# Covid-19 : Comment se préparer au monde et aux consommateurs « d’après » ? (volet 2)

"Cette crise interroge notre aptitude au changement"

Isabelle Fabry
Fondatrice d'ActFuture

2 Juil. 2020

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Et si l’aptitude au changement était LA clé, la variable la plus à même de faire la différence entre les entreprises gagnantes et les perdantes du monde « post Covid-19 », mais également la plus essentielle pour les professionnels de la connaissance clients, tant coté annonceurs que pour les agences et les instituts ? C’est une des convictions que nous livre Isabelle Fabry (fondatrice d’ActFuture et co-représentante Esomar France), à laquelle s’ajoute l’importance cardinale de la notion de responsabilité, qui doit elle aussi être partagée.

MRNews : Cette situation inédite qui nous vivons soulève naturellement beaucoup d’interrogations, et suscite des analyses variées… Quelles sont vos principales convictions sur la façon de « gérer » celle-ci ?

Isabelle Fabry (ActFuture) : Je ne veux surtout pas donner l’impression d’être cynique ou provocatrice, mais je pense réellement que cette crise constitue une opportunité incroyable pour notre profession. Pour une raison très simple : en résumé, on peut considérer que toutes les données antérieures sont pour ainsi dire obsolètes. C’est comme si on avait redistribué les cartes. Et ce dans un contexte très particulier puisque ce ne sont pas seulement les individus d’un pays qui ont été impactés, mais quasiment toute la planète. Des milliards d’êtres humains ont vécu le fait de devoir appuyer sur la touche pause, de ralentir des vies qui s’apparentent souvent à des courses. A des degrés divers, ils ont également eu peur de la mort, de la leur ou de celle de leurs proches. Ils se sont retrouvés à devoir s’interroger sur leur vie, sur la société, sur la planète… A se poser ainsi quelques grandes questions existentielles, et aussi beaucoup de petites, très matérielles, avec l’obligation de devoir changer leurs habitudes. Lorsque sortir de chez soi est compliqué, la question de l’utilité des choses est omniprésente. Et, surprise, ce qui paraissait hier indispensable l’est tout d’un coup beaucoup moins… Tout cela nous a impacté, et va nécessairement avoir des incidences sur énormément de pans différents, dont la consommation…

Sur la consommation, sur le travail, la mobilité, les relations entre les individus…

Absolument. Nous avons été extrêmement nombreux à faire l’expérience du télé-travail. Allons-nous accepter si facilement de devoir à nouveau consacrer une heure et demi pour aller et revenir du travail ? Les meetings se sont faits à distance… Allons-nous reprendre le TGV ou l’avion pour deux heures de réunion à l’autre bout de la France ou plus loin encore ? Et nos vies personnelles ont été bouleversées en effet, avec de nouvelles relations dans le couple, avec les enfants, les amis,…

Pour beaucoup, il y a eu une surprise du confinement. Il nous a privé d’une liberté essentielle, celle d’aller et venir. Mais nombreux sont ceux qui disent aujourd’hui qu’il a été l’occasion de vivre des expériences positives, notamment d’avoir plus de temps pour soi et pour sa famille…

Tout à fait. Ce temps suspendu nous a fait redécouvrir une forme de patience. On accepte des retards ou des manques, on relativise… Et on prend le temps d’analyser, de faire des choix. Nous avons tous scruté le fond de nos placards, et nous sommes, pour beaucoup, remis à élaborer des repas nous-mêmes. Ou nous sommes interrogés, compte tenu des contraintes, sur les lieux où aller faire ses courses, en les redécouvrant avec un oeil différent. Tout cela va forcément avoir des impacts.

Mais sans que l’on puisse avoir beaucoup de certitudes sur la nature et l’importance de ceux-ci ?

