# Panels online, réseaux sociaux, téléphone,... : quels outils pour les études marketing aujourd’hui et demain ? (volet 2)
Laurent Poggi, co-fondateur de Callson

"Ce bon vieux téléphone a encore de beaux jours devant lui !"

Laurent Poggi
Co-fondateur et CEO de Callson

14 Avr. 2021

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La montée en puissance des panels on-line au détriment des recueils téléphoniques est à l’évidence une des transformations majeures des études marketing sur ces dix ou même quinze dernières années. Mais rien ne dit pour autant que celle-ci va obligatoirement se poursuivre. C’est la conviction de Laurent Poggi, le co-fondateur et CEO de Callson, dont l’activité prédominante reste le CATI. Il nous livre sa vision des avantages que conserve ce médium, des types d’investigations pour lesquelles il est particulièrement adapté, et des possibles évolutions. 

MRNews : Votre société est spécialisée dans la réalisation de terrains d’études marketing, le téléphone étant votre principal domaine d’intervention. La demande des clients a-t-elle beaucoup évolué sur ces 5 à 10 dernières années ?

Laurent Poggi (Callson) : Nous avons en effet bâti notre réputation en grande partie sur les terrains téléphoniques, qui représentent environ 75% de notre activité. Mais nous utilisons d’autres méthodes de recueil, ce qui nous permet de pouvoir conseiller nos interlocuteurs en fonction de leurs besoins. Depuis 10 ans, l’évolution la plus spectaculaire est bien sûr la forte progression de l’online sur les problématiques BtoC, qui s’est surtout faite au détriment du téléphone. Mon sentiment néanmoins est que nous sommes arrivés à un point d’équilibre. Cela se traduit de notre côté par une stabilité de la demande. Le téléphone continue à bien résister et à s’imposer pour étudier des cibles business to business, ou bien sur les investigations btoc locales. Et il reste une option privilégiée par nos interlocuteurs lorsqu’ils travaillent sur des projets particulièrement exigeants pour ce qui est de la représentativité des échantillons. Tout cela fait qu’il a encore de beaux jours devant lui !

Les panels on-line sont aujourd’hui la solution « par défaut », mais le téléphone a encore et toujours son espace à lui ?

Le choix du on-line est devenu un réflexe, c’est vrai, surtout pour les jeunes chargés d’études. Mais le on-line présente des limites, en particulier pour les investigations BtoB et/ou locales. Il ne permet le plus souvent pas de recruter suffisamment de répondants. Le téléphone est dans ce cas bien plus efficace. 

Le panel est en réalité une technique très ancienne, utilisée même avant le téléphone. Mais, le passage au digital l’a fait revenir au premier plan, avec une économie très intéressante. C’est sa grande force. Le on-line donne également la possibilité d’une interrogation dynamique, interactive. L’auto-administré est très pertinent pour certaines questions, notamment quand les interviewés peuvent répondre en mode drag-and-drop. Pour établir un ranking de préférence par exemple, alors que ce serait fastidieux, voire irréalisable, avec un dispositif CATI. Mais le principe de l’auto-administré n’est pas forcément adapté à toutes les situations…

Quels sont les autres avantages du téléphone, en particulier versus les solutions onlines ?

L’outil téléphonique permet de mieux maitriser la qualité du recueil. Les enquêteurs sont formés pour questionner et écouter scrupuleusement les réponses des participants en étant attentifs à ce que les questions soient bien comprises. Ils sont encadrés selon des ratios stricts. Et toutes les interviews réalisées peuvent être suivies. Avec les panels onlines, les conditions sont moins favorables. On peut certes effectuer un certain contrôle via des algorithmes, mais celui-ci a ses limites. 

Par ailleurs, le téléphone permet de travailler sur l’ensemble de la population cible. Tout le monde ou presque est équipé, et est donc susceptible d’être sollicité. A contrario, les panélistes constituent un univers en soi, avec la possibilité que leur pattern psychologique ne soit pas strictement le même que celui du reste de la population. On interroge un échantillon dans un échantillon, ce qui n’est pas le cas avec le téléphone si l’on réalise une étude de type « national-représentatif ».

 Est-ce si facile de joindre les personnes sur téléphone aujourd’hui ? 

C’est devenu plus difficile qu’il y a dix ou vingt ans, c’est évident. Du fait notamment d’une exaspération croissante des gens face aux procédés du marketing direct. Mais ils reçoivent aussi des flots de mails. L’indicateur essentiel, ce sont les taux de réponses. Et, sur ce plan, l’avantage du CATI est considérable, avec un ratio dix à vingt fois supérieur à celui des mails. Quand les personnes sont contactées par téléphone, il est rare qu’elles raccrochent au nez de l’interlocuteur. Alors qu’il est on ne peut plus facile de se débarrasser d’un mail ou de l’ignorer ou encore de commencer un questionnaire online et l’arrêter en fonction de son désintérêt ou manque de temps. 

