# Comment concilier agilité et hauteur stratégique ?
Interview d'Aurélie Plessier et Nathalie Vidor (June Marketing) - Dossier Agilité

"Plus d’agilité, c’est d’abord plus de pertinence !"

Aurélie Plessier et Nathalie Vidor
Head of Innovation and Strategic Planning et Partner - June Marketing

29 Sep. 2021

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Pour Aurélie Plessier et Nathalie Vidor (June Marketing), il est évident que le besoin d’agilité des équipes market research des entreprises impacte fortement leur relation avec les instituts et des agences. Mais il serait erroné selon elles de réduire celui-ci à l’exigence du « toujours plus vite, toujours moins cher ». Les attentes évoluent, au gré d’une transformation en profondeur de ce métier, la pertinence étant l’enjeu clé. Elles nous livrent leur analyse de ces mutations, et leur vision des meilleures options pour s’y adapter.

MRNews : Lorsque les responsables Études des annonceurs évoquent leurs besoins et leur relation avec les instituts, la notion d’agilité est extrêmement présente. Comment décodez-vous cela ?

Nathalie Vidor (June Marketing) : L’importance de ce besoin d’agilité est une évidence, même si ce mot recouvre des réalités bien différentes d’une entreprise à une autre. Il nous semble cependant avoir beaucoup évolué. Il y a quelques années, « agile » voulait souvent dire « moins cher » pour nos interlocuteurs, face à la pression exercée sur leurs budgets. Aujourd’hui, être agile, c’est surtout être plus « smart » Il faut être plus malin, plus intelligent dans l’élaboration et la conduite des projets. Et donc être capable de raisonner « out of the box » pour trouver les options les plus pertinentes. Ce terme-là, celui de pertinence, met vraiment le doigt sur la priorité de nos clients.

Aurélie Plessier (June Marketing) : Cette évolution me semble aller de pair avec une transformation du métier « Etudes » chez les annonceurs. Leurs marchés exigent de plus en plus de réactivité. La profusion de données est telle qu’ils ne peuvent pas tout prendre en compte et tout analyser. Et les parcours consommateurs sont aujourd’hui bien plus complexes et difficiles à décrypter que par le passé. Tout cela soulève le besoin de « simplifier », d’identifier les informations pertinentes comme l’évoque Nathalie. Et c’est bien ce qu’exigent prioritairement nos clients, en nous demandant plus de hauteur stratégique. 

Plus d’agilité, ce n’est donc pas fatalement des études moins couteuses et plus rapides ?

NV : Il ne faut pas se mentir, ces impératifs sont bien présents. Mais derrière cela, il y a aussi et surtout la nécessité d’épurer, d’aller à l’essentiel pour être plus pertinent et mieux impacter les décisions de l’entreprise. Nos interlocuteurs ont également besoin d’une plus grande assurance quant au « retour sur investissement » des projets d’études. Pendant longtemps, notre univers a été relativement épargné par cette exigence de ROI. Mais les choses changent, et les impératifs d’utilité et de performance sont de plus en plus mis en avant.

Derrière (le besoin d’agilité), il y a aussi et surtout la nécessité d’épurer, d’aller à l’essentiel pour être plus pertinent et mieux impacter les décisions de l’entreprise

Dit en termes un peu « cash », cette demande d’agilité n’est-elle « que du bonheur » pour les instituts ?

NV : Répondre à ce besoin est bien sûr très challenging. Et, nous y reviendrons certainement, cela interroge parfois notre modèle économique. Mais cela s’inscrit dans une transformation profonde et incontournable de ce métier. Elle implique des remises en cause, chez nos clients comme chez nous, mais ce phénomène est fondamentalement sain

