Pour Jérémy Lefebvre (Episto), savoir hybrider les données ouvrira à l’évidence à de plus en plus d’opportunités. Pour parvenir à une meilleure compréhension des consommateurs et des problématiques marketing, mais aussi pourquoi pas pour réaliser des économies dans l’acquisition de l’information. Néanmoins, cela passe selon lui par l’impératif d’une fluidité de la donnée — à la fois sous l’angle technique et culturel — qu’il précise dans le cadre de cet entretien.
MRNews : Quelles clés vous semblent essentielles pour que l’hybridation soit un levier de valeur ajoutée dans les études marketing ?
Jérémy Lefebvre (Episto) : Je pense qu’il faut distinguer au moins deux grandes formes d’hybridation. La première est celle des sources au sein des études consommateurs. Elle est relativement simple en comparaison avec la seconde, celle des données. Les données au sens large proviennent de multiples « endroits » : des études au sens classique du terme, du social listening, mais aussi pourquoi pas des sorties de caisse en distribution, des dispositifs de CRM, d’éléments de market sizing, etcétéra. Du fait de cette hétérogénéité, les données n’ont aucune chance d’être structurées à l’identique. Cela soulève ainsi une difficulté particulière, il faut trouver une façon de les associer pour pouvoir les analyser. Ce sujet n’est pas près de disparaitre, le volume des données – et l’intérêt de les croiser – ne cessant de croitre, avec l’apparition régulière de nouvelles méthodologies, mais également d’outils permettant à la fois de générer, de gérer et d’utiliser ces datas. Dans ce contexte de profusion de données, quelle que soit la problématique étudiée, il existe une multitude de facettes pour pouvoir l’adresser.
Les données au sens large proviennent de multiples « endroits » (…). Du fait de cette hétérogénéité, les données n’ont aucune chance d’être structurées à l’identique. Cela soulève ainsi une difficulté particulière, il faut trouver une façon de les associer pour pouvoir les analyser.
Ce qui est un facteur de richesse de la compréhension…
Absolument. C’est une des 2 grandes bonnes raisons pouvant en effet inciter à hybrider les données, d’où qu’elles viennent : des panels, des réseaux sociaux, des bases clients…. Cela aide à avoir une vision plus complète ou même exhaustive autour d’une problématique. Mais il en existe cependant une seconde, qui est la possibilité de gagner sur les couts de production de l’information. Si une source permet d’obtenir certaines données dans des conditions économiques satisfaisantes, elle sera néanmoins moins pertinente pour la collecte d’autres données. D’où l’intérêt de l’hybridation. Dans certains cas comme pour l’exploitation d’une base de données clients, le coût marginal d’une étude est nul.
Enrichir la compréhension est un des deux grandes bonnes raisons pouvant inciter à hybrider les données (…). Mais il en existe cependant une seconde, qui est la possibilité de gagner sur les couts de production de l’information.
Mais cette logique implique un impératif majeur, celui de disposer de technologies et d’outils pouvant se connecter entre eux. C’est essentiel pour rassembler et même « fusionner » les données afin de les croiser. Pour se faire, l’option la plus « mature » est celle du data lake. Elle n’est cependant que très peu souvent mise en œuvre par les responsables insights. Néanmoins, et c’est bien notre seconde grande conviction, tirer parti de l’hybridation suppose de disposer d’outils permettant de traiter et au préalable d’exporter les données facilement, avec le bon niveau de granularité. Cet impératif de fluidité est incontournable.
Tirer parti de l’hybridation suppose de disposer d’outils permettant de traiter et au préalable d’exporter les données facilement, avec le bon niveau de granularité. Cet impératif de fluidité est incontournable.
Voyez-vous une autre clé importante ?
Oui. J’ajouterais une troisième conviction qui s’est confortée en élaborant notre dernier Livre Blanc. Notre objectif était d’identifier les best practices susceptibles de renforcer le rôle des équipes insights dans les organisations et nous avons pour cela interrogé des experts travaillant en institut – et aussi en tant qu’indépendants – ou côté annonceurs.
Accéder au Livre Blanc Episto : Réinventer la fonction insights
Nous avons été frappés par l’importance d’un enjeu chez les annonceurs : celui de la dualité existant le plus souvent entre les équipes insights et celles dédiées à la data. Or nous sommes persuadés de la nécessité de casser les silos qui les séparent en faisant en sorte que ce ne soit plus qu’une seule et même entité, ce qui serait sans doute l’idéal. Ou bien en formant progressivement les équipes insights aux métiers data. Sans ce rapprochement entre les insights et les data, et sans cette fluidité « culturelle » qui s’ajoute à la composante technique que nous avons évoquée, il me parait difficile de réussir cette hybridation et d’en tirer la valeur ajoutée potentielle. Ce sujet de savoir comment les spécialistes des insights peuvent travailler toute les data me semble clé, et je suis persuadé qu’il prendra de plus en plus d’importance.
