# Quelles études marketing pour prendre dix ans d’avance sur ses concurrents ? (volet 1)
L'interview de Céline Grégoire - Co-fondatrice d'Adding Light

"Les marques gagnantes sont celles qui travaillent sur leur pertinence à long terme"

Céline Grégoire
Co-fondatrice d’Adding Light

11 Sep. 2023

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Pour beaucoup, la capacité des marques à prendre de l’avance sur leur marché se mesure nécessairement à la radicalité des innovations qu’elles sont à même d’apporter. Céline Grégoire (Adding Light) nuance fortement cette vision, la différence se jouant plutôt selon elle sur leur aptitude à maintenir et même renforcer leur pertinence sur le long terme, dans des environnements de plus en plus mouvants. Quitte parfois, c’est tout le paradoxe, à ne bouger que peu en apparence, mais toujours en capitalisant sur leurs assets historiques et leur singularité. Elle nous présente ici ses convictions et l’approche développée avec Sylvie Lasoen, co-fondatrice d’AddingLight, pour accompagner les entreprises sur ces enjeux.

MRNews : L’ambition que peut avoir une entreprise de prendre une large avance sur ses concurrents est-elle vraiment réaliste aujourd’hui ?

Céline Grégoire (Adding Light) : C’est une grande et passionnante question ! Pour moi, la réponse est clairement oui, ma vision étant que la capacité des entreprises à anticiper est plus vitale que jamais. Je suis frappée par cette tension qui se manifeste au sein des organisations entre le temps court et le temps long. L’époque que nous vivons favorise à l’évidence le premier, la rapidité et l’agilité sont des qualités essentielles quand tout évolue si vite, à commencer par les comportements des consommateurs. Et l’abondance des données aide et incite à aller dans ce sens. Mais, dans le même temps, les entreprises ressentent de plus en plus fortement le besoin de prendre de la hauteur pour pouvoir adopter les bonnes décisions, surtout depuis la crise du Covid. Elles se doivent de voir loin, mais surtout, de voir « large », et d’ouvrir leur champ de vision, les périmètres concurrentiels étant beaucoup moins étanches que par le passé. Tout est interconnecté et complexe. Si les entreprises ne veulent pas être condamnées à seulement réagir, elles doivent parfaitement comprendre les contextes sectoriels dans lesquels elles évoluent, et appréhender la façon dont ils peuvent être transformés par les mutations sociétales, économiques, technologiques en cours. Une des difficultés et non des moindres étant de ne pas se perdre face à la complexité et au nombre d’éléments à intégrer dans cette réflexion… 

Les entreprises ressentent de plus en plus fortement le besoin de prendre de la hauteur pour pouvoir adopter les bonnes décisions, surtout depuis la crise du Covid. Elles se doivent de voir loin, mais surtout, de voir « large », et d’ouvrir leur champ de vision, les périmètres concurrentiels étant beaucoup moins étanches que par le passé. Tout est interconnecté et complexe.

Prendre de l’avance, c’est donc d’abord et avant tout anticiper, et si possible mieux que les autres ? 

Oui, j’en suis convaincue. Dans le contexte de forte accélération et multiplication des mutations, la crainte pour une marque est d’être dépassée. Les entreprises doivent s’interroger sur leur capacité à durer, à rester des repères essentiels pour leurs publics. Dans certains cas, anticiper peut les inciter à se transformer et/ou à innover radicalement. Mais cela ne s’impose pas systématiquement. C’est le paradoxe que vivent les marques… Pour s’assurer de réussir demain, elles doivent le plus souvent être fidèles à ce qu’elles sont, identifier les assets dont elles disposent et qui seront clés pour garantir leurs succès futurs. Et ne procéder ainsi qu’aux seules inflexions stratégiquement nécessaires. Cette « constance » peut être déstabilisante aux yeux de certains. Mais le véritable enjeu pour les marques est bien celui de la pertinence à long terme, et non du changement pour le changement. Elles doivent donc appréhender le contexte, dans lequel elles seront amenées à évoluer à cinq ou pourquoi pas dix ans, mais aussi déterminer ce qu’elles sont et leurs atouts. Quelles sont leurs valeurs, leurs expertises clés qui leur permettront d’être fortes demain ? C’est la philosophie avec laquelle nous les accompagnons sur ces sujets.

