# Agilité et études marketing : mode d’emploi (volet 1)

«L’agilité n’est jamais un acquis mais une remise en cause permanente»

Guillaume Roussel
Head of Market Research & Consumer Insights Orange France

16 Sep. 2019

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Orange fait partie des entreprises ayant défini l’agilité comme une de ses grandes priorités, et ce depuis déjà plusieurs années. Mais comment cet impératif s’est-il concrétisé pour les équipes en charge de la connaissance client ? Selon quel cheminement et avec quels impacts, que ce soit en termes d’organisation, de modes de fonctionnement, de natures d’études et de prestataires ? Guillaume Roussel (Orange) nous fait partager sa vision, ainsi que ses convictions sur les « leçons » et les pièges à éviter dans ce type de démarche.

MRNews : L’agilité correspond à un enjeu à l’évidence important pour Orange, bien sûr pour les équipes investies dans la connaissance client mais plus largement pour l’ensemble du groupe. Pourquoi ? Pourriez-vous résumer le cheminement de l’entreprise sur cette notion d’agilité marketing et l’impact que cela a eu pour les Études ?

Guillaume Roussel (Orange) : Cet impératif de l’agilité est en effet majeur pour nous, au point d’avoir été inscrit en 2015 dans les priorités de notre plan stratégique 2020. Avec un double objectif : améliorer les modes de fonctionnements internes pour, in fine, être plus efficace dans nos déploiements et gagner en réactivité sur des marchés de plus en plus concurrentiels. Le pari de diversifier notre activité nous obligeait également à travailler de façon plus souple et collaborative. Fin 2016, a ainsi été créée une direction digitale pour soutenir cette ambition. À partir de là, l’entreprise a expérimenté plusieurs configurations d’approches agiles, toutes basées sur les mêmes fondamentaux (des équipes pluridisciplinaires, travaillant sur un même sujet, idéalement sur un même espace, sur un espace-temps préalablement défini). Cela a contribué à modifier les demandes de nos clients internes sur les enjeux de connaissance Clients, et donc nos réponses. Pour eux, le besoin était de pouvoir disposer des données le plus immédiatement possible, quitte à ce que celles-ci soient limitées et perfectibles, plutôt que de devoir attendre des éléments plus robustes. Il a donc déjà fallu à l’époque que nous nous adaptions à ce contexte, en répondant plus rapidement, et donc parfois de manière dégradée.

Ces nouveaux modes de fonctionnement n’ont-ils pas été déstabilisants pour les équipes Etudes ?

Bien sûr. Au-delà de notre périmètre se posait une question plus globale pour l’entreprise, celle du bon lien à trouver entre des équipes agiles et un écosystème qui l’était moins. Il n’était pas rare de voir une équipe travaillant sur un sujet demander des données le jour pour le lendemain afin de nourrir leur réflexion, se confrontant ainsi à des directions qui, elles,ne sont pas dédiées à travailler sur un seul sujet… D’où des dysfonctionnements entre les équipes agiles et non agiles, qui ont alimenté les réflexions autour des outils DIY. Pour compléter cette transformation, de nombreux UX sont arrivés au sein de cette direction digitale, ce qui a alors représenté un enjeu très structurant pour les équipes de la Connaissance Client, car eux-mêmes étaient très investis dans la compréhension des attentes et comportements clients… 

Comment vous êtes-vous organisés pour y répondre ?

Cette direction digitale avec ces UX constituait légitiment de nouveaux clients internes et, à ce titre, il était essentiel de prendre du temps pour en comprendre les besoins, les enjeux. Nous avons donc investi du temps pour nous y consacrer. Nous avons découvert de nouveaux métiers, avec des rituels spécifiques, parfois même un nouveau langage (Pi planning, sprints, scrum master..). J’ai le sentiment que nous avons appliqué avec nos clients internes les règles que nous utilisons pour bien comprendre nos clients finaux : passer du temps avec eux pour en explorer et comprendre les attentes et les besoins. Cette démarche a été payante. Fin 2017, les ressources ‘Études ‘ ont été intégrées au coeur des projets et des équipes agiles. Ce parti-pris a permis de mettre en évidence la valeur ajoutée de nos experts – et en particulier leur capacité à être garant du respect des besoins des consommateurs finaux, tout en travaillant main dans la main avec un UX, un coach, un PO etc… 

Quelles ont été les conséquences sur l’organisation des équipes ?

Les conséquences sont multiples. Au lieu d’intervenir très en amont puis en aval des lancements, nos équipes Connaissance Client accompagnent désormais une équipe projet de bout en bout… en suivant ainsi désormais tout ce qui se réalise au moment du prototypage & UX.  Elles suivent ainsi moins de projets (certains nécessitant qu’on leur alloue trois jours par semaine) mais elle le font sans doute mieux. Alors qu’elles échangeaient principalement sur un projet avec une direction marketing, elles intègrent désormais des équipes pluridisciplinaires, avec des UX, des coachs… Les discussions sont plus riches, plus approfondies, et plus intenses ! Enfin, et c’est un facteur non négligeable, les équipes étant dédiées à suivre un projet agile, elles sont également amenées à y travailler dans un espace collaboratif de manière régulière, s’éloignant ainsi de leur environnement métier, de leurs pairs, ainsi que de leurs managers. Cela change mécaniquement la nature et la fréquence des échanges avec ces mêmes experts.

