez d’autres. C’est à l’évidence le cas s’agissant de la fondatrice d’ActFuture, Isabelle Fabry, pour qui nous vivons les prémices d’une vraie révolution dans ce métier de la chasse aux insights. Et qui propose de nouvelles approches reposant sur un mariage — une fusion — entre les techniques d’études qualitatives les plus classiques et l’IA. Elle nous présente celles-ci en nous faisant fait part de ses convictions.

MRNews : Dans tous les univers professionnels, l’intelligence artificielle suscite des attitudes contrastées et souvent des craintes. Quelle est votre vision ? Faut-il avoir peur de l’IA ?

Isabelle Fabry (ActFuture) : Je suis pour ma part vraiment dans le « Go ! » de l’usage de l’IA, que j’ai intégré au quotidien. Y compris pour trouver de nouvelles recettes de cuisine ou optimiser les miennes (rires), mais surtout en tant que professionnelle de la recherche marketing. Tout simplement parce que ces outils nous permettent d’aller plus loin et plus vite, et ouvrent considérablement le champ des possibles. Bien sûr, les craintes existent, et je les comprends. L’IA actualise à la puissance 2 ou 3 la peur du remplacement de l’homme par la machine, qui ne date pas d’hier. Une autre grande appréhension est de voir se développer des comportements non conformes aux règles éthiques, qu’elles soient universelles ou propres à un métier comme le nôtre. Mais, sur ces enjeux, il est parfaitement possible de se définir un cadre et de le respecter. Cela ne dépend que de nous, et il n’y a donc pas de raison de mon point de vue de se priver d’un outil aussi génial. Pour la qualitativiste dans l’âme que je suis, je me dis voilà, je peux enfin me sortir des limites de l’artisanat, j’ai une matrice pensante et stimulante, désormais installée dans mon atelier ! Et ce tout en conservant et même en capitalisant sur notre expertise fondamentale, qui s’en trouve renforcée, boostée grâce à ce super « sparring partner ».

L’IA est-il un « apport » comme il y en a eu bien d’autres dans l’histoire des études marketing ? Ou bien une vraie révolution ?

Je le perçois comme un bouleversement ou une révolution en effet, mais qui reste en grande partie à venir. Je ne sais plus qui disait que les gens surestimaient souvent les impacts des innovations à court-terme, mais sous-estimaient à contrario leurs incidences à moyen-long terme. Il me semble que cela s’applique très bien au cas de l’open IA, qui est une révolution dont nous n’avons vu jusqu’ici que les prémisses. Avec probablement un fossé énorme entre ceux qui vont monter dans le train et ceux qui resteront à quai. 

Vous l’avez dit, l’IA est d’ores et déjà entré dans vos usages. Vous proposez même de nouvelles approches qui l’intègrent. Quelles sont-elles ? Pour répondre à quelles questions ? 

Le principe clé consiste à « marier » et même « fusionner » les démarches d’études que nous utilisons classiquement – à base de réunions de groupe ou d’entretiens individuels – et l’IA. Il ne s’agit surtout pas de remplacer l’intuition humaine, qui reste « maitre à bord » et est au cœur de notre savoir-faire. Mais de la nourrir et de la « booster », en lui permettant de bénéficier de la rapidité et de l’ouverture des possibles qu’apporte l’IA. 

Le principe clé (de notre proposition) consiste à « marier » et même « fusionner » les démarches d’études que nous utilisons classiquement – à base de réunions de groupe ou d’entretiens individuels – et l’IA. Il ne s’agit surtout pas de remplacer l’intuition humaine, qui reste « maitre à bord » et est au cœur de notre savoir-faire. Mais de la nourrir et de la « booster », en lui permettant de bénéficier de la rapidité et de l’ouverture des possibles qu’apporte l’IA. 

Nous avons en fait conçu deux démarches distinctes, couvrant deux natures de besoins différents. La première consiste à se servir de ChatGPT pour « augmenter » le nombre et la pertinence des insights générés dans le cadre de nos réunions de groupe. En pratique, au fur et à mesure que nous identifions les insights produits par les participants, nous les travaillons en temps réel avec ChatGPT, nous les enrichissons. Imaginons que nous travaillons sur les lessives de demain et que les consommateurs évoquent le concept des lessives en feuille, l’IA nous permet d’appréhender instantanément les points à creuser auprès d’eux, notamment les conditions de succès à remplir. Et nous réinjectons immédiatement ces matériaux dans la suite de la réunion. Ce qui pouvait prendre plusieurs heures, voire jours, se fait en quelques minutes. Sachant que le client annonceur qui suit la génération d’insights en live peut lui aussi intervenir et faire approfondir en live les signaux pertinents.

Vous intégrez dans le processus d’animation du groupe une itération entre les consommateurs et l’IA…

Absolument ! Ce qui nous permet ainsi d’aller tout de suite beaucoup plus vite et plus loin que nous n’aurions pu le faire dans les protocoles habituels. On ne reporte pas à plus tard – éventuellement dans une seconde étude – le fait de solliciter les consommateurs pour creuser ce qui mérite de l’être, on le fait immédiatement !

La seconde approche consiste à recourir à l’IA non pas en aval de la production d’idées des participants et donc pendant la réunion de groupe, mais en amont. Sur un sujet donné, on utilise l’IA pour appréhender des idées que l’on va ensuite retravailler avec les consommateurs. Imaginons que je cherche les conditions qui permettraient de mieux répondre aux besoins d’une cible sur un marché donné, l’IA me délivre des éléments que je vais pouvoir approfondir, et sur lesquels nos consommateurs vont pouvoir rebondir. Il est bien sûr tout à fait possible de compléter ce travail de recherche en allant puiser dans d’autres sources que celle de l’IA, celles que nous exploitons habituellement. 

