L’IA générative est sans doute aujourd’hui dans le top 5 des termes les plus utilisés dans les échanges entre acteurs du market research. Mais de quoi s’agit-il concrètement ? Quels sont ses apports, en particulier dans l’écoute des consommateurs sur les réseaux sociaux ? Et quels sont les axes d’évolutions possibles ? Ce sont les questions que nous avons posées à Mathilde Guinaudeau, qui dirige l’expertise Social Intelligence & Analytics Expertise au sein d’Ipsos, et à François Thiebaut, expert de la solution Ipsos Synthesio, qui vient d’intégrer cette brique à sa plateforme.
MRNews : Comment définiriez-vous en quelques mots ce qu’est l’IA « générative » ?
Mathilde Guinaudeau (Ipsos) : Il s’agit d’une intelligence artificielle capable de générer du texte à partir de corpus de données en s’appuyant sur des modèles de langages (LLM). Cela permet de générer des éléments textuels, mais aussi pourquoi pas des images, des sons ou des vidéos. Bien sûr, les éléments générés pourraient être élaborées « à la main », par des humains, mais cela leur prendrait des années ! La force de l’IA générative est de pouvoir faire ça en quelques secondes, même si les corpus sont gigantesques. L’intégration de l’IA générative constitue donc un saut décisif pour le market research.
François Thiebaut (Ipsos Synthesio) : Appliquée au social listening et donc, à la donnée non structurée, l’IA générative change radicalement la donne de par sa capacité à compiler l’information avec beaucoup de simplicité et d’efficacité en un temps record.
Ipsos a annoncé récemment avoir procédé à une intégration de l’IA générative sur sa plateforme de social listening Synthesio. Comment celle-ci est-elle utilisée ?
FT : Il faut imaginer la plateforme Ipsos Synthesio comme une sorte de super « aspirateur » de données de type « social média », que l’on trouve en particulier sur les réseaux sociaux. Il y a au global plus de 600 millions de sources en ligne dont nous aspirons les données et celle-ci sont ensuite traitées en se reposant sur l’intelligence artificielle dite « classique ». La difficulté de l’exercice étant de parvenir à naviguer dans un océan aussi immense, et de détecter ce que l’on appelle les « Golden Nuggets », les données les plus éclairantes pour répondre à un enjeu business précis dans le cadre d’une étude. C’est sur cette plateforme que nous avons déployé l’IA Générative, qui renforce considérablement la puissance de l’outil pour nos utilisateurs. Concrètement, nous avons intégré une bibliothèque d’angles d’observations de la donnée. Facialement, ce sont des « boutons », derrière lesquels des instructions, des prompts, ont été élaborés. Plutôt que d’interroger directement ChatGPT, et de poser 150 questions pour aboutir à un output potentiellement satisfaisant mais non contrôlé, les utilisateurs peuvent désormais exploiter hyper efficacement une base de données créée et sourcée par Ipsos.
Plutôt que d’interroger directement ChatGPT, et de poser 150 questions pour aboutir à un output potentiellement satisfaisant mais non contrôlé, les utilisateurs peuvent désormais exploiter hyper efficacement une base de données créée et sourcée par Ipsos.
François Thiebaut
Un des paramètres majeurs de la pertinence des réponses apportées par l’IA, c’est la qualité des prompts. Élaborer ceux-ci devient même une compétence et un métier à part entière. Au fond, c’est cela que vous avez intégré ?
MG : Tout à fait ! Une fois que les utilisateurs ont défini la thématique de leur choix — une catégorie de produits ou une marque en particulier — le fait de simplement cliquer sur un bouton leur permet d’accéder à une analyse basée sur les frameworks propriétaire d’Ipsos, écrit par nos experts, avec toutes les garanties d’obtenir un éclairage efficace. Ils peuvent à la fois capitaliser sur l’expertise de nos spécialistes — rédiger des prompts pertinents fait partie de leur métier — et exploiter une base sourcée, maitrisée, en dépassant ainsi les limites habituelles de ChatGPT.
