# Comment connaitre les consommateurs s’ils ne veulent plus participer aux études ? (volet 2)
Interview Bruno François (La Voix du Client)

"L’inclusion est un réel enjeu pour le monde des études"

Bruno François
Directeur du Développement de La Voix du Client

12 Juil. 2022

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Pour favoriser la participation des consommateurs et des citoyens aux études, le premier réflexe est de travailler l’expérience des répondants. En faisant en sorte qu’elle ne soit pas pénible, mais au contraire le plus agréable possible. Mais Bruno François (La Voix du Client) nous alerte aussi sur un enjeu extrêmement important à prendre en compte, celui de l’inclusion. Avec tout ce que cela implique à la fois en termes de représentativité des études et de responsabilité sociale.

MRNews : Donner plus envie aux gens de participer aux études est une chose. Mais certaines personnes peuvent être « empêchées », physiquement ou culturellement. Ce phénomène est-il si important ?

Bruno François (La Voix du Client) : Il est absolument majeur et concerne même des millions de Français. Notre métier nous amène à solliciter différentes cibles pour participer à nos enquêtes. Or, si l’on examine les taux de joignabilité et de retour, on observe que les comportements sont très hétérogènes en fonction de celles-ci. Et bien sûr aussi selon les sujets, ce qui peut ainsi générer des situations difficiles à gérer. C’est une préoccupation importante pour les études où il y a un fort enjeu de représentativité. En théorie, il convient de donner le maximum de chances à chaque personne de pouvoir répondre. En pratique, ce n’est pas si souvent le cas, sauf si l’on fait des efforts bien particuliers dans ce sens.

L’empêchement physique ou culturelle à participer aux études concerne des millions de Français.

Quelles sont plus précisément ces populations ? Et combien pèsent-elles ?

Il existe une grande variété de types d’empêchements. Bien sûr, il faut d’abord évoquer les handicaps. Un aveugle ne peut naturellement pas répondre à une enquête on-line, mais les mal voyants – qui sont beaucoup plus nombreux — peuvent aussi être en forte difficulté face à ce médium, largement utilisé. En France, on estime à peu près à 1,7 million le nombre de personnes dont la vue est déficiente au point de ne pas pouvoir lire un texte de près. Le phénomène d’illectronisme, qui se définit comme l’inaptitude d’un individu à se servir des outils numériques du quotidien, est encore plus massif. Il touche près de 20% de la population française, soit 13 millions de nos concitoyens ! Ces personnes peuvent être très mal à l’aise pour participer et répondre, notamment à des questions ouvertes. On estime ainsi que les jeunes hommes à faible niveau d’éducation sont sous-représentés avec un coefficient de 8 par rapport à leur poids dans la population globale… 

Mais d’autres phénomènes s’ajoutent à cela. Environ un quart des Français ne sont pas équipés de smartphones, ce qui peut être problématique pour de nombreuses enquêtes. Et bien des gens, à commencer par les jeunes, ne consultent jamais leurs mails, même s’ils ont une adresse. Il faut enfin évoquer un dernier point, la méfiance ! De très nombreuses personnes ne répondent pas lorsqu’elles ne connaissent pas le numéro de l’appelant. Ou ne cliquent pas sur les liens communiqués, avec la crainte du phishing.

Lorsqu’on agrège ces empêchements ou ces gênes, il est clair que cela concerne une part extrêmement importante de la population…

Ces chiffres sont impressionnants. Est-ce que cela n’interroge pas la représentativité de beaucoup d’études ?

Ces phénomènes posent question, c’est évident. On peut faire preuve de cynisme et décréter que les gens qui ne répondent pas ne sont pas de vrais consommateurs. Mais c’est faux dans de très nombreux domaines. Il y a beaucoup à dire sur cette notion de représentativité. Certains considèrent que les enquêtes sont représentatives dès lors qu’ils disposent d’un gros volume de répondants. Mais c’est une vision erronée, les biais sont réels… Et on ne peut pas effectuer de redressements valides lorsque les taux de réponse sont trop faibles sur certaines cibles.

On peut faire preuve de cynisme et décréter que les gens qui ne répondent pas ne sont pas de vrais consommateurs. Mais c’est faux dans de très nombreux domaines.

