Charlotte Taupin, fondatrice de Sugi-Research

« Les études marketing doivent elles aussi s’approprier l’impératif de l’économie circulaire » – Interview de Charlotte Taupin, fondatrice de Sugi Research

1 Juin. 2023

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Beaucoup d’entreprises sont désormais engagées dans une transformation dans laquelle les notions de responsabilité et d’écologie occupent une place cardinale. Mais quid des études marketing ? N’ont-elles pas un train de retard ? Ne devraient-elles pas elles aussi intégrer ces impératifs dans ses pratiques ? C’est sur la base de ces réflexions qu’une figure bien connue du monde du market research, Charlotte Taupin, a pris l’initiative de créer une agence complètement dédiée à cet enjeu, en tandem avec Clémentine de Beaupuy. Elle répond aux questions de Market Research News.

MRNews : Vous avez fait le pari de créer une nouvelle agence, Sugi-Research, dont l’originalité est de se positionner sur l’enjeu de la bonne exploitation des études marketing dans les entreprises. Comment l’idée est-elle née ?

Charlotte Taupin (Sugi Research) : Deux expériences ont contribué à ma réflexion, dont celle que j’ai eue en tant que COO d’Ipsos France. J’étais en quelque sorte « Madame Efficacité », c’était ma mission prioritaire que de me consacrer à ce sujet. Pour renforcer d’une part la satisfaction des clients, mais aussi le bien-être au travail des collaborateurs d’Ipsos. Comme dans tous les instituts, la production des études repose sur beaucoup de tâches fastidieuses et à faible valeur ajoutée. Celles-ci finissent par éloigner les gens de ce pour quoi ils ont choisi ce métier, en particulier l’analyse des données. J’ai ainsi passé deux ans à décortiquer tous les maillons de la chaîne pour accroître cette efficacité. Plus tard, en m’engageant au Syntec Etudes, j’ai pris conscience de l’incroyable nombre d’acteurs présents sur le marché. Beaucoup de personnes réfléchissent à faire ce métier autrement, souvent avec des approches très innovantes. J’ai été frappée à nouveau par ce déséquilibre étonnant entre d’un côté l’énergie et les efforts mis en œuvre dans cet univers des études et l’utilité des outputs. Celle-ci étant relativement faible, notamment du fait que chaque étude n’est le plus souvent exploitée qu’une seule fois… 

J’ai été frappée par ce déséquilibre étonnant entre d’un côté l’énergie et les efforts mis en œuvre dans cet univers des études marketing et l’utilité des outputs. Celle-ci étant relativement faible, notamment du fait que chaque étude n’est le plus souvent exploitée qu’une seule fois… 

On est loin des principes de l’économie circulaire ! 

Absolument ! Je dois ajouter que mes enfants — aujourd’hui des jeunes adultes —ont aussi joué un rôle dans cette prise de conscience. Nous nous sommes habitués à certains états de fait que cette génération considère, elle, comme étant aberrants, intenables. Et ce sont eux qui ont raison ! On le sait maintenant, chaque geste compte. La définition que propose l’ADEME de l’économie circulaire est très claire : il s’agit bien, dans la gestion du cycle de vie des produits et des services, d’augmenter l’efficacité de l’utilisation des ressources et de diminuer l’impact sur l’environnement tout en développant le bien-être des individus. Il n’y a aucune raison pour que les études échappent à cet impératif. Et il y a bien là un vrai enjeu pour les études et ceux qui les produisent. Celui de leur redonner de la valeur, de faire en sorte qu’elles soient mieux exploitées dans les entreprises. C’est ainsi devenu mon sujet avec Clémentine de Beaupuy, avec qui j’ai co-fondé Sugi Research, autour de ce triptyque : mieux produire, mieux utiliser et mieux communiquer les études.

Il n’y a aucune raison pour que les études échappent à cet impératif de l’économie circulaire. Et il y a bien là un vrai enjeu pour les études et ceux qui les produisent. Celui de leur redonner de la valeur, de faire en sorte qu’elles soient mieux exploitées dans les entreprises.

C’est beaucoup un enjeu de rationalité… Ne faut-il pas produire moins d’études ?

Non ! L’idée clé, c’est de renforcer l’utilité des études existantes. Et donc de s’interroger sur ce que l’on sait déjà. Non pas pour s’interdire de déclencher de nouveaux projets, mais pour faire en sorte que ceux-ci soient vraiment pertinents et permettent d’augmenter la connaissance. Quand une entreprise a plus de 100 post-tests à son actif, nous ne disons surtout pas qu’elle ne doit pas en réaliser d’autres. Mais qu’elle a forcément beaucoup à apprendre d’une lecture transversale qu’elle n’a hélas pas pris le temps de mettre en œuvre. Et celle-ci permettra sans doute d’orienter différemment les post-tests à venir. 

L’idée clé, c’est de renforcer l’utilité des études existantes. Et donc de s’interroger sur ce que l’on sait déjà. Non pas pour s’interdire de déclencher de nouveaux projets, mais pour faire en sorte que ceux-ci soient vraiment pertinents et permettent d’augmenter la connaissance.

Bien sûr, tout cela peut sembler relever de l’évidence. Mais, en réalité, nous nous sommes tous habitués à fonctionner ainsi, à n’exploiter qu’une fois les études. Éventuellement parce que les silos de l’organisation font qu’elles sont disséminées à droite à gauche. Ou le plus souvent par manque de temps ou parce que le réflexe n’est pas ancré. C’est cela qu’il faut changer.

Qu’est-ce que Sugi Research a plus précisément vocation à apporter ? Quelle est votre valeur ajoutée ?

