# Quel devenir pour la fonction Etudes chez l'annonceur - volet 1

"Nous sommes passés du fatalisme à une vraie mutation"

Isabelle Herbert-Collet
VP Market Research Groupe chez Orange

2 Mar. 2020

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Dans certains cercles s’expriment des incertitudes sur le devenir du métier, alors qu’ailleurs on constate un dynamisme et des évolutions inclinant à l’optimisme. C’est la vision que nous fait partager ici Isabelle Herbert-Collet, à la fois en tant que VP Market Research chez Orange et co-fondatrice d’Insights Hub, un collectif de professionnels travaillant côté annonceurs. Elle évoque les lignes de force d’une transformation qui ne doit pour autant pas sacrifier les fondamentaux d’un métier voué à avoir de multiples visages.

MRNews : De nombreux acteurs s’accordent à dire que, côté annonceurs, la fonction Études et/ou Market Research est en train de se transformer. Certains considèrent qu’une mutation est même indispensable pour éviter que la fonction ne s’étiole ou ne disparaisse. Il y a d’ailleurs beaucoup de débats sur la meilleure dénomination à utiliser pour celle-ci… Laquelle vous parait la plus pertinente ?

Isabelle Herbert-Collet (Orange) : Le terme Études est surtout utilisé en France pour notre métier, et il est un peu restrictif par rapport aux activités de nombreuses équipes, et aussi par rapport à d’autres noms, utilisés en particulier dans les associations internationales. De plus, ce terme un peu générique n’aide pas à valoriser la spécificité de nos activités. J’utilise plus souvent le terme anglo-saxon de Marketing Research, ou même celui d’Insights. Même si ce mot est un peu galvaudé, il dit quelque chose d’essentiel sur la valeur ajoutée de notre métier : il s’agit d’abord et avant tout d’apporter de l’intelligence en s’appuyant sur des données. Avec un rôle d’analyse, d’interprétation, mais aussi d’explorateur ou même d’éclaireur. Le métier serait-il voué à disparaitre ? S’il restait enfermé dans ses contours historiques, et focalisé sur un rôle réactif de preneur de commandes pour fabriquer des études via des instituts oui, ce serait très probable. Mais aujourd’hui, cette fonction a beaucoup évolué, elle est porteuse d’avenir, lorsque sa mission est bien de déployer cette valeur ajoutée que nous venons d’évoquer.

Cette description du métier, limité à un rôle de fournisseur interne, n’est-ce pas un artefact ? Ou du moins une réalité propre à une partie seulement des entreprises ?

Peut-être en effet cela s’appliquait plus particulièrement à l’époque où les données provenaient presque exclusivement de l’interrogation directe des consommateurs, ou des panels distributeurs. Le métier est né et s’est structuré d’abord dans l’univers des FMCG, qui face à un large volume d’études et d’analyse de panels, les ont standardisées, et en ont optimisé les méthodes. Aujourd’hui le métier dans ces mêmes entreprises s’est beaucoup transformé et intègre continuellement de nouvelles dimensions. Dans le domaine des services, de la technologie, ou encore dans d’autres configurations, par exemple avec l’international, ou partout où les sources de données sont riches et variées, le rôle des équipes Insights est très vaste. Dans le cadre de nos échanges au sein d’Insights Hub, on constate fortement ces transformations, plus ou moins avancées, et bien évidemment avec une forte hétérogénéité des pratiques et des rôles, liée aux différents contextes. 

Malgré cela je suis consciente que le métier de « preneur d’ordre » a été et reste encore une réalité. Pour certaines équipes Etudes, l’indicateur de succès est le nombre de projets mis en œuvre.

Quels sont les indices les plus significatifs de cette transformation du métier ?

Un des mots clés est très certainement celui d’hybridation. Celle des sources de données, qui peuvent aujourd’hui être très variées, ne pas se limiter en tout cas aux études reposant sur le déclaratif ou l’observation, mais intégrer les multiples facettes du digital, avec tout ce qui est accessible via le web mais aussi les nombreuses données internes aux entreprises. La combinaison des méthodes est également une composante clé. Quant à l’agilité, même si le mot est là encore un peu sur-utilisé, elle constitue un autre marqueur très important. Je pense en particulier à l’aptitude à accompagner les équipes dans la conception de nouveaux produits ou services. Avec des démarches laissant la place à de nombreuses itérations lorsqu’elles sont nécessaires, et un câblage mental privilégiant la rapidité et la simplicité des informations, et la flexibilité pour adapter les outils d’études au fur et à mesure. 

Cette logique d’accompagnement ne fait-elle pas partie des axes clés de cette transformation ?