Sans ce rapprochement entre les insights et les data, et sans cette fluidité « culturelle » qui s’ajoute à la composante technique que nous avons évoquée, il me parait difficile de réussir cette hybridation et d’en tirer la valeur ajoutée potentielle.
Venons-en à des exemples qui vous semblent bien illustrer l’intérêt de l’hybridation. Quels cas pratiques pouvez-vous partager ?
J’en vois spontanément deux. Le premier est un chantier que nous avons mené avec Auchan il y a quelques mois. Nos interlocuteurs désiraient mesurer la notoriété et la perception d’un ensemble de marques distributeurs (MDD) sur 6 pays différents, vraisemblablement dans une perspective de rationalisation. Ils souhaitaient pouvoir disposer d’une vision fiable à l’échelle nationale, dans des conditions classiques de représentativité. Mais ils avaient aussi le besoin de compléter celle-ci par des zooms sur certaines zones de chalandise, ainsi que sur les acheteurs de ces marques. Nous avons donc déployé un dispositif hybride, en nous appuyant d’un côté sur un panel — pour l’étude « Nat-Rep », ainsi que sur les réseaux sociaux pour les cibles plus spécifiques. Mais nous avons utilisé un seul et même questionnaire, de sorte à pouvoir ensuite unifier facilement les deux sources de données.
Il illustre le premier type d’hybridation que vous évoquiez précédemment…
Tout à fait. Nos interlocuteurs se sont ainsi dotés d’une vision extrêmement fine dans de bonnes conditions budgétaires, l’usage du panel pour partie de l’étude permettant de faire une moindre dépense versus un dispositif local 100% réseaux sociaux. Et ce en bénéficiant au final d’une très grande facilité à croiser les données obtenues.
Le second cas illustre lui plus directement encore les avantages économiques de l’hybridation. Il s’agit d’un chantier sur lequel nous avons collaboré avec la marque Tape à l’œil, qui fait partie du Groupe Mulliez. Elle voulait tester des messages à intégrer sur des étiquettes de vêtements pour enfants. Les équipes avaient besoin de mener une interrogation sur les réseaux sociaux, pour investiguer des cibles bien spécifiques, mais aussi auprès de leurs propres clients. La pénétration de la marque était insuffisante pour pouvoir utiliser les panels, cela aurait induit des couts trop élevés. La solution qui s’est imposée naturellement a consisté là encore à hybrider les sources. En complément des interviews réalisées via les réseaux sociaux, nous avons déclenché un « push » sur la base clients. Là aussi, le dispositif s’est révélé très opérant en n’utilisant qu’un seul et même questionnaire. Avec, à la clé, l’intérêt de n’avoir qu’une seule base de résultats.
Dans les deux cas, vous avez produit une base unique, mais en vous appuyant sur un seul questionnaire.
Oui, nous avons en effet pu faire profiter nos clients des avantages des questionnaires conversationnels que nous élaborons, qui offrent un meilleur taux de transformation qu’un questionnaire au format traditionnel. C’est un vrai apport de valeur. Lorsqu’on interroge sa propre base consommateurs, on pourrait considérer que le cout est nul, et se contenter d’une faible transformation. Mais ce raisonnement a ses limites. S’il y a trop de sollicitations, cela génère de la fatigue, un effet d’usure, et cela rejaillit in fine sur l’image de marque. Il est donc préférable de les rationaliser.
Nous nous concentrons sur une partie de la chaine de valeur en maximisant notre impact sur celle-ci. Et faisons en sorte que les données que nous collectons puissent être aspirées et utilisées dans d’autres outils, à des fins de traitement ou de data-visualisation notamment. Leur usage est ainsi optimal.
Ce bénéfice de fluidité et d’interconnexion — qui peut être obtenu dans d’autres configurations encore que ces deux que nous venons d’évoquer – me semble essentiel. On peut faire le parallèle avec des univers très différents des nôtres. Beaucoup de grosses start-ups (Qonto, Payfit, etc.) s’interfacent très simplement avec d’autres services pour aider au maximum leurs utilisateurs et leur permettre de faire levier sur les données qu’ils collectent pour le compte de leur client… Nous nous inspirons au fond de la même philosophie. Nous nous concentrons sur une partie de la chaine de valeur en maximisant notre impact sur celle-ci. Et faisons en sorte que les données que nous collectons puissent être aspirées et utilisées dans d’autres outils, à des fins de traitement ou de data-visualisation notamment. Leur usage est ainsi optimal. Cela me semble très préférable à une logique qui obligerait nos interlocuteurs à s’enfermer dans nos outils en n’exploitant que nos seules données. Nous apprécions que nos clients s’engagent dans la voie de cette flexibilité que nous leur offrons, parce que c’est clairement celle qui leur apporte le plus.
POUR ACTION
• Echanger avec l’ interviewé(e) : @ Jérémy Lefebvre