Nous sommes fondamentalement là pour aider les entreprises à mieux produire, mieux utiliser et mieux communiquer les études. Sugi Research, c’est donc une méthode et des outils. Lorsque nous intervenons, nous réalisons notamment un état des lieux des données et études déjà existantes en les regardant sous un angle nouveau. C’est ce que nous appelons le mapping de la connaissance. Nous apportons aussi des outils de Knowledge Management, pour aider les professionnels des études et marketing à mieux « ranger » leurs études. Cela peut sembler anecdotique, mais ça ne l’est pas du tout, c’est une clé importante pour optimiser leur réutilisation future dans les organisations. Avec Clémentine, qui ne vient pas du monde des études, mais de celui de la communication et du journalisme, nous travaillons à faciliter l’accès à l’information, ainsi que sa bonne appropriation dans l’entreprise. Bien sûr en s’appuyant sur des techniques rédactionnelles, en éditorialisant les études. La forme, c’est clé. Mais il faut aussi accorder beaucoup d’importance à la diffusion, en pensant les études comme des produits et en leur donnant la meilleure chance d’atteindre leur cible. Nous utilisons donc des outils pour cela, par exemple des dashboards ou des mini-sites.

Nous sommes fondamentalement là pour aider les entreprises à mieux produire, mieux utiliser et mieux communiquer les études. Sugi Research, c’est donc une méthode et des outils.

Mais notre valeur ajoutée passera de plus en plus par la formation. Cette composante de notre activité devrait fortement croître à l’avenir. Accompagner, c’est bien. Mais ce qui importe d’abord et avant tout, c’est le fait que de nouveaux réflexes et pratiques s’ancrent dans l’entreprise au sein des équipes. Quand nous échangeons avec des CMI, ils sont généralement très en accord avec notre vision. La difficulté, c’est de passer à l’action. Et c’est là que nous pouvons apporter quelque chose, avec des dispositifs de formation.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre méthode ?

Nous l’avons élaborée en nous appuyant sur un groupe d’experts, trois chercheurs investis dans le marketing durable et trois professionnels ayant plus un background marketing-communication. L’idée générale est d’aider à appliquer la notion d’économie circulaire plus spécifiquement dans l’univers des études marketing. Nous avons abouti à ces 6 grands principes, ce que nous appelons les 6R : Ranger, Réviser, Réutiliser, Repenser, Revaloriser et Rentabiliser. Derrière ceux-ci, la démarche est hyper opérationnelle et propose des Quick Wins très simples. Quand nous avons défini cette liste, cela m’a fait penser aux pilotes d’avions. Même avec 30 ans de métier, pour chaque vol, le pilote ressort systématiquement sa check-list. C’est obligatoire. Même si tout semble évident, on oublie des choses, on prend des raccourcis… La démarche que nous proposons, qui doit bien sûr être adaptée au cas par cas, c’est en réalité beaucoup de bon sens et de discipline. 

L’idée générale est d’aider à appliquer la notion d’économie circulaire plus spécifiquement dans l’univers des études marketing. Nous avons abouti à ces 6 grands principes, ce que nous appelons les 6R : Ranger, Réviser, Réutiliser, Repenser, Revaloriser et Rentabiliser

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans le cadre de vos premières missions ? 

Ce qui nous a beaucoup frappées — et Clémentine encore plus que moi — c’est de constater à quel point est ancrée la « croyance » que LA vocation de ce métier des études est de produire des insights. Bien sûr il doit le faire. Mais si personne d’autre dans l’entreprise ne les découvre et ne se les approprie, ils ne servent strictement à rien, il n’y a pas de valeur ajoutée ! Or ce point capital n’est pas aussi intégré qu’il le devrait. Mon associée n’imaginait pas à quel point je disais vrai quand j’évoquais ça avec elle.

Bien sûr le métier des études est de produire des insights. Mais si personne d’autre dans l’entreprise ne les découvre et ne se les approprie, ils ne servent strictement à rien, il n’y a pas de valeur ajoutée ! Or ce point capital n’est pas aussi intégré qu’il le devrait.

Le second point d’étonnement, positif celui-ci, c’est que de plus en plus de décideurs, lorsqu’ils recrutent, sont sensibles non seulement aux compétences études marketing, mais également à celle de la communication. Ayant fait ce choix de m’associer avec Clémentine dont c’est le background, j’étais contente de voir que d’autres partageaient cette vision.

Une dernière question enfin. Vous travaillez principalement avec les équipes des annonceurs. Et avec les agences et les instituts ?

Nous intervenons auprès des agences de communication. Qui ont elles aussi besoin de bien exploiter les connaissances dont elles disposent, en particulier à chaque fois qu’elles élaborent un pitch. Nous avons également mis en place une formation dédiée aux freelances insights avec Guillaume Weill, le fondateur de zoulloo, qui est la première plateforme de freelance complètement dédiée à l’univers Insights et data-analytics. Notre conviction est que si les freelances intègrent les pratiques de l’économie circulaire, cela ne peut être qu’un plus. C’est une idée importante pour nous, qu’un maximum d’acteurs de ce métier s’approprient ces principes et travaillent ainsi différemment. 

Pour ce qui est des instituts et des cabinets de conseil, je profite de cette interview pour annoncer en avant première pour Market Research News le lancement du label DESI (Data Ethic & Sustainable Insights) en partenariat avec l’AFM (association française du marketing). L’objectif de ce label est de proposer une norme pour accélérer et accompagner la transformation des pratiques et leur efficacité opérationnelle en institut. Nous sommes très honorées de ce partenariat scientifique, et à en croire les premiers “labellisés”, cette approche totalement indépendante permet de mettre en place de vrais plans d’actions et d’agir positivement sur l’environnement. 


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Charlotte Taupin

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