AP : Une autre notion, celle de flexibilité, me semble importante pour préciser cet impératif d’agilité. Elle touche à beaucoup de composantes, à commencer par la nature des dispositifs que nous sommes amenés à utiliser. Nous avons en particulier de plus en souvent recours aux outils digitaux, y compris pour les études qualitatives. La crise sanitaire a été en ce sens un super accélérateur. Nos clients, nous-mêmes, nous avons découvert de nouvelles perspectives, notamment celle de pouvoir travailler sur des cibles jusqu’ici difficiles, voire impossibles à investiguer. Certains de nos interlocuteurs, qui avaient de fortes réticences vis-à-vis des groupes on-line ne veulent aujourd’hui plus revenir en arrière. Mais cette flexibilité va au-delà des outils. C’est aussi la faculté à adapter le projet en cours de route, ne serait-ce que parce que les besoins des clients internes ont évolué. 

Nous avons évoqué ce qu’était ce besoin d’agilité chez vos clients. Concrètement, qu’est-ce qui permet d’y répondre, et de concilier celui-ci avec l’impératif de valeur ajoutée ?

NV : La pluridisciplinarité et la capacité à hybrider les démarches nous semblent essentielles. Cela s’applique complètement en tout cas pour une structure comme la nôtre. Nous avons fait le choix il y 4 ans de fusionner au sein d’une même entité — June Marketing — des expertises multiples : le quali, le quanti, l’innovation et le planning stratégique. Et de désiloter radicalement notre organisation. C’est ce qui nous permet d’intervenir en mode projet, avec une synergie maximale ; d’autant que nous restons une petite structure, avec une quarantaine de personnes environ.

AP : Concrètement, cela se traduit par le fait que les différentes compétences sont sollicitées tout au long des processus d’études. Le patron du quanti va suivre au moins une partie des groupes quali. Et moi — ou les personnes de mon équipe — sommes également impliqués pour quasiment toutes les étapes… Cette connaissance partagée permet à la fois de construire ces dispositifs plus smart que nous évoquions précédemment, mais aussi de renforcer la qualité des recommandations.

La pluridisciplinarité et la capacité à hybrider les démarches nous semblent essentielles pour répondre à ce besoin de concilier agilité et hauteur stratégique.

Des exemples pour illustrer ce côté plus « smart » ?

NV : Ils sont nombreux. C’est le fait de prolonger une étude quantitative par des interviews qualitatives sur une sélection minutieusement choisie de répondants. Ou de compléter cette investigation en interrogeant quelques trend-setters. Ces options permettent de faire l’économie d’un dispositif qualitatif classique, tout en apportant des éclairages précieux. Dans des projets d’innovation, cela peut aussi consister à faire réagir des consommateurs tout de suite en conclusion d’une session de workshop, lorsque de premières pistes ont été esquissées, pour valider très vite que l’on part dans la bonne direction. Ou corriger le tir.

Vous avez mentionné l’expertise du planning stratégique. Qu’apporte-t-elle dans ce contexte ?

AP : Elle contribue à assurer l’utilité stratégique des projets et de leurs enseignements, en étant présente sur les différentes étapes. Depuis le moment du brief et des échanges sur les objectifs. Puis, dans l’élaboration de la méthodologie, en travaillant par exemple avec les qualitativistes sur les matériaux et les guides d’animation. Et bien sûr en fin de processus, pour identifier les éléments de réponse les plus saillants à la problématique soulevée par l’entreprise. Cet apport repose naturellement sur notre connaissance des tendances consommateurs, qui vient ainsi nourrir la démarche. Mais pour s’exercer réellement, cela implique souvent de remettre en cause des habitudes, des cadres de pensée notamment auprès des équipes marketing. Et donc d’oser poser certaines questions… Il faut être à même de challenger les briefs.

Vos interlocuteurs vous demandent cela, de pouvoir challenger leurs briefs ? Même lorsque cela nécessite une réflexion particulière avec les clients internes, ce qui suppose du temps ?

NV : Oui, cela fait clairement partie de leurs attentes. C’est même pour cela qu’ils nous sollicitent ! Tout n’est pas toujours dit explicitement au moment du brief initial. Nous avons un rôle essentiel pour éclaircir les objectifs, faire en sorte que l’on soit vraiment au clair avec les enjeux stratégiques de l’entreprise.