Une fois que les utilisateurs ont défini la thématique de leur choix — une catégorie de produits ou une marque en particulier — le fait de simplement cliquer sur un bouton leur permet d’accéder à une analyse basée sur les frameworks propriétaire d’Ipsos, écrit par nos experts, avec toutes les garanties d’obtenir un éclairage efficace.
Mathilde Guinaudeau
Quels sont plus précisément les éclairages que permettent d’activer ces « boutons » ?
FT : Nous avons défini une trentaine de boutons, rassemblés autour de 5 grandes verticales. Cela recouvre notamment la compréhension du marché, celle de la marque, l’innovation, les tendances. Ainsi que l’usage de frameworks propres à Ipsos, comme la grille motivationnelle Censydiam, ou bien encore un prisme conçu pour appréhender les enjeux RSE. Très concrètement, s’agissant d’une marque, il est par exemple extrêmement facile d’identifier quelles sont ses caractéristiques distinctives versus les acteurs concurrents, en quelques secondes.
Derrière ces boutons, les « prompts » ne sont pas nécessairement très longs. Mais ils sont précis, élaborés pour viser une grande efficience dans une logique de recherche marketing. Si l’on s’intéresse à des tendances par exemple, nous avons l’habitude de distinguer chez Ipsos des nano-tendances, des macro-tendances et des micro-tendances. Les boutons que nous avons définis intègrent ce niveau de subtilité.
Jusqu’où ces outils permettent-ils d’aller dans la recherche marketing ? Comment leur usage s’articule avec l’intelligence humaine ?
MG : L’IA générative telle que nous avons pu l’implémenter apporte une aide précieuse pour élaborer des recommandations marketing. Elle permet en particulier de synthétiser les besoins non adressés sur un marché donné, les attentes des consommateurs. Le sens de l’histoire est de pouvoir aller encore plus loin, en demandant à l’Intelligence Artificielle de proposer de nouvelles idées de produits pour répondre à ces attentes, en précisant les bénéfices clés à mettre en avant.
Mais, et cela nous semble vraiment important d’insister là-dessus, les outputs de l’intelligence artificielle restent des matériaux pour nourrir la réflexion, l’inspirer. Ce sont des aides. Lorsque des experts Ipsos les utilisent, il n’est en aucun cas imaginable qu’ils se limitent à copier-coller ces éléments dans des rapports sans y apporter leur propre valeur ajoutée. Cela reste notre expertise de vérifier que ces matériaux aient bien un sens par rapport aux enjeux de nos clients, et d’associer nos réflexions à ces éclairages.
L’IA générative telle que nous avons pu l’implémenter apporte une aide précieuse pour élaborer des recommandations marketing (…). Mais, et cela nous semble vraiment important d’insister là-dessus, les outputs de l’intelligence artificielle restent des matériaux pour nourrir la réflexion, l’inspirer. Ce sont des aides.
Mathilde Guinaudeau
Le lancement est très récent. Quels sont les premiers retours d’expérience ?
MG : Ces fonctionnalités ont été mises à disposition de nos clients depuis seulement mi-septembre. Ceux-ci sont aujourd’hui en train de les tester massivement, avec plus de 4000 interrogations de la plateforme en l’espace de quelques jours. Les premiers retours sont extrêmement positifs, notamment sur le gain de temps que ces outils peuvent procurer. Une de nos interlocutrices nous a relaté qu’elle obtenait en quelques secondes un éclairage qui, auparavant, lui demandait 15 jours de travail. Mais là encore, je tiens vraiment à le préciser, si l’apport de l’outil est enthousiasmant, il ne s’agit en aucun cas d’une baguette magique.
L’IA a-t-elle d’autres usages au sein d’Ipsos ?