C’est bien l’enjeu en effet. Les psychologues savent cela par coeur : les êtres humains ont besoin de temps pour intégrer le changement, pour faire en sorte qu’un comportement nouveau devienne une habitude. Ils considèrent généralement qu’il faut au moins 3 semaines pour cela. Et, dans l’autre sens, certains comportements se transmettent de génération en génération. C’est le cas avec le réflexe du stockage, qui avait été pris par les personnes qui ont connu la dernière guerre mondiale, et qui a perduré très longtemps. Nous vivons donc une période très particulière, puisque nous avons été contraints d’adopter des comportements nouveaux, ou bien nous avons envisagé de le faire pour le futur. Mais qu’allons-nous faire ? Le consommateur qui déclare aujourd’hui privilégier le local dans ses achats va-t-il vraiment passer à l’acte, ou bien va-t-il revenir sur ses habitudes d’avant, et se retrouver à ré-acheter ses avocats sous blister en hyper-marché ? Est-ce que la peur qu’a déclenchée cette crise sanitaire va rester vivace, ce qui pourrait se traduire par le maintien de certains comportements – dont la distanciation physique – ou une ruée vers les vaccins anti-grippe l’hiver prochain ? Cette crise va-t-elle changer le rapport que nous avons à la mort, et nous inciter à plus profiter de la vie que nous ne le faisons ? Est-ce que cela ne va pas susciter au moins chez certains des comportements extrêmes, comme on avait pu le voir à l’époque du Sida ? Des questions de ce type, il y en a des milliers ! Mais les industriels ne peuvent pas ne pas se les poser. Et, sauf à subir, ils doivent se mettre en position d’observer quels sont les comportements qui vont s’ancrer versus ceux qui disparaitront ou resteront des voeux pieux.

Les entreprises qui « gagneront » seront celles qui adopteront cette logique d’observation pour anticiper et s’adapter ? 

Oui, certainement. Mais je crois que la différence se fera en amont, précisément sur la capacité que les entreprises – et les individus – auront à se remettre en question. L’inertie fait partie de la nature humaine. C’est vrai pour les consommateurs. Mais ça l’est tout autant pour les décideurs des entreprises et pour les professionnels que nous sommes. Le réflexe de certains sera d’abord et avant tout de « faire comme avant », et de rester ainsi dans une certaine zone de confort ; là où d’autres feront le maximum pour re-penser les choses. Cela a toujours été vrai, mais ce que nous vivons va créer un fossé entre ces deux attitudes…

Il y a beaucoup d’enjeux importants du côté des industriels… Lequel vous semble peut-être encore plus essentiel que tous les autres ?

La question de la responsabilité environnementale et sociétale me parait réellement critique. Pour beaucoup d’entreprises, elle va se poser de façon assez nette. Vont-elles vraiment faire attention à l’environnement ? Ou bien faire semblant, pour conserver des couts bas et avoir ainsi des tarifs aussi compétitifs que possible ? Ce qui soulève des enjeux de marque et de valeurs d’entreprise.

Et bien sûr, le sujet de la distribution reste extrêmement épineux. Avec une couche de complexité complémentaire, liée à l’incertitude quant au niveau de contrainte qui s’imposera, celui-ci pouvant évoluer très vite.

Cette variable de la distanciation — que l’on a qualifié de « sociale » — est clé pour beaucoup d’activités… Elle impacte également le domaine des études…

C’est vrai. Et plus particulièrement les études qualitatives. Le on-line s’est imposé comme LA solution du moment. Mais, comme toute technique, il a aussi ses limites…. Sauf cas particulier, des matériaux ouverts recueillis en online sont plus souvent d’une pauvreté confondante. Et le besoin de proximité, de sentir les choses, d’être au contact des gens, cela ne va pas disparaitre comme ça. Mais, là encore, il y a une réelle incertitude sur la façon dont évolueront les contraintes, et également sur la prégnance de certains comportements de prudence. Il va nécessairement falloir se ré-inventer, et être très souple pour s’adapter à des cadres mouvants !

Une dernière question enfin. Voyez-vous, dans ce contexte, un enjeu fort commun entre les entreprises et les professionnels des études ?

Je pense qu’il y a un risque important, un piège, celui de la superficialité des informations et des analyses. Il a toujours existé. Mais il l’est plus que jamais dans cette situation si singulière, qui va amener les décideurs à effectuer des choix potentiellement radicaux, engageants. Je crois que l’on ne se rend pas nécessairement compte de l’impact des études dans le fonctionnement des entreprises. Avec tout ce que cela implique sur le plan économique, social, environnemental. Il y a parfois un réflexe, dans les entreprises, qui est de dire que les études coutent cher. Mais combien coûte un flop ? Des marques peuvent être très affaiblies si elles prennent de mauvaises décisions, elles peuvent même en mourir. Nous devons donc tous agir de façon responsable, en ayant conscience de l’impact possible de ce que nous faisons, de nos choix ou de nos non-choix.


 POUR ACTION  

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