Dans toutes les organisations et à tous les étages, les temps que nous vivons imposent le même impératif, celui de l’efficacité à court terme et de l’agilité. Le marketing ne peut évidemment pas s’y soustraire, ni les équipes ‘études’. Mais, pour Valérie Fohrer (Guy Degrenne), plus que jamais peut-être, ces dernières doivent puiser dans leurs ressources pour apporter aux marques la hauteur de vue dont elles manquent parfois si cruellement, en les aidant à mieux se différencier et à détecter les pistes d’innovations gagnantes pour demain.
MRNews : Vous êtes aujourd’hui Chief Marketing Officer chez Guy Degrenne. Pourriez-vous nous résumer le parcours qui a été le vôtre avant d’occuper cette fonction ?
Valérie Fohrer (Guy Degrenne) : J’ai jusqu’ici effectué un parcours 100% marketing, en évoluant cependant dans des environnements différents, y compris pour ce qui est du rôle des études et des budgets alloués à cette ressource. J’ai travaillé plus de dix ans dans l’univers des vins et spiritueux, chez Bacardi. Lequel était en réalité assez duel, une partie du portefeuille de marques ayant une forte orientation FMCG, avec beaucoup d’études quali ou quanti ; alors que l’autre s’apparentait au domaine du luxe. J’ai ensuite rejoint le secteur alimentaire avec Savenzia ; avec là, à nouveau, un rôle très important des études. Je travaille depuis 18 mois maintenant chez Guy Degrenne, une société culturellement différente des précédentes, où les études sont moins présentes, les décisions reposant beaucoup plus sur des intuitions.
Sur ces dernières années, des évolutions vous paraissent-elles particulièrement marquantes quant au rôle des études marketing dans les entreprises ?
Il est difficile de généraliser bien sûr, mais je suis frappée par certains changements qui se sont opérés dans la pratique du marketing. Avec en particulier la nécessité de penser et d’agir beaucoup plus à court terme qu’auparavant. Il me semble que l’on ne travaille quasiment plus sur des plans à 5 ans, comme j’ai pu le faire par le passé. L’entreprise doit naturellement avoir une vision stratégique, mais elle doit aussi être à même de définir des plans d’action pertinents sur des horizons de 6 à 12 mois. Parce que les environnements évoluent très vite, de même que les attentes des consommateurs. Quand je pense rétrospectivement aux très grosses études que l’on pouvait faire il y a quelques années en arrière, je suis assez perplexe sur l’exploitation que nous pourrions en faire aujourd’hui dans des contextes si mouvants, instables.
J’ai le sentiment par ailleurs qu’il y a une relative convergence des discours des marques et que celles-ci ont du mal à véritablement se différencier les unes des autres, y compris des marques centenaires. Il me semble qu’il y a là un enjeu très important…
Cette pression du court terme est amplifiée dans le contexte Covid-19. Mais elle n’est pas nouvelle, vous l’avez soulignée. Le marketing peut-il s’y soustraire d’une manière ou d’une autre ? Et quel rôle peuvent jouer les études en ce sens ?
Le marketing et les études n’ont pas le choix. Nous devons tous être efficaces et pertinents sur des temps courts, et faire preuve d’agilité. Mais cette pertinence suppose en amont la définition d’une stratégie claire et d’une vision à plus long terme. Le rôle majeur des Etudes reste de nous aider à prendre de la hauteur, en particulier avec cette composante de planning stratégique qu’elles sont à même d’apporter. Et aussi pour inspirer ce travail de différenciation, qui ne peut se faire qu’avec des insights originaux, puissants. Elles doivent puiser dans leurs ressources s’il le faut pour y parvenir. Mais la partition ne se joue pas en solo ; ce rôle ne peut s’exercer qu’en complémentarité avec les agences de communication notamment. Le schéma le plus vertueux est celui où des partenaires stratégiques de haut niveau se challengent réciproquement, avec des directions générales prêtes à prendre un minimum de risques.
Quelle est votre organisation aujourd’hui pour cette activité Etudes ? Et quels sont les enjeux prioritaires ?
Nous n’avons pas une équipe 100% dédiée aux études marketing, pour lesquelles le budget est bien inférieur à ceux que j’ai pu avoir dans les précédentes entreprises où j’ai travaillé. Celles-ci sont gérées au sein de mon pôle marketing stratégique / communication, une personne en particulier ayant une excellente expérience de la collaboration avec les agences. Les deux grands sujets clés sont la marque et surtout l’innovation. La majorité de notre business est aujourd’hui réalisé en retail, mais nous avons l’ambition de fortement développer l’activité en CHR, sur des cibles extrêmement exigeantes. Cela implique un travail très particulier pour ce qui est de l’innovation, en partenariat notamment avec des chefs. Et de beaucoup plus s’intéresser à des dimensions d’usage et d’expérience que nous ne l’avons fait jusqu’ici.
