# Panels online, réseaux sociaux, téléphone,... : quelles sources pour les études aujourd’hui et demain ? (volet 1)
Interview de Jérémy Lefebvre (Episto) - Etudes marketing et réseaux sociaux

"Les réseaux sociaux complèteront précieusement la boîte à outil des market researchers"

Jérémy Lefebvre
Co-fondateur d’Episto

2 Mar. 2021

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Depuis que les études marketing existent, on peut avoir le sentiment que tous les modes de recueil quantitatifs ont le même destin : celui de se voir un jour ou l’autre supplanté par un nouveau. Mais n’est-ce pas là une simplification de la réalité ? Et plus précisément pour la décennie 2020, quelle place devraient prendre les réseaux sociaux dont on parle aujourd’hui beaucoup en tant que source de répondants. Co-fondateur d’Episto — une start-up spécialiste de ces techniques —, Jérémy Lefebvre nous livre sa vision et ses convictions.

MRNews : Vous avez créé Episto, dont l’originalité est d’interroger les gens sur les réseaux sociaux. Cette approche a-t-elle des chances d’être un jour dominante dans les études marketing ? 

Jeremy Lefebvre (Episto) : Je suis convaincu que les réseaux sociaux sont la nouvelle source émergente aujourd’hui. Mais je ne crois pas une seconde qu’elle va remplacer toutes les autres et devenir LA solution exclusive. C’est vrai qu’une frise historique des études peut donner ce sentiment qu’une source a tendance à s’imposer à peu près tous les 20 ans. Il y a eu le face-à-face, puis le téléphone, les panels online…et il y aurait maintenant les réseaux sociaux. Quand on y regarde de plus près, on voit que les nouvelles approches ne se substituent jamais totalement aux autres ; elles ont plutôt vocation à compléter la boîte à outils. C’est le scénario auquel je crois avec l’usage des réseaux sociaux, qui présentent d’immenses avantages, mais aussi parfois quelques limites. Comme toutes les méthodologies en réalité ! L’enjeu est de bien comprendre pour quels types d’études l’approche réseaux sociaux est la plus adaptée. Pour certains types d’études ils permettent réellement de faire plus qualitatif/plus rapide/moins cher, et il semble donc inévitable qu’ils deviennent l’approche dominante pour ceux-là.

Quelles sont selon vous les principales forces et faiblesses de ces deux grandes sources, les panels online et les réseaux sociaux ? 

La force des panels online est de pouvoir répondre à une large variété de problématiques. Les panélistes étant habitués à répondre à des sondages et rémunérés pour le faire, on peut se permettre de les interroger sur des sujets même peu engageants et sur des questionnaires parfois très longs. Ce type d’études est très peu adapté à l’approche réseaux sociaux. En revanche, les panels sont peu ou pas adaptés pour travailler sur des cibles rares ou des niches, et sont par ailleurs challengés sur leurs capacités à collecter des réponses authentiques auprès d’échantillons réellement représentatifs. C’est sur ces deux dimensions que les réseaux sociaux apportent un vrai plus. Notre solution permet par exemple d’interroger des consommateurs de marques à très faible pénétration, des jeunes, des populations locales, ou encore certaines cibles B2B. Et souvent de manière très rapide : il est possible par exemple d’interroger plusieurs centaines d’habitants d’une ville de 20 000 habitants en 24h. L’autre avantage majeur de l’approche réseaux sociaux est de mener facilement des études à l’international ou multi-pays, via un seul outil, alors qu’il était parfois nécessaire de combiner plusieurs partenaires jusqu’ici pour ces études.

La grande force des réseaux sociaux n’est-elle pas de rendre économiquement faisables des études qui ne l’étaient pas jusqu’ici ?

Tout à fait. C’est en effet un avantage énorme à mettre au crédit d’approches comme la nôtre. Elles ouvrent le champ des possibles et permettent de mener des études qui n’avaient jamais été possibles jusqu’ici, en particulier pour des approches hyper fines, sous l’angle géographique bien sûr, mais aussi pour des usages ou des comportements spécifiques. Par ailleurs, nos clients nous font également part de leur étonnement et de leur satisfaction quant à la qualité des réponses collectées : les répondants, non-habitués à répondre à des sondages et authentiquement intéressés par le fait de partager leur opinion, donnent des réponses très spontanées et riches. Ces approches apportent un vent de fraîcheur, et aident à être au plus proche des consommateurs. D’ailleurs, une anecdote récente qui illustre parfaitement comment les réseaux sociaux permettent d’interroger des cibles très précises et absentes des panels : lors d’une étude récente auprès des pratiquants d’un sport spécifique, l’un de nos répondants s’est avéré être…un célèbre athlète français, médaillé olympique !

Comment les individus sont-ils sollicités pour répondre ?