L’impératif de l’agilité ne favorise-t-il pas l’usage des études en DiY auprès des clients internes. N’est-ce pas un « danger » ? …

L’exemple d’un certain nombre d’entreprises nous a en effet alertés sur ce risque. En cherchant à aller plus vite, les équipes opérationnelles sont tentées de se tourner vers le DiY, elles sollicitent moins la direction de la connaissance client. Celle-ci perd en visibilité et en contrôle sur les enjeux d’études, sa valeur ajoutée devient moindre, et du coup l’organisation lui accorde moins de ressources budgétaires. Il a donc fallu que nous nous remettions en cause pour éviter cela, en passant le temps nécessaire à comprendre les besoins et les « codes » de nos clients internes. Et que nous adaptions nos outils bien sûr. C’était indispensable pour que nous puissions rester les garants de la voix des consommateurs finaux, de l’objectivité et de la robustesse des approches. Au final, je pense que nous y sommes parvenus, en renforçant notre capacité à apporter de la valeur ajoutée tout au long des processus de développement des produits ou des services. Du fait des nombreux bénéfices qu’il apporte, je suis convaincu que le DIY continuera à percer les organisations. Autant donc l’intégrer aux approches Connaissance Client et accompagner ce mouvement au mieux plutôt que de s’y opposer.

L’agilité ne passe-t-elle parfois par la nécessité de faire des concessions sur la rigueur des protocoles ?

Cela peut conduire, dans certains cas, à adopter des protocoles qui ne sont pas des plus orthodoxes. L’enjeu est surtout d’utiliser la complémentarité des approches. Les « guerilla tests » ou « streets interviews » ne sont par exemple pas un problème si ces outils sont réservés à s’approprier un sujet, explorer de premiers ressentis clients, et s’ils ne sont pas assimilés à des tests validants. Chaque élément apporte de la valeur, mais c’est surtout la capacité à orchestrer l’ensemble des projets de recherche qui est décisive. Avec des dispositifs lights pour s’immerger dans un sujet, puis des solutions plus robustes pour guider la prise de décision. 

Quels ont été les impacts sur la nature des sociétés avec lesquelles vous travaillez ? 

L’agilité implique l’obligation d’aller vite, la meilleure option pouvant être de faire les choses par nous-mêmes. Cela renforce le niveau d’exigence quant à la valeur ajoutée des sociétés avec lesquelles nous collaborons. Je préfère d’ailleurs parler de « partenaires » plus que de « prestataires »…

Toutes les sociétés d’études avec lesquelles vous travaillez ont-elles nécessairement ce statut de partenaires ?

Il y a sans doute une dichotomie en effet — qui s’est sans doute progressivement renforcée — entre des acteurs qui nous accompagnent plutôt en continu, et qui ont la capacité à travailler y compris avec nos propres données, et d’autres qui interviennent plus ponctuellement, pour apporter un morceau du puzzle. ll y a en tout cas une prime dans nos partenariats pour les sociétés à même de jouer la carte de l’accompagnement, et de s’insérer dans cette logique d’hybridation dans laquelle nous nous sommes engagés, où nous faisons plus de choses par nous même que par le passé, avec une plus grande diversité des sources d’informations. Et, disons-le clairement, tous les instituts ne sont pas à égalité quant à leur capacité à répondre à cet impératif d’agilité !

Au global, quelle est votre analyse, vos principales convictions sur la meilleure façon pour une organisation de devenir agile sur ce périmètre Études / Connaissance Clients ?

Ma première conviction est qu’il faut surtout préparer et accompagner nos équipes. Prendre du temps pour donner du sens, débattre, se projeter sur les implications sur nos métiers « historiques » et les aider à adapter nos modes de fonctionnements.  Le principe d’agilité vous oblige à vous remettre fortement en question, sur vos réflexes, vos process, votre expertise… Il faut donc accepter cela, ce qui n’a rien d’évident pour nos équipes. Il s’agit plutôt d’un cheminement, avec une logique d’amélioration continue, via des retours d’expériences systématiques qui nous permettent d’identifier ce qui a bien marché certes, mais surtout ce qu’il faut continuer d’améliorer. Les zones de confort sont faibles dans ce contexte, puisqu’il faut continuellement s’adapter et s’améliorer… 

J’ajouterai à cela l’exigence d’y consacrer des moyens humains et financiers. Cela me semble indispensable lorsqu’il est question d’une agilité à grande échelle, ce qui est bien sûr le cas avec Orange. Rendre agile un groupe de plusieurs milliers de personnes suppose un investissement conséquent, en particulier en termes de formation. 

J’échange depuis quelques mois avec beaucoup de mes pairs dans d’autres sociétés et nous débattons sur ce que sera la connaissance client dans quelques années,dