Pour les marketeurs et les spécialistes des études marketing, l’impératif d’intégrer les composantes émotionnelles dans la connaissance des consommateurs est désormais un acquis. Mais en pratique, il en va bien souvent autrement. Notamment pour des raisons de temps, d’argent. Et du fait de la complexité à mesurer ces variables et à les exploiter ! C’est précisément le terrain de jeu que s’est donné Igonogo, dont la vocation est de rendre aussi simple que possible l’appréhension des émotions et leur bonne intelligence pour action. Leurs deux fondateurs, Candice François et Florian Loeser, répondent aux questions de Market Research News.
MRNews : La nécessité de prendre en compte les émotions des consommateurs dans les études marketing apparait aujourd’hui comme une évidence. Et pourtant, cela ne se retrouve que peu dans les pratiques. Pourquoi ?
Florian Loeser (Igonogo) : Les recherches menées dans le domaine de la psychologie et des sciences cognitives établissent en effet clairement que nous ne faisons pas que des choix rationnels. Et les professionnels du marketing ont d’une certaine façon intégré cette donnée. Avec l’aura de son Prix Nobel, les travaux de Daniel Kanheman ont beaucoup marqué les esprits, et sont régulièrement cités par les spécialistes des études. On considère qu’il y a une part inexpliquée dans les comportements des consommateurs, assimilée à une forme de « bruit ». Mais le constat est juste, l’appréhension des émotions n’est qu’assez peu pratiquée, en partie par conservatisme… Pour les équipes dans les entreprises, ce n’est pas très rassurant de fonder leurs décisions sur du non rationnel. Elles sont donc tentées de s’en tenir à des études où il y a un lien direct entre ce qui est demandé aux interviewés et ce qui est mesuré. Si 70% de l’échantillon déclare avoir l’intention d’acheter un produit, on transpose cette proportion à la population cible, on multiplie par le prix de vente, et on obtient un CA potentiel. Alors que, on le sait, les choses sont bien plus complexes que cela…
Pour les équipes dans les entreprises, ce n’est pas très rassurant de fonder leurs décisions sur du non rationnel. Elles sont donc tentées de s’en tenir à des études où il y a un lien direct entre ce qui est demandé aux interviewés et ce qui est mesuré.
Candice François (Igonogo) : Un autre frein majeur est la nécessité d’utiliser un matériel spécifique pour réaliser des mesures physiologiques, encore souvent employées pour appréhender les émotions. Celui-ci peut être couteux, et son usage n’est pas toujours facile ou naturel pour les consommateurs. Je pense au fait de devoir activer une caméra pour des analyses de type facial coding, ou une montre pour suivre les pulsations cardiaques. C’est donc du temps, de l’argent, de la complexité. Tout cela pour recueillir, nous y reviendrons sans doute, des données dont on ne sait pas spontanément quoi faire.
Un autre frein majeur est la nécessité d’utiliser un matériel spécifique pour réaliser des mesures physiologiques, encore souvent employées pour appréhender les émotions.
S’intéresser aux émotions est clé dans la démarche d’Igonogo, que vous avez cofondée. Pourquoi ? Qu’est-ce qui vous y amenés ?
FL : Nos études ! Ayant tous les deux fait le choix de nous spécialiser dans le domaine de la psychologie cognitive, nous nous sommes connus sur les bancs de l’université. Nos formations nous ont fait nous intéresser aux statistiques, aux réseaux de neurones et à tout ce qui permet de capter les émotions des individus. Mon sujet de thèse était de mieux comprendre celles-ci, de tisser les relations entre elles et les dimensions d’évaluation des stimuli. Et d’en tirer un modèle, de sorte que cette compréhension soit actionnable. Dire qu’un objet suscite de la peur à hauteur de 32%, c’est bien, mais on en fait quoi ?… Il faut donc aller au-delà, appréhender les leviers comme par exemple la notion de contrôle. Ce cheminement permet ainsi de considérer les émotions comme des ingrédients, pour pouvoir élaborer des produits plus pertinents…
CF : De mon côté, ma thèse portait sur la mesure des émotions. Comment peut-on s’affranchir de cette limite d’avoir recours à un matériel spécifique, cette démarche pouvant mener à l’usage des IRM avec le neuromarketing ? Je me suis donc intéressé à des alternatives. Et tout particulièrement à la mesure du mouvement, celui du doigt lorsqu’on utilise un écran tactile — ou bien celui de la souris —,notamment pour évaluer le paramètre de certitude ou d’incertitude dans une décision. On peut bien sûr demander aux gens de dire à quel point, sur une échelle de 1 à 7, une crème hydratante inspire une notion de liberté… Mais peut-on vraiment tirer quelque chose de ce type d’éclairage ? L’idée était de trouver d’autres façons de faire…
Vous avez donc cofondé Igonogo précisément pour proposer des solutions alternatives. Comment en résumeriez-vous la philosophie, l’approche ?
FL : Le pari essentiel que nous faisons avec Igonogo est de combiner la simplicité des études en lignes avec la puissance des mesures pouvant être menées dans les laboratoires de sciences cognitives. Dit autrement, l’idée est de trouver le point d’intersection entre ces deux mondes, pour donner accès aux avantages associés à cette démarche de prendre en compte les émotions, tout en faisant en sorte que cela soit simple et abordable.
Le pari essentiel que nous faisons avec Igonogo est de combiner la simplicité des études en lignes avec la puissance des mesures pouvant être menées dans les laboratoires de sciences cognitives.
En pratique, comment cela se traduit ?
FL : Nous proposons à nos clients une plateforme avec une application web permettant de créer une étude de A à Z, intégrant cette logique de mesures. Et de l’administrer auprès d’un échantillon de consommateurs, via un panel ou une base propre à l’entreprise. Nos interlocuteurs souscrivent un abonnement pour disposer de crédits, et peuvent alors lancer autant d’études qu’ils le souhaitent, sans qu’il y ait de limites dans la longueur du questionnaire. Le nombre de participants est lui plafonné en fonction de la formule choisie. Ils peuvent ainsi concevoir une enquête en ligne en toute autonomie, avec les questions dont ils ont besoin, la mécanique de l’étude étant en quelque sorte « augmentée » par les analyses des temps de réaction et des mouvements auxquelles nous procédons. C’est ce qui permet d’obtenir des données non déclaratives extrêmement précises.
Nous proposons à nos clients une plateforme avec une application web permettant de créer une étude de A à Z, intégrant cette logique de mesures. Et de l’administrer auprès d’un échantillon de consommateurs, via un panel ou une base propre à l’entreprise.
CF : Les mesures émotionnelles sont très simples dans leur principe, elles se focalisent sur les déplacements du doigt sur le smartphone. Et hyper précises en effet : les unités en jeu sont des millisecondes et des pixels ! Ces données sont ensuite synthétisées au travers de métriques réellement interprétables. Par exemple une probabilité d’achat ou de non-achat, d’attention ou de non-attention, ou plus largement de l’intérêt associé à un objet. Nos clients peuvent ainsi hiérarchiser des propositions, avec une granularité bien supérieure à celle qu’apportent les échelles habituelles. En résumé donc, nos interlocuteurs conçoivent une étude en définissant leurs questions, les diffusent sur une base de répondants. Et, en temps réel, ils acquièrent des données qui leur sont restituées sur un tableau de bord, avec des éclairages qui vont bien au-delà du simple descriptif.
Les mesures émotionnelles sont très simples dans leur principe, elles se focalisent sur les déplacements du doigt sur le smartphone (…). Ces données sont ensuite synthétisées au travers de métriques réellement interprétables. Par exemple une probabilité d’achat ou de non-achat, d’attention ou de non-attention, ou plus largement de l’intérêt associé à un objet.
Pour quels types de problématiques votre solution est-elle utilisable ?
FL : La palette est extrêmement large. Nos outils sont particulièrement adaptés pour travailler sur des enjeux d’innovation, que ce soit pour tester des concepts originaux ou des pistes de rénovation de produits. Ou plus spécifiquement des packagings. Mais ils sont tout aussi opérants sur des problématiques de marque ou de communication. On peut par exemple tester deux logos, pour identifier lequel exprime le mieux une valeur donnée pour les consommateurs. On peut également s’intéresser à la satisfaction et à l’expérience client, évaluer les bénéfices ressentis à l’usage d’un produit ou d’un service. En réalité, on peut étudier une palette incroyable de stimuli, dès lors qu’on peut demander aux gens de les associer à un attribut, une valeur. Cela peut être des images, de l’audio, de la vidéo, en 2D ou en 3D…
En réalité, on peut étudier une palette incroyable de stimuli, dès lors qu’on peut demander aux gens de les associer à un attribut, une valeur. Cela peut être des images, de l’audio, de la vidéo, en 2D ou en 3D…
CF : Elles permettent aussi de travailler dans une logique exploratoire. On présente un produit aux interviewés, et on voit le temps qu’ils mettent à le découvrir, en le faisant tourner sous toutes les coutures. Une de nos récentes innovations clés à consister à pouvoir montrer des objets en 3D. Un peu à la façon d’un eye tracking, on peut restituer la façon dont les consommateurs l’appréhendent via une carte de chaleur, avec les principales zones d’intérêt. On identifie des points d’attention visuelle sans utiliser la caméra, en décortiquant là encore les mouvements des doigts des individus, et par exemple là où ils zooment ou dézooment.
Le recueil se fait exclusivement sur smartphone ?
FL : C’est ce vers quoi l’on tend, notre outil s’y prêtant particulièrement bien, mais aussi parce que c’est l’usage naturel des gens, c’est extrêmement intuitif pour eux. Nous avons néanmoins transposé nos schémas d’analyse sur la manipulation des souris d’ordinateur, il est donc possible de les interroger via des PC.
L’analyse des mouvements est-elle si évidente que ça ? S’ils sont très rapides, comment faut-il l’interpréter ?
CF : Nous y avons beaucoup travaillé, en nous appuyant sur une littérature théorique déjà assez abondante. Si l’on souhaite tester des intentions d’achat par exemple, on montre un produit au centre de l’écran, ainsi qu’un caddie et une corbeille. Le niveau de certitude de ces intentions est d’autant plus élevé que le mouvement est prompt et direct.
FL : Beaucoup de paramètres sont liés au temps. Celui que met le répondant à poser son doigt sur l’écran, à la trajectoire de celui-ci avec ses éventuelles circonvolutions…Les analyses que nous avons menées nous ont permis d’identifier des patterns s’appuyant sur un grand nombre de données. Mais nous avons réduit ou plus exactement synthétisé celles-ci de sorte à fournir des métriques simples, parlantes, comme un score de certitude d’achat ou de rejet d’un produit par exemple.
Les analyses que nous avons menées nous ont permis d’identifier des patterns s’appuyant sur un grand nombre de données. Mais nous avons réduit ou plus exactement synthétisé celles-ci de sorte à fournir des métriques simples, parlantes, comme un score de certitude d’achat ou de rejet d’un produit par exemple.
La plateforme, vous l’avez souligné, autorise à poser toutes formes de questions. Mais vos schémas d’analyse sont précis, ils reposent sur les mouvements qu’effectuent les répondants dans des exercices de type Drag and drop. Comment est-ce conciliable ?
FL : Lorsque nous nous sommes lancés, nous avions pris le parti de brider les utilisateurs dans la conception des questionnaires, de sorte en effet à ce qu’ils intègrent nos schémas. Mais nous avons vite pris conscience qu’il fallait leur laisser plus de liberté, et adopté une autre logique. Les gens peuvent désormais poser les questions qu’ils souhaitent, simplement nous les aidons, en leur proposant des modèles que nous avons prédéfinis pour certaines grandes catégories d’études comme des exploratoires sur des tendances, des tests de packaging, des use-tests… Avec des trames, des questions types que nous préconisons, ainsi que des façons d’ordonner les blocs du questionnaire. Progressivement, par des modèles d’apprentissage supervisé, nous pouvons observer comment nos utilisateurs se comportent dans la conception des enquêtes en ligne pour pouvoir améliorer le dispositif. C’est un vrai challenge, mais il est impératif que l’outil soit approprié tant pour des experts des études que pour des gens moins familiers de ces techniques.
Les outputs, ce sont ainsi des agrégats pertinents pour appréhender les émotions des individus. Mais qui font également sens d’un point de vue marketing…
FL : Absolument. L’idée n’est surtout pas de noyer les équipes des entreprises sous une avalanche d’informations dont ils ne savent que faire. Mais au contraire de leur livrer des éléments extrêmement synthétiques. Dans le cadre d’un test de produit, nous ne donnons pas d’indications sur un volume prévisionnel de ventes, nous estimons que cela ne serait pas réaliste. Mais plutôt un score d’attractivité, de potentiel, qui permet à l’entreprise d’arbitrer entre différentes pistes possibles. L’outil a d’abord et avant tout vocation à apporter une aide à la décision, pour procéder aux meilleurs choix.
L’idée n’est surtout pas de noyer les équipes des entreprises sous une avalanche d’informations dont ils ne savent que faire. Mais au contraire de leur livrer des éléments extrêmement synthétiques (…). L’outil a d’abord et avant tout vocation à apporter une aide à la décision, pour procéder aux meilleurs choix.
CF : Nous avons consacré beaucoup de temps à l’élaboration des dashboards, pour qu’ils puissent livrer rapidement les réponses aux questions que les gens se posent. Avec par exemple une barre de recherche pour voir très vite si des écarts sont significatifs ou pas. Nous venons tout récemment d’intégrer une sorte de carrousel, qui permet de visualiser immédiatement là où sont les informations essentielles à consulter, plutôt que d’obliger les gens à explorer toutes les données. L’outil est ainsi extrêmement complet, il est conçu pour être exploité depuis le montage de l’étude jusqu’à l’analyse et la synthèse des éclairages les plus importants pour la décision de l’entreprise.
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Voyez-vous enfin un dernier point à ajouter, éventuellement des conseils à adresser aux personnes travaillant chez les annonceurs dans la manière de bien utiliser cet outil ?
FL : Le conseil n’a rien d’original, mais il me semble toujours bon de rappeler l’immense intérêt de tester les produits et les concepts le plus tôt possible. C’est la meilleure façon de limiter la casse, d’éviter d’énormes gaspillages pour les équipes marketing et R&D. C’est là que des outils comme ceux que nous proposons apportent un vrai plus, pour donner un éclairage extrêmement rapide puisque l’on peut obtenir des résultats en l’espace de seulement 3 ou 4 jours, pour des budgets particulièrement raisonnables compte tenu des enjeux pour les entreprises…
CF : J’ajouterais que cela fait sens de tester et de retester autant que possible, à chaque étape du développement des produits. La moindre modification peut avoir des impacts insoupçonnés sur leur potentiel, il faut donc être vigilant sur ce point. Cela permet également d’insuffler une culture de la data auprès des équipes marketing, et de capitaliser avec elles sur la connaissance des facteurs clés de succès.