A partir de la cible telle qu’elle est définie par nos clients, nous élaborons des publicités, qui s’affichent au fil de la navigation sur les réseaux sociaux, en fonction des critères spécifiés. Ces publicités incluent une image et un texte pour proposer aux gens de cliquer pour participer à l’étude. Ils sont ensuite très classiquement redirigés vers un questionnaire web. Point important à avoir en tête : en recrutant via les réseaux sociaux, plus de 90% des répondants sont sur mobile. Il est donc indispensable que les questionnaires soient « mobile-friendly ». Ça semble être une évidence à notre époque, mais on voit encore pourtant trop souvent des questionnaires peu adaptés, très loin des standards actuels en termes d’expérience utilisateur. Dans notre cas chez Episto, le questionnaire prend la forme d’une conversation naturelle au format chat, qui rend l’expérience très fluide et facile pour les répondants non-habitués aux sondages. 

Est-ce qu’il n’y a pas un biais possible, liée à une forme d’ « auto-sélection » des répondants ?

C’est en effet un réel risque si l’on ne prend pas garde à la manière dont les publicités sont construites et dont les répondants sont ciblés. C’est une « science » qui nécessite de bien comprendre les mécanismes en œuvre via cette approche. Tout d’abord, les répondants qui sont sollicités via les publicités ont été ciblés, précisément parce qu’ils ont de fortes chances de correspondre à la cible recherchée : cela limite donc fortement ce biais, dès lors que nous avons les moyens d’adresser nos messages aux bonnes personnes. Ensuite, on travaille sur les messages des publicités pour s’assurer qu’ils soient attractifs pour l’ensemble de la cible, pas seulement pour une partie de la cible. Enfin, on met en place toutes les techniques habituelles pour assurer au mieux la validité et la représentativité des répondants : questions de screening, quotas socio-démographiques.

C’était un risque que nous avions anticipé lorsque nous avons commencé à explorer cette approche. Pour cette raison, nous avons été ravis de pouvoir mener à plusieurs reprises avec nos instituts partenaires des « AB tests » (ou « parallel testing »), qui ont à chaque fois confirmé que les résultats collectés via cette approche étaient identiques à ceux obtenus via des méthodes traditionnelles (panels et téléphone). Y compris sur une étude d’opinion !

En fait, il faut être lucide et conscient des avantages et des limites de chaque approche. Toute méthode de collecte présente des biais. Ceux liés aux panels et au téléphone sont bien connus, ceux liés aux réseaux sociaux sont nouveaux et nous sommes en train de créer cette connaissance via les projets variés que nous réalisons chaque jour.

Au fond, utiliser les réseaux sociaux amène à penser et à concevoir les études autrement, avec un nécessaire effet d’apprentissage ?

Absolument. Il faut tenir compte des avantages mais aussi des petites limites propres à cette approche. Nous l’avons évoqué, cette option n’est certainement pas la meilleure aujourd’hui pour travailler sur des sujets peu engageants, avec des questionnaires allant au-delà de 10 à 12 minutes. Mais elle est extrêmement adaptée pour des interrogations courtes, sur des cibles impliquées. Elle invite à concevoir et rédiger les questionnaires autrement, avec un style très simple, direct. Je crois qu’il ne faut jamais perdre de vue que tout mode de collecte induit des « biais ». Il est donc nécessaire de réfléchir sur ces choix, de trancher en fonction des objectifs et du contexte propre à chaque étude. Et également pour les acteurs comme nous d’engager un travail de R&D pour bien appréhender les limites, et voir comment les gommer ou les minimiser.

Je fais volontiers le parallèle avec ce qui s’est produit lorsque les panels onlines ont fait leur apparition dans le domaine des études marketing. Cela a d’abord suscité pas mal de résistances, et il a fallu un peu de temps pour que les professionnels s’approprient cet outil et en définissent le meilleur usage.

Quel pronostic faites-vous pour les études par téléphone ? 

Là encore, je ne pense pas que ce mode va disparaitre du paysage, il subsistera des usages pertinents. Par exemple pour des interactions assez « qualitatives », ou l’enquêteur a un rôle important pour s’adapter à ses interlocuteurs. Mais en effet, même si ces évolutions prennent plusieurs années, on peut raisonnablement penser que les réseaux sociaux vont très largement les remplacer, dans la mesure où ils permettent de mener des études similaires, systématiquement plus rapides et moins chères…et partout dans le monde.

Une dernière question enfin : auriez-vous des conseils à donner aux professionnels des études marketing sur ces enjeux ?

Je les encourage d’abord et avant tout à tester. La meilleure façon d’apprendre est de faire des expériences. C’est ce qui permet de se faire ses propres convictions des avantages et inconvénients propres à chaque approche, de discerner laquelle est optimale pour chaque cas d’usage.

Je crois aussi à l’intérêt de s’interroger sur les enjeux de faisabilité économique. Beaucoup de besoins ne sont pas satisfaits parce que les études sont trop coûteuses à mettre en œuvre avec les méthodologies disponibles. Et dans beaucoup de cas, l’usage des réseaux sociaux change radicalement la donne !


POUR ACTION

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