Cette exigence de représentativité n’est ni systématique ni absolue. Certains de nos interlocuteurs nous le disent, par exemple pour les études de satisfaction qui ont pour finalité l’animation du personnel. Pour eux, il importe d’abord et avant tout qu’il y ait des évolutions et que l’entreprise agisse. Pourquoi pas ? Surtout si l’on reste dans le domaine du raisonnable avec une juste hiérarchisation des leviers, et si les équipes ont conscience des limites de ces données.

Mais dans de multiples circonstances, cette exigence de représentativité est impérative. C’est le cas dans quasiment toutes les études de marché. Et sur de nombreux autres problématiques, comme dans celui de la formation par exemple, sur lequel nous intervenons régulièrement. Dans ces cas-là, lorsqu’on cherche à savoir ce que sont devenues les personnes formées, les protocoles doivent être extrêmement rigoureux. 

L’exigence de représentativité n’est ni systématique ni absolue (…). Mais elle est impérative dans de très nombreux cas (…). Et on ne peut pas effectuer de redressements valides lorsque les taux de réponse sont trop faibles sur certaines cibles.

Précisément, est-ce qu’il n’y a pas aussi un enjeu de responsabilité sociale, au moins pour certaines études ?

Absolument ! Est-il acceptable de mettre de côté toute une partie importante de la population, du fait que les interroger soulève des difficultés particulières ? La réponse est non, bien sûr. Il est normal de s’adapter, et de créer des obligations collectives. Je pense en particulier au référentiel général sur l’accessibilité, qui génère des obligations notamment pour les entreprises de service public. Dans certains cas, cet enjeu se télescope avec celui de la représentativité. Si on travaille sur le handicap, il faut bien évidemment faire en sorte que la population concernée puisse répondre. Idem pour les sorties d’hôpital des personnes âgées, et bien d’autres sujets.

Est-il acceptable de mettre de côté toute une partie importante de la population, du fait que les interroger soulève des difficultés particulières ? La réponse est non, bien sûr. Il est normal de s’adapter (…)

La problématique étant posée, comme l’adresser ? Quelles sont les options possibles ?

La première des priorités est de prendre conscience du nombre d’individus pouvant se retrouver exclus ou en grande partie absents dans les études. Et des enjeux de responsabilité sociale et/ou de représentativité que cela soulève, avec l’obligation à faire preuve de pédagogie sur ce second point. Quelle exigence se donne-t-on sur ces deux grandes considérations ? Cette question est un préalable indispensable pour caler la bonne méthodologie et la façon de la mettre en oeuvre.

De notre point de vue, la solution miracle n’existe pas. Mais on peut s’appuyer sur une série d’outils pour optimiser les taux de participation des différentes populations que nous avons évoquées. C’est le concept d’expérience répondant, dont le principe se définit simplement. L’idée est qu’il faut aider les répondants pour leur faire vivre la meilleure expérience possible. Et leur faciliter l’accès. Si je reviens à l’exemple de ma fille, elle ne consulte pas ses mails, mais elle lit les sms ou les messages WhatsApp. Le fait d’envoyer le lien vers l’enquête pas seulement par mail mais via ces médiums alternatifs peut être extrêmement efficace. Bien sûr, le mail est quasi gratuit, pas le SMS, il faut donc intégrer ce coût. Une autre option, pour ceux qui regardent leurs mails, est de leur transmettre un message, sans lien, pour simplement les prévenir. Et les rassurer ainsi sur le sérieux de l’étude et du commanditaire. Le fait de combiner l’enquête en ligne avec des appels téléphoniques constitue également un levier très efficace, notamment pour interroger les personnes concernées par l’illectronisme…

La première des priorités est de prendre conscience du nombre d’individus pouvant se retrouver exclus ou en grande partie absents dans les études. Et des enjeux de responsabilité sociale et/ou de représentativité que cela soulève (…). De notre point de vue, la solution miracle n’existe pas. Mais on peut s’appuyer sur une série d’outils pour optimiser les taux de participation des différentes populations que nous avons évoquées.

Tout le monde ne répond pas au téléphone, vous l’avez souligné…

C’est vrai. Mais, là aussi, nous devons remettre en cause certaines pratiques encore très utilisées. Quelle sera votre attitude si j’essaie de vous joindre 50 fois, en vous appelant à chaque fois depuis des numéros différents, sur diverses plages horaires ? Sans doute vous allez vous méfier, ce que je comprendrais parfaitement. Mais votre réaction sera sans doute plus favorable si je vous laisse un message en vous proposant de me rappeler ou en vous donnant un numéro vert pour accéder à des informations et prendre rendez-vous. 