Le véritable enjeu pour les marques est bien celui de la pertinence à long terme, et non du changement pour le changement. Elles doivent donc appréhender le contexte, dans lequel elles seront amenées à évoluer à cinq ou pourquoi pas dix ans, mais aussi déterminer ce qu’elles sont et leurs atouts.

Cet accompagnement s’appuie sur une approche spécifique que vous avez développée. Quel en est le principe ?

Notre approche se décompose fondamentalement en 3 temps. La première grande étape consiste à effectuer un état des lieux. Nous réalisons celui-ci en exploitant les données externes disponibles — ChatGPT  l’IAconstituant une aide précieuse —, ainsi que celles dont disposent nos interlocuteurs. Des interviews menées auprès des collaborateurs de l’entreprise jouent aussi un rôle très important dans cette première phase. Vient enfin le recueil des insights à proprement parler, à la fois auprès de consommateurs mais également d’experts. La troisième et dernière étape est consacrée à la définition des plans d’action de nos clients, en mode co-construction, avec des workshops.

Le cœur de la démarche consiste à opérer un double croisement. En utilisant les données disponibles mais aussi et surtout en assimilant les angles de vue des grandes parties prenantes que sont les consommateurs, les collaborateurs… et les perspectives des experts. L’idée est de détecter les macro-trends pour repérer les dynamiques de transformation et les constantes à prendre en compte dans un secteur d’activité, une catégorie, ou s’agissant d’une cible ou plus largement dans la société. Et de pouvoir ainsi anticiper et aiguiller les décisions stratégiques. Mais nous nous efforçons par ailleurs d’appréhender les ruptures ou les « surprises » susceptibles d’intervenir, qui exigeraient un ajustement de ces orientations. C’est ce travail d’ensemble qui permet d’identifier le champ des possibles pertinent pour l’entreprise ou la marque.

L’idée est de détecter les macro-trends pour repérer les dynamiques de transformation et les constantes à prendre en compte dans un secteur d’activité, une catégorie, ou s’agissant d’une cible ou plus largement dans la société. Et de pouvoir ainsi anticiper et aiguiller les décisions stratégiques. Mais nous nous efforçons par ailleurs d’appréhender les ruptures ou les « surprises » susceptibles d’intervenir, qui exigeraient un ajustement de ces orientations.

Quels sont vos partis-pris dans la sélection des « représentants » de ces parties-prenantes et la nature des questions que vous leur posez ?

Côté consommateurs, nous interrogeons assez classiquement ceux qui sont à même de partager une expérience, un vécu s’agissant de l’univers de produits ou de services qui nous intéresse, à l’instar de ce qui est pratiqué pour des investigations de type « ethno ». Mais nous intégrons aussi des consommateurs ayant un profil plus expert, des « prosumers » de la catégorie, notamment dans le cadre des workshops, nous y reviendrons. 

Le point de vue des collaborateurs est également essentiel dans l’établissement de l’état des lieux. Bien sûr, la sélection se fait au cas par cas, mais nous préférons solliciter les représentants de différents métiers dans l’entreprise, des personnes travaillant par exemple dans les domaines des achats, de la finance, les services clients, les fonctions commerciales, la R&D…Ils nous fournissent des indications précieuses sur les données à disposition de l’entreprise, ainsi que sur les perspectives, leurs envies. Ce qui peut être fait, mais aussi là où sont les limites, qu’elles soient financières, organisationnelles, culturelles… La prise en compte de leur point de vue est décisive, tant pour la qualité des éclairages que pour la mise en œuvre des plans d’action en fin de démarche. L’apport des experts est également capital…

Les collaborateurs nous fournissent des indications précieuses sur les données à disposition de l’entreprise, ainsi que sur les perspectives, leurs envies. Ce qui peut être fait, mais aussi là où sont les limites, qu’elles soient financières, organisationnelles, culturelles…

Quels experts interrogez-vous ?