AP : Cela ne peut bien sûr se faire que dans un climat de confiance. Il s’agit d’ouvrir une discussion entre partenaires autour du projet, personne ne doit se sentir menacé ou remis en cause dans ses compétences. Cet échange est rapide. Le plus souvent, ce sont quelques minutes qui permettent au final de gagner du temps et de la pertinence. Je trouve que ce dialogue se fait bien plus naturellement avec les instituts d’études qu’avec les agences de communication, qui n’osent parfois poser des questions de crainte de froisser.

Nos interlocuteurs nous demandent de challenger leurs briefs. Cela fait partie de leurs attentes, c’est même pour cela qu’ils nous sollicitent.

Cela suppose de la seniorité, d’un côté comme de l’autre…

AP : C’est vrai. Cela fait également partie de ce que nos clients nous achètent. Nous avons le parti-pris néanmoins de toujours associer des juniors, ce qui nous permet de les former, de les faire progresser. 

NV : Ce dialogue me semble être facilité par la transformation du métier de nos interlocuteurs en entreprise. Les questions de naming de leur fonction ne sont pas gratuites, ils ont de plus en plus le rôle d’accompagner les équipes marketing, avec la capacité donc de les interroger et de challenger leurs besoins.

Quels conseils donneriez-vous aux annonceurs pour mieux concilier agilité et apport stratégique ? Et est-ce réellement possible dans des projets en mode « one-shot » ?

AP : Il faut impérativement qu’il y ait beaucoup de clarté, de transparence et de confiance dans la relation avec l’agence. Si le rôle perçu de celle-ci se limite à un collecteur de datas, cela ne fonctionnera pas !

NV : Nos clients sont fidèles. Nous n’avons donc que relativement peu de chantiers « one-shot ». Mais ceux-ci peuvent très bien avoir une forte portée stratégique. En particulier pour des annonceurs qui n’ont pas d’énormes budgets études, et qui souhaitent tirer le meilleur parti possible des projets qu’ils lancent. 

J’ajouterai que les entreprises ont souvent un fort intérêt à évoluer — comme nous l’avons fait — dans le sens du désilotage de leur organisation. Pour qu’il y ait à la fois de l’agilité et un regard stratégique sur les problématiques, il faut que les différentes parties prenantes du chantier travaillent ensemble.

AP : Les aspects de communication sont en effet très importants. Entre les équipes au sein de l’entreprise, mais aussi entre elles et nous. L’agilité demande de la disponibilité de part et d’autre, et une très grande fluidité des échanges. Les outils digitaux peuvent apporter une aide précieuse en ce sens. On peut aller très vite via un simple groupe WhatsApp. Et on peut naturellement utiliser des outils plus sophistiqués, en particulier sur des projets où il y a une forte composante de test-and-learn et beaucoup d’itérations.

Il faut impérativement qu’il y ait beaucoup de clarté, de transparence et de confiance dans la relation avec l’agence. Si le rôle perçu de celle-ci se limite à un collecteur de datas, cela ne fonctionnera pas !

Une dernière question enfin. Vous avez évoqué l’enjeu du modèle économique des instituts. En quoi est-il concerné par ce sujet ? Et comment celui-ci doit évoluer ?

NV : Historiquement, le contrat passé entre les entreprises et les instituts repose principalement sur la collecte de données. Les habitudes se sont en grande partie ancrées sur ces bases-là. Or, il se trouve qu’avec la digitalisation, cette collecte est de moins valorisée par nos interlocuteurs, leur attente ayant fortement glissé vers la pertinence des analyses et des recommandations. C’est le sens de l’histoire. Il peut ainsi y avoir une sorte de hiatus. Et il est donc important pour nous de mieux valoriser cette couche de prestation, et de mener avec nos clients une réflexion sur des modalités contractuelles plus adaptées.


 POUR ACTION 

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