Pour revenir sur les approches online, il est possible de traduire les questionnaires, ou de permettre aux gens de se faire aider, que ce soit des personnes âgées ou maitrisant mal le français, ou bien encore des individus malvoyants. Pour celles-ci, on peut aller plus loin en respectant les normes RGAA, avec un questionnaire nativement conçu selon cette norme ou bien une variante. Lorsque l’enquête est nominalement menée par téléphone, on peut envisager de proposer une version web. Et inversement.

Quelles sont les solutions face à l’illectronisme ?

Là encore, il n’y a pas de recette miracle. La première piste est de simplifier au maximum la formulation des questions pour les études on-line. C’est souvent possible. La seconde est d’offrir des dispositifs de recueil alternatifs, le téléphone tout particulièrement. Le phénomène d’illectronisme est cependant extrêmement large, cela recouvre des cas très variés. Mais lorsqu’on vise la représentativité ou même l’exhaustivité dans certains cas, il faut trouver des parades.

Il n’y a pas de recette miracle (face à l’illectronisme). La première piste est de simplifier au maximum la formulation des questions pour les études on-line. C’est souvent possible. La seconde est d’offrir des dispositifs de recueil alternatifs, le téléphone tout particulièrement.

La diversité des situations et donc des options activables est énorme. Cela soulève une question économique. Certaines sont-elles plus particulièrement efficaces en intégrant ce paramètre ? 

Proposer plusieurs possibilités de contact (internet et téléphone) est sans doute un bon réflexe. Mais les solutions dépendent de la problématique, du sujet et des cibles concernées. Si vous menez une étude de satisfaction auprès d’acheteurs d’automobile, votre contexte sera différent de celui d’un organisme de formation à la recherche de ses ex-stagiaires. Trouver des options pour permettre aux non-voyants de participer, cela peut être une obligation éthique que l’on se fixe, une obligation légale dans certains cas, mais ce n’est pas nécessairement une obligation méthodologique. Ce sont des arbitrages à effectuer en mode ad’hoc.

L’inclusion est néanmoins un réel enjeu pour les études. Parce que c’est le sens dans lequel va notre société. Mais aussi du fait de cette exigence de représentativité propre à notre métier, même si elle doit être pensée au cas par cas. Si vous êtes un acteur du hard discount, aurez-vous une bonne vision de votre marché si vous n’interrogez pas des gens qui ne maitrisent pas très bien la langue, ou qui sont méfiantes ou peu à l’aise avec les outils électroniques d’aujourd’hui ? Il y a des chances que non, le risque étant de prendre de mauvaises décisions. 

L’inclusion est un réel enjeu pour les études. Parce que c’est le sens dans lequel va notre société. Mais aussi du fait de cette exigence de représentativité propre à notre métier, même si elle doit être pensée au cas par cas.

Le fondateur d’Episto, Jérémy Lefebvre (voir son interview ici) évoquait l’idée que chaque société d’études intègre dans ses équipes – idéalement au sein du comex – un responsable de l’expérience répondant. Qu’en pensez-vous ?

Nous partageons complètement cette philosophie, depuis déjà pas mal d’années. Alain Sabathier (NDLR : le fondateur de La Voix du Client) a même déposé ce terme d’Expérience Répondant. Il nous semble que l’on ne peut pas rester inerte face à certaines évolutions, et à la difficulté croissante de mener des études. Nous considérons également qu’il faut éliminer des pratiques trop gênantes. Par exemple, je l’ai mentionné, le fait d’appeler les gens une vingtaine de fois de suite au téléphone, sans laisser de messages et avec des numéros non joignables. Nous avons largement évoqué les problématiques de représentativité, mais il y a également des enjeux d’image. Pour nous, pour la profession, mais aussi pour les clients au nom desquels nous réalisons les études. Nous devons donc considérer l’expérience répondant comme une priorité, en travaillant les designs et les protocoles de contact. Nous y avons tous collectivement intérêt.

Nous avons largement évoqué les problématiques de représentativité, mais il y a également des enjeux d’image. Pour nous, pour la profession, mais aussi pour les clients au nom desquels nous réalisons les études. Nous devons donc considérer l’expérience répondant comme une priorité, en travaillant les designs et les protocoles de contact. Nous y avons tous collectivement intérêt.


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Bruno François

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