La sollicitation est également très différente. Répondre par téléphone aux questions que pose un enquêteur, sans devoir agir, c’est relativement « confortable », bien plus que de s’exprimer en mode auto-administré. Nous le voyons bien quand nous montons des solutions incluant du co-browsing, mixant téléphone et on-line. Les gens sont à priori disposés à participer à l’accroche téléphonique, mais lorsqu’on leur demande de se connecter sur la plateforme web, plus de la moitié d’entre eux n’en font pas l’effort.

Vous évoquiez la supériorité du téléphone pour les investigations locales. Les études sur les réseaux sociaux ne vont-elles pas prendre l’avantage sur ce type de projets ?

J’avoue manquer encore de retours d’expérience sur ces protocoles. Mais ceux-ci soulèvent la question de la représentativité des échantillons… Qui répond ? Alors qu’avec le téléphone, on respecte le principe de l’aléa, idéal sur le plan de la pureté statistique. C’est comme si l’on faisait un tirage au sort dans une urne pour reprendre cette image souvent utilisée dans les manuels de statistiques. Et, par ailleurs, on contourne fortement le biais de l’auto-sélection. 

L’auto-sélection, c’est le fait de ne répondre que lorsqu’on se sent concerné par le sujet de l’étude ?

Tout à fait. Bien sûr, ce phénomène ne peut être complètement annihilé. On ne peut pas forcer les gens à répondre ! Mais ce biais est nettement limité lorsqu’on contacte les individus par téléphone. Là encore, l’enquêteur a des marges de manœuvre pour convaincre l’interlocuteur de participer. Et celui-ci se prête le plus souvent au jeu, que ce soit par politesse ou par curiosité, en sachant qu’il n’aura pas un grand effort à faire. Le cadre est complètement différent si on sollicite les gens via des emails ou des messages sur les réseaux sociaux. Cet impératif de représenter correctement la population cible— que les individus se sentent concernés ou pas par le sujet — prime encore pour beaucoup d’études.

Comment met-on en oeuvre ce principe d’aléa dans les terrains téléphoniques ? Les mobiles sont-ils bien inclus ?

L’idée consiste à utiliser de plus en plus la génération aléatoire des numéros. Une fois que l’on connait les taux d’attribution pour les différents préfixes – ce que l’on appelle les ABPQ – , on obtient un fichier de contact rigoureusement représentatif de la population équipée de téléphones, ce qui est très proche des 100%. Ce principe d’aléa est très efficient, et permet de limiter très fortement les compléments de fichiers type page blanche, ou de s’en passer. 

Quelles évolutions vous semblent les plus probables dans les cinq ou dix ans à venir ?

Le poids des panels on-line a considérablement progressé jusqu’à ces dernières années. Mais je ne suis pas convaincu que cette tendance se poursuive. Je fais plutôt le pari d’une stabilisation, voire d’une légère reprise pour le téléphone, en tout cas pour certaines problématiques. Nos interlocuteurs font des essais qui ne s’avèrent pas toujours concluants. Ils reviennent alors vers des solutions qu’ils savent robustes. La pression sur les budgets est cependant très prégnante. Les annonceurs ne font pas nécessairement moins d’études… Au contraire même, ils ont besoin d’en faire plus, quitte à être moins exigeants sur la précision des éclairages. 

Mais la R&D se poursuit sur ces sujets, beaucoup de choses restent à inventer, notamment en mixant les méthodes, téléphone et on-line. Nous faisons pas mal d’expériences dans ce sens.

Dans quels cas ce mix téléphone / online vous parait particulièrement intéressant à mettre en oeuvre ?

Il nous arrive de devoir intégrer un terrain téléphonique en mode recours, pour pallier la difficulté à recruter certaines cibles sur des projets online. On « sauve » ainsi certaines études. Mais les dispositifs les plus intéressants sont ceux où la complémentarité a été pensée en amont. Par exemple dans des investigations BtoB, le téléphone permettant de contacter les personnes, l’online apportant lui ses avantages pour présenter des produits ou des concepts, et proposer des questions auxquelles il est plus facile de répondre en drag and drop. Cette approche a un coût bien sûr, mais elle est très qualitative tout en étant bien moins chère que du face-à-face.

Quels conseils donneriez-vous enfin sur ces enjeux aux professionnels des études travaillant côté annonceurs ?

Mon conseil serait de ne jamais oublier que la méthode prime. Il faut savoir mettre de côté ses habitudes ou ses réflexes, et se donner le temps de la réflexion. Cela me semble important de systématiquement consulter les personnes qui ont une réelle expertise sur ces sujets. Pour assurer la faisabilité de l’étude, sa pertinence économique et la fiabilité des résultats. Aucune méthode n’est bonne ou mauvaise en elle-même. Elle est simplement plus ou moins adaptée à la problématique. Le face-à-face, par exemple, en sortie de métro, cela peut s’avérer bien utile pour interroger des jeunes sur Paris, dans un timing serré. C’est du vécu. Réfléchir un peu à la méthodologie n’est donc jamais du temps perdu !


POUR ACTION

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