Abstraction faite des contraintes budgétaires, ce serait l’idéal pour vous d’avoir une équipe focalisée sur les études et les insights ? Ou bien est-ce préférable d’avoir des profils polyvalents ?
Dans le contexte précis qui est le nôtre aujourd’hui, où tout est un peu à ré-inventer — le positionnement, les produits — l’idéal serait en effet d’avoir une petite équipe dédiée. Avec une attente forte de ma part sur les enjeux d’e-commerce, et la problématique de nourrir un site marchand avec un story-telling puissant.
Les professionnels qui travaillent dans les entreprises sur ces sujets Etudes / Insights / Connaissance Clients se posent beaucoup de questions. Pas uniquement sur la dénomination de leur fonction (rires) mais plus profondément sur son devenir. Vous venez d’évoquer l’importance de son rôle pour la détection des insights et contribuer à une plus grande différenciation. Voyez-vous d’autres priorités ?
Les gens qui sont dans ces fonctions ont la capacité à être de véritables business partners. C’est bien sûr le schéma idéal. Pour jouer pleinement ce rôle, je crois qu’il faut impérativement avoir une vision éclairée du PNL, des economics de l’entreprise. Peut-être j’insiste beaucoup sur ce point, mais il me semble essentiel que ces équipes apportent de la hauteur de vue, qu’elles nous poussent à prendre les sujets par le haut. L’idéal est dans cette conjonction, d’être à la fois connecté au business et d’aider la marque à se projeter sur le temps long.
Pour ce qui est de la dénomination, j’avoue avoir une nette préférence pour le terme d’Insights !
Dans beaucoup d’entreprises, il y a un enjeu sur l’exploitation de la data, des données internes. Celle-ci est souvent assurée par des équipes qui ne font pas partie du périmètre des études ou des insights, ni même du marketing. Pourtant, il y a potentiellement un intérêt à hybrider les différentes sources d’informations. Quel est votre regard sur ce point ?
Ce n’est pas une question facile… Ma conviction est que le chef de produit constitue un maillon essentiel dans une organisation marketing. Il doit penser et se comporter en patron de son activité, ce qui suppose d’avoir une vision holistique du consommateur, des ventes, et des données qui s’y rapportent. En théorie, c’est donc bien dans le périmètre du marketing que doivent se faire cette agrégation et ce travail de synthèse ; c’est ce qui permet d’éviter trop de déperdition dans l’analyse des informations. Mais il s’agit là d’un idéal, qui est difficilement atteignable lorsqu’on intègre toutes les couches de contrainte.
Si l’on additionne toutes les compétences que devraient avoir les équipes études — outre la technicité propre à la discipline —, cela peut sembler faire beaucoup. Le profil idéal ne se ressemble-t-il pas à un mouton à 5 pattes ? Auquel cas, quelle serait la priorité des priorités ?
C’est vrai, ça fait beaucoup (rires)… Je pense néanmoins que les priorités doivent se définir au cas par cas, en fonction de l’industrie et de l’entreprise. Pour nous, chez Guy Degrenne, le plus gros enjeu est celui de l’innovation, de la créativité. Nous avons besoin de dégager de nouveaux concepts pour nous donner les meilleures chances de lancer des produits incontournables sur le marché. Avec la recherche d’insights que cela suppose en amont.
Une dernière question enfin : quels conseils donneriez-vous à un jeune qui envisagerait de faire au moins un bout de son parcours professionnel dans ce métier des études et des insights ?
Mon premier réflexe serait de m’assurer que cette personne soit passionnée par la compréhension des gens ! Cela me semble être la clé ; il y a une dimension « sociologique » dans ces métiers, il faut aimer les gens et être curieux de leur complexité. Cette curiosité doit se déployer dans un grand nombre de sphères d’intérêt, un peu tous azimuts ; c’est comme ça qu’elle se nourrit le mieux. Et j’ajouterais enfin la dimension stratégique. Un bon market researcher, celui qui fait la différence, ne peut pas se limiter à être dans l’analytique, il doit aussi être un fin stratège !
POUR ACTION
• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Valérie Fohrer