L’accompagnement a toujours été présent dans des fonctions ‘Insights’. Mais oui, certainement, cela prend de plus en plus d’importance.  Notre rôle exige une forte capacité à agir et être reconnu comme des « partenaires », parfois comme des consultants internes ou même des « coachs », tant pis si le terme peut paraitre prétentieux. Cela passe par la formulation des bons diagnostics— qui est incontournable — mais c’est aussi par exemple le travail en réseau en s’appuyant sur des expertises extrêmement variées, la communication et le fameux « story-telling », la persuasion reposant sur des données fiables et auss iune forte empathie. Cela me rappelle un congrès Esomar, où un intervenant nous interpellait sur notre rôle futur : perdurer sur l’historique…comparé à des « bibliothécaires » ou des « policiers », ou bien nous projeter, vers des rôles plus d’« inspirateurs » ou d’« explorateurs ». Ceci représente bien un enjeu essentiel pour notre profession, même si la réalisation est parfois difficile. La place de la fonction Insights est entière et porteuse d’avenir lorsqu’elle sait se transformer et s’adapter aux problématiques de plus en plus complexes des entreprises – avant tout pour une seule finalité : faire passer la voix des consommateurs toujours plus difficiles à cerner, afin de contribuer au succès de l’entreprise.

Voyez-vous d’autres évolutions importantes ? 

Cela fait déjà beaucoup de choses, d’autant que nous devons rester vigilants quant à la qualité des fondamentaux. Avec la rigueur, l’objectivité et la fiabilité de nos contributions, et bien sûr la pertinence des interprétations et des analyses. Ces qualités constituent notre socle, il ne faut jamais le perdre de vue.

Si l’on additionne toutes les expertises et qualités qui sont demandées aux responsables études ou marketing research — notamment ce bagage technique et cette rigueur, la capacité à jongler avec toutes ces différences sources de données, ces talents de communication et l’aptitude à influencer les équipes —, est-ce que l’on ne retrouve pas face à un wonderman ou une wonderwoman ? Est-ce réaliste ?

C’est une bonne question ! (rires) Je crois en effet que cela fait beaucoup de compétences pour une seule personne ! L’idéal serait d’avoir une équipe avec des profils très complémentaires, lorsque c’est possible.  A défaut, notamment dans les plus petites entreprises, la solution peut être de travailler en mode transverse avec des partenaires internes. Mais, là encore, cela suppose une certaine culture générale de l’entreprise et de son management… 

La composante ‘organisation’ constitue un des enjeux clés pour la fonction… Quelle est votre perception sur l’entité à laquelle elle doit être rattachée ?

Comme pour tout autre métier, une place suffisamment proche de la direction générale facilite la visibilité des enjeux et la capacité à influencer les décisions. Une fois cette évidence posée, je n’ai pas d’avis tranché sur la direction de rattachement – Marketing, Stratégie, ou autre direction – la réponse tient beaucoup au contexte. Une autre question porte sur le choix entre une direction Insights centralisée, ou démultipliée avec différentes équipes dans différentes directions. Là encore, il n’y a pas de solution uniforme, mais je crois que sans équipe Insights centrale, ou au moins de réseau structuré, il existe de vrais écueils : l’incohérence des informations, qui est toujours pénalisante pour l’entreprise, la déperdition de valeur ajoutée et tout simplement du gaspillage des ressources …

Notre question est quelque peu personnelle… Si vous prenez votre propre cas, quelles sont les compétences que vous vous félicitez d’avoir pu développer, et à contrario celles qui peuvent vous faire plus défaut ?

Je considère avoir eu une grande chance, celle d’avoir été exposée très tôt et tout au long de mon parcours à une très large variété de problématiques et d’environnements, avec une forte dimension internationale, et aussi avec beaucoup d’enjeux de transformation. Cela aiguise naturellement la curiosité, et prédispose à savoir absorber la nouveauté. Pour ce qui est du sens de la communication, de la capacité à délivrer le bon message au bon moment, c’est un domaine sur lequel je pense avoir progressé au fur et à mesure de mon parcours, mais peut-être aurais-je pu y accorder plus d’importance plus tôt. Idem sur un enjeu comme celui de la maitrise des data, où les choses vont extrêmement vite.

Au global, vous diriez que vous être plutôt optimiste sur le devenir du Market Research et de cette ou ces fonction(s) dans les entreprises ?

Oui, je suis même très optimiste ! Même s’il y a une réelle difficulté pour les sociétés d’études  —ou les instituts, terme que je n’utilise pas trop — à adapter leur fonctionnement et leur modèle économique à ce nouvel environnement. Mais, côté entreprises, oui, je pense que nous sommes sortis de cette espèce de fatalisme qui a longtemps sévi pour être aujourd’hui dans le mouvement.  Encore faut-il, et c’est un point crucial, que nos organisations valorisent ce rôle étendu et motivant, en attribuant aux équipes Insights les moyens humains nécessaires. Mais au moins les choses bougent vraiment, on avance, c’est une évidence qui saute aux yeux lorsqu’on participe à notre Insights Hub !


 POUR ACTION 

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