Pour Valérie Satre, aujourd’hui Consultante Insight & Innovation après un très solide parcours côté annonceur (au sein du Groupe SEB et de L’Oréal), l’enjeu de cette fonction Consumer Intelligence à mieux se valoriser dans les organisations est clé ! Elle a selon elle tout à gagner à être plus en prise avec la réalité de celles-ci, à la fois pour ce qui est de ses enjeux business, mais aussi des codes à adopter. Elle évoque ici quelques-unes des priorités de cette souhaitable transformation à mettre en œuvre.
MRNews : Vous venez de vous lancer en tant que consultante indépendante en connaissant extrêmement bien le métier Études Marketing / insights chez l’annonceur. Vos ex alter ego considèrent le plus souvent qu’ils ne sont pas très efficients pour faire leur propre marketing. Qu’en pensez-vous ?
Valérie Satre : Je partage en effet cette vision. J’ai même le sentiment que c’est aujourd’hui le principal point faible de ces équipes, pourtant souvent très talentueuses. D’une manière générale, il me semble qu’elles valorisent plutôt bien les insights en eux-mêmes. Mais peu ou pas assez le savoir-faire et l’expertise qui permettent de les obtenir ou de les rendre intelligibles, impactants. Pour nous, la star, ce sont les learnings, les conclusions, ou bien les consommateurs eux-mêmes ; et non les professionnels qui les ont produits. C’est souvent de notre propre fait ; question de profil peut-être mais aussi car nous sommes tellement convaincus de l’importance des éclairages apportés que nous nous focalisons sur nos conclusions, et en oublions notre propre mise en avant ! Mais je pense que c’est un tort, cela nous dessert, cela dessert la fonction, et cela ne permet pas de porter au plus haut notre vision et nos recommandations. Cela me semble clé de changer cela, en prenant davantage le lead, et en ne se limitant pas à être « au service de » dans l’entreprise.
Ces équipes valorisent plutôt bien les insights en eux-mêmes. Mais peu ou pas assez le savoir-faire et l’expertise qui permettent de les obtenir ou de les rendre intelligibles, impactants.
Lire aussi > L’interview Microportrait de Valérie Satre
Quels sont selon vous les leviers prioritaires de cette transformation ?
La priorité des priorités pour cette fonction est d’être plus en prise avec les enjeux business de nos organisations. Si l’on se compare à beaucoup d’autres fonctions, le marketing, les sales, nous avons un peu échappé aux logiques de KPI, de ROI et donc aux mesures de notre performance et de notre impact. Nous n’avons pas pris l’habitude d’évaluer notre contribution et, du coup, nous sommes moins audibles que d’autres ! Bien sûr ce n’est pas toujours évident, notamment pour des investigations très amont, exploratoires ou qualitatives. Mais c’est vraiment important d’essayer, même si c’est de façon ponctuelle, ou via des proxys… Cela peut s’appliquer par exemple aux sujets MMM (Marketing Mix Modeling) pour mesurer l’efficacité des moyens moteurs ou aux tests de potentiel, avec la nécessité de prendre le temps, a posteriori, de rapprocher les enseignements de l’étude avec les données business. Et démontrer leur prédictibilité.
Dans mon expérience au sein du groupe SEB, la mise en place d’une communauté de consommateurs pérenne a été une étape déterminante. En démontrant que les tests réalisés auprès de notre communauté étaient statistiquement corrélés aux futures notes Amazon, nous avons prouvé la très forte valeur prédictive de nos études, et sommes devenus des interlocuteurs de poids dans l’entreprise. De nice-to-have, nos tests sont devenus des must-have dans le processus innovation, incontournables et obligatoires. Je suis convaincue de la nécessité de faire porter la discussion au bon endroit, sur l’impact business, et non sur les méthodes, dont nos interlocuteurs n’ont cure !
Je suis convaincue de la nécessité de faire porter la discussion au bon endroit, sur l’impact business, et non sur les méthodes, dont nos interlocuteurs n’ont cure !
Les équipes études marketing / insights doivent avoir une forme de recul, sans pour autant être en apesanteur par rapport aux autres…
Absolument ! Je crois qu’elles doivent davantage intégrer les modes de fonctionnement dominants de l’entreprise, donner des indices objectifs de leur contribution business. Et utiliser le même langage et les mêmes codes que les autres. Nous ne sommes pas des électrons libres ou comme des « philosophes » qui pourraient traiter de choses pures et nobles, alors que les autres non ! (rires)
Je crois que les équipes Consumer Insight doivent davantage intégrer les modes de fonctionnement dominants de l’entreprise, donner des indices objectifs de leur contribution business. Et utiliser le même langage et les mêmes codes que les autres.
Je pense aussi que nous devrions plus souvent nous appliquer à nous-mêmes les recommandations que nous émettons. La RSE en est un bel exemple. Nous disons à l’entreprise ce qu’elle doit faire, souvent avec beaucoup de convictions. Mais le faisons nous nous-mêmes ? Produire la data coûte. Et pollue. Faisons-nous ce qu’il faut pour maximiser son utilité ? Sa recyclabilité ? Alors que temps des gens est précieux, faisons-nous toujours notre possible pour qu’ils ne se perdent pas dans l’information que nous élaborons ? Je crois comme d’autres — Charlotte Taupin de Sugi research par exemple, avec qui j’ai l’occasion d’en parler—, qu’il y a un vrai enjeu à ce que les entreprises capitalisent mieux sur les études dont elles disposent. Comment mieux les exploiter, et les ré-exploiter, y compris des mois ou des années plus tard ? Comment les partage-t-on à d’autres équipes, en interne, ou même en externe pour renforcer une posture de marque leader ? Pourquoi ne pas faire de « l’open insight » avec d’autres entreprises ? Ce sujet d’une plus grande responsabilité autour de la donnée que l’on produit et que l’on diffuse fait partie selon moi des enjeux clés à venir de la profession, sur lequel je compte bien réfléchir dans les mois qui viennent.