Nous sollicitons deux profils différents. D’une part des experts « académiques », qui nous permettent de bien cerner le périmètre pertinent pour notre réflexion, et de saisir les dynamiques à l’œuvre sur celui-ci. Il peut s’agir par exemple de sociologues, de géographes, d’économistes… Définir le bon casting n’est pas si facile, il faut identifier des personnes dont l’expertise est indiscutable, mais qui sont ouvertes à l’idée de partager leur savoir. Il y a un fort intérêt à compléter leur vision – ou même à la confronter – à celle d’experts catégoriels, des gens du métier. Ils nous permettent eux aussi de prendre de la hauteur, avec une aptitude particulière à cerner les ruptures pouvant intervenir sur un marché. Ils nous indiquent les signaux faibles les plus pertinents à intégrer, et les potentiels angles morts à surveiller.

Nous sollicitons deux profils différents. D’une part des experts « académiques » (…) mais aussi des experts catégoriels, des gens du métier. Ils nous permettent eux aussi de prendre de la hauteur, avec une aptitude particulière à cerner les ruptures pouvant intervenir sur un marché.

Cet état des lieux étant réalisé, reste à définir des choix stratégiques… 

Tout à fait. L’idée est même d’aller plus loin et d’élaborer de véritables plans d’action, co-construits avec les différentes parties prenantes précédemment mobilisées. 

Les faire travailler ensemble est essentiel pour la réussite de la démarche. Il est important que les experts ne soient pas sollicités exclusivement comme des « sachants » pour livrer leur diagnostic. Leur contribution à la définition des orientations business peut être intéressante, précisément parce qu’ils ont une vision claire des limites ou au contraire du potentiel de certaines pistes. Les experts sectoriels sont notamment précieux pour identifier les possibles tournants, les surprises. Leur participation nous permet ainsi de faire rebondir la réflexion, en apportant à la fois de l’anticipation mais également beaucoup de réalisme et de précision. Les consommateurs – ayant des profils « prosumers » ont eux aussi une forte valeur ajoutée. Nous sommes donc ici dans une vraie logique de co-construction.

Nous sommes donc ici dans une vraie logique de co-construction, avec des experts qui ne sont pas sollicités exclusivement comme des « sachants », les collaborateurs et des consommateurs ayant des profils « prosumers »

Une double dernière question enfin : sur quels secteurs d’activité avez-vous mis en pratique cette approche ? Et quel est son atout principal aux yeux de vos interlocuteurs ?

Nous avons eu l’occasion de déployer cette démarche dans l’univers agroalimentaire par exemple. Ou bien encore dans celui de la restauration collective, avec une réflexion qui portait plus spécifiquement sur le domaine de l’industrie manufacturière, en forte évolution depuis la crise du Covid. Les éclairages sociologiques étaient extrêmement riches, le sujet de la restauration sur les lieux de travail étant passionnant ! 

Je pense enfin que nos interlocuteurs apprécient le la vision stratégique et le pragmatisme de notre approche. Quand on travaille sur ces enjeux à long terme, certaines démarches bien connues — Blue Ocean par exemple — amènent à définir un champ des possibles intéressant dans l’absolu mais peu approprié compte tenu de la marque, de son histoire et de ses spécificités. Il nous semble donc préférable d’ancrer la réflexion autour de celle-ci et de sa trajectoire.


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’ interviewé(e) : @ Céline Grégoire

  • Retrouver les points de vue des autres intervenants du dossier 

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