MG : Oui, tout à fait. Nous avons en particulier mené un chantier important pour répondre à nos besoins internes. Nous avons identifié toutes les tâches réalisées par nos collaborateurs au niveau mondial, aussi diverses soient-elles, qui pourraient être facilitées par l’IA générative. La première liste comportait 200 tâches, nous l’avons progressivement réduite à 60. Par exemple rédiger des mails, résumer une réunion de travail ou bien un rapport d’études, traduire un questionnaire … À partir de là, nous avons pu investir dans une solution d’IA générative interne que nous avons dénommée Ipsos Facto, à laquelle ont accès tous les collaborateurs Ipsos, qu’ils aient des fonctions marketing, administratives ou de production… Nous utilisons ainsi cet outil au quotidien, à l’instar de Google ou de logiciels bureautiques, il nous permet tout simplement d’être plus efficaces.
Nous avons (aussi) mené un chantier important pour répondre à nos besoins internes. Nous avons identifié toutes les tâches réalisées par nos collaborateurs au niveau mondial, aussi diverses soient-elles, qui pourraient être facilitées par l’IA générative (…). Et avons ainsi pu investir dans une solution d’IA générative interne que nous avons dénommée Ipsos Facto (qui) est utilisée au quotidien et nous permet tout simplement d’être plus efficaces.
Mathilde Guinaudeau
FT : Il est important de noter qu’Ipsos Facto garantit la confidentialité des données, puisqu’il est construit dans un environnement clos, propre et dédié à Ipsos. Les données ne sont donc déversées dans le domaine public.
Ces solutions sont-elles uniques sur le marché dans l’univers du market research ?
FT : Le chantier que vient d’évoquer Mathilde n’a à ma connaissance pas d’équivalent dans notre univers. Pour ce qui est de l’intégration de l’IA générative pour répondre aux besoins des entreprises, tout le monde est sur le pont ! Mais notre grande force est d’avoir, déjà mis en place un outil d’IA générative acessible à tous les collaborateurs d’Ipsos (Ipsos Facto), mais aussi d’avoir intégré de l’IA générative au sein des solutions à destination de nos clients, comme notre plateforme Ipsos Synthesio. Par ailleurs, j’ajouterai que notre position sur le marché nous a permis de construire des partenariats de tout premier plan, avec OpenAi et Google. C’est un vrai gros avantage…
Entrevoyez-vous des évolutions sur ces usages de l’AI générative ?
MG : Aujourd’hui, l’IA générative est surtout utilisée pour chercher des gains de productivité ou pour synthétiser des observations sur des marchés ou des marques, par exemple. Mais ces modèles offrent bien plus. Je pense notamment à la créativité, comme la conception de nouveaux produits ou services.
FT : En effet, nos modèles sont aujourd’hui paramétrés pour répondre à des questions précises comme évoqué par Mathilde, mais nous pouvons aussi les paramétrer pour être plus créatifs et moins précis pour servir l’innovation. Sans doute on pourra imaginer avoir recours à plusieurs modèles en fonction du degré de créativité recherchée. Ce qui est clair, c’est que plus on souhaitera que l’IA générative apporte des réponses créatives, plus l’humain devra intervenir pour bien exploiter celles-ci.
Nos modèles sont aujourd’hui paramétrés pour répondre à des questions précises comme évoqué par Mathilde, mais nous pouvons aussi les paramétrer pour être plus créatifs et moins précis pour servir l’innovation. Sans doute on pourra imaginer avoir recours à plusieurs modèles en fonction du degré de créativité recherchée.
François Thiebaut
Voyez-vous un dernier point à ajouter ?
MG : La régulation reste encore incertaine, prenez l’Italie par exemple qui a limité les usages de ChatGPT ou l’Europe qui est en train de développer son « AI Act ». Cela aura forcément un impact sur l’utilisation des modèles de l’IA générative.
FT : Le second paramètre est naturellement celui de l’aspect nouveau de cette technologie et en mouvement permanent. On peut imaginer l’arrivée des modèles chinois chambouler le marché actuel. Et la réponse devra être l’agilité. C’est pour cela que nos data-scientists testent ainsi en permanence de nouveaux modèles, open source par exemple, pour s’assurer d’être sur la bonne vague. Donc là encore, tout peut bouger très vite !