Dans les deux cas, nous orchestrons une forme d’itération entre les consommateurs et l’IA pour pouvoir faire avancer la réflexion en mode hyper accéléré et sur un champ très ouvert. Tout en ayant la latitude, si c’est nécessaire, de se poser avec nos interlocuteurs côté annonceurs pour écarter des pistes qu’il serait inutile de creuser. Ou bien au contraire pour zoomer sur d’autres. 

Dans les deux approches, nous orchestrons une forme d’itération entre les consommateurs et l’IA pour pouvoir faire avancer la réflexion en mode hyper accéléré et sur un champ très ouvert.

Ces approches vous semblent-elles plus particulièrement pertinentes pour des secteurs ou des enjeux précis ? 

On peut spontanément penser à des domaines où les évolutions sont rapides, par exemple celui de la mode ou de la technologie. Mais, en réalité, je crois qu’aujourd’hui tout peut aller très vite partout, il n’y a plus de secteurs « plan-plan » !

Son usage suppose cependant certaines conditions « mentales » ou culturelles du côté des équipes des annonceurs. Certaines choisissent ne pas mettre de bornes trop tôt dans la recherche d’innovations, elles intègrent le fait qu’elles auront à arbitrer, trancher, mais penchent pour le faire après avoir exploré beaucoup de pistes, quitte à ce que certaines soient un peu « dérangeantes ». D’autres préfèrent se limiter assez vite à ce qu’elles jugent comme étant possible. Sans doute les approches que nous venons d’évoquer conviendront mieux aux premières qu’aux secondes.

ChatGPT peut être « bluffant », en particulier dans sa capacité à résumer l’information. Il produit néanmoins aussi des aberrations… N’est-ce pas un problème ?

C’est vrai. C’est même devenu un réflexe pour moi de le confronter à celles-ci. Là encore, je vois une ligne de partage. Pour certains, le fait que l’IA génère des aberrations peut constituer un point de blocage. Pour d’autres non, et je me range de ce côté-là. Je considère que l’IA n’a pas vocation à délivrer des certitudes, mais plutôt à fournir un jeu d’hypothèses que l’on va pouvoir confronter à d’autres sources, tester et éprouver avec les consommateurs. C’est un peu comme lorsqu’on apprend à conduire… Pendant un temps, on a l’impression que la voiture va faire ce qu’elle veut, jusqu’au jour où l’on sait pouvoir la maitriser. On peut également faire le parallèle avec le fait de travailler avec un chargé d’études. Celui-ci est plus ou moins « bon », mais c’est à vous de décider ce que vous prenez ou pas dans ce qu’il fait. Et c’est aussi vous qui le faites progresser ! 

Je considère que l’IA n’a pas vocation à délivrer des certitudes, mais plutôt à fournir un jeu d’hypothèses que l’on va pouvoir confronter à d’autres sources, tester et éprouver avec les consommateurs.

Exploiter ainsi l’IA génère-t-il des coûts additionnels ?

Non. Cela s’inscrit dans une recherche documentaire complètement intégrée à nos processus de travail. Si ces outils nous permettent d’aller plus vite, d’apporter plus d’informations, c’est au bénéfice de nos clients, ça ne leur coute pas plus cher. Mais cela implique une forme d’investissement de leur part, ils doivent avoir les ressources nécessaires pour faire des choix. Les études ne disent pas quoi faire, elles ont vocation à délivrer des enseignements pour prendre des décisions. Plus on produit d’éclairages, plus il est important de bien les gérer. Mais nous sommes aussi là pour les y aider. La relation que nous avons avec nos clients s’inscrit dans une logique de partenariat. A toutes les étapes, on échange, on affine ensemble… Et on ajuste parce qu’il faut de la souplesse, savoir abandonner certaines pistes et en prendre de nouvelles. C’est tout cela qui permet d’avoir les meilleurs résultats.

Voyez-vous un dernier point à ajouter ?

Je suis frappée par le fait que beaucoup de personnes ont peur de l’IA, de ces aberrations que nous avons évoquées, ou des enjeux éthiques que son usage soulève. Ma vision néanmoins est que ce sont toujours les humains qui définissent les règles du jeu, le cadre dans lequel agir avec ces outils. J’en profite pour signaler qu’Esomar est notamment en train de faire un travail intéressant sur ces questions d’éthique. 

Ma conviction est que le mariage entre les études qualitatives et l’IA peut produire quelque chose de vraiment génial ! Mais à la condition de rester fidèle à la nature même des études qualitatives, et à cet esprit d’ouverture qu’elles exigent d’avoir. On est toujours dans une forme d’aventure pour explorer de nouvelles idées. Sauf que là, plutôt que de le faire à pied, on peut désormais prendre une fusée ! 

Ma conviction est que le mariage entre les études qualitatives et l’IA peut produire quelque chose de vraiment génial ! Mais à la condition de rester fidèle à la nature même des études qualitatives, et à cet esprit d’ouverture qu’elles exigent d’avoir. On est toujours dans une forme d’aventure pour explorer de nouvelles idées. Sauf que là, plutôt que de le faire à pied, on peut désormais prendre une fusée ! 


 POUR ACTION 

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