Je pense aussi que nous devrions plus souvent nous appliquer à nous-mêmes les recommandations que nous émettons, le sujet de la RSE étant un bel exemple.
La crise du Covid, avec les phases de confinement, n’a-t-elle pas poussé les équipes à travailler ainsi, en exploitant beaucoup plus qu’habituellement les connaissances acquises. C’est ce qu’évoquait Emmanuel Huet dans le cadre des travaux de l’Insight Hub
Absolument ! Nous ne pouvions quasiment plus réaliser d’études, il nous a donc fallu apprendre à travailler autrement. Et beaucoup de nos partenaires études / tendances ont joué le jeu en diffusant des insights en continu, et en les partageant librement. Ils nous ont nourri efficacement à un moment où tout le monde était perdu, et où nos départements insight bénéficiaient d’une forte écoute de la part de nos directions générales. Encore aujourd’hui, il me semble que les décideurs font souvent preuve de pas mal d’humilité… le temps de l’arrogance est définitivement derrière nous, et il y a un vrai rôle à jouer pour ceux qui savent décrypter les tendances, anticiper les évolutions et développer les sujets de forecast. S’appuyer sur nos fondamentaux, rassurer sur nos piliers de connaissance pour construire l’avenir en démêlant le court-terme du moyen-terme, c’est une mission essentielle que nous devons apporter à nos organisations.
S’appuyer sur nos fondamentaux, rassurer sur nos piliers de connaissance pour construire l’avenir en démêlant le court-terme du moyen-terme, c’est une mission essentielle que nous devons apporter à nos organisations.
D’autres leviers vous semblent importants à actionner ?
Cela n’a rien d’original, mais il y a bien sûr un très gros enjeu sur la forme de nos restitutions. Mais cela rejoint cette idée de nous appliquer à nous même nos recommandations en matière de communication. Nous savons que l’impact passe par la forme autant que par le fond. Nous ne pouvons qu’être gagnants à diffuser nos résultats d’études et plus largement nos learnings avec des executive summary sous de nouveaux formats à géométrie variable, courts, impactants. Avec des infographies, des magazines internes, des vidéos… Ce dernier format est d’ailleurs très puissant. Bien sûr il ne s’agit pas de l’appliquer à tous les chantiers, mais au moins aux plus importants d’entre eux. Faire appel à des ressources externes comme des graphistes et autres webdesigners sur les études majeures, ce n’est pas juste un enjeu de forme, c’est s’assurer que nos messages vont impacter et être durables.
Nous ne pouvons qu’être gagnants à diffuser nos résultats d’études et plus largement nos learnings avec des executive summary sous de nouveaux formats à géométrie variable, courts, impactants. Avec des infographies, des magazines internes, des vidéos…
Nous savons également que la répétition des messages est essentielle à leur efficacité, surtout dans un contexte d’infobésité, et diversifier les formats de communication permet d’assurer d’une bonne mémorisation de nos messages clés.
Enfin, dans cette idée de mieux marketer la fonction, un département Consumer Insight peut et doit se comporter comme une marque : avoir son propre logo, brander ses outputs, respecter une charte graphique, avec également un positionnement, des valeurs et une ligne éditoriale qui lui est propre. C’est ce que nous avions mis en œuvre chez SEB, et qui me semble être puissant pour la crédibilité et la posture de ces départements.
Quid de la contribution des instituts sur ces enjeux de design des outputs ?
Ils proposent parfois d’inclure cette composante dans leur prestation. Mais elle apparait comme une ligne supplémentaire dans leurs devis alors qu’elle devrait à mon sens être comprise dans la prestation globale, a fortiori pour les études à forts enjeux. Certains ont intégré ces compétences, c’est très bien, mais j’ai le sentiment qu’ils ne sont que trop peu à le faire. S’ils n’évoluent pas radicalement pour mieux designer les livrables qu’ils produisent, je pense qu’ils auront de plus en plus de mal à rivaliser avec les nouvelles agences spécialistes de la data, qui excellent souvent dans ce domaine.
Si les instituts n’évoluent pas radicalement pour mieux designer les livrables qu’ils produisent, je pense qu’ils auront de plus en plus de mal à rivaliser avec les nouvelles agences spécialistes de la data, qui excellent souvent dans ce domaine.
Nous l’avons évoqué en préambule, vous venez tout juste de lancer votre activité de conseil. Les sujets que nous avons abordés seront-ils présents dans celle-ci ?
Oui, certainement. L’idée n’est pas tant d’opérer en mode « délégation » ou management de transition, mais plutôt d’aider à accélérer l’efficacité et l’impact des départements Insights au sein des entreprises. Soit ponctuellement, lorsqu’elles ont besoin de se doter et d’implémenter de nouveaux outils clés, que ce soit insights, tendances, social listening ou innovation. Ou bien dans la durée, pour gagner en séniorité et renforcer leur rôle dans les organisations, auquel cas j’interviendrai plus dans une logique d’accompagnement. Je suis aussi susceptible de travailler avec des instituts, pour leur apporter mon expertise et mon background annonceur dans la réponse à des briefs à forts enjeux. En tout état de cause, je n’ai pas vraiment prévu de m’ennuyer ! (rires)
POUR ACTION
• Echanger avec le (ou les) interviewé(s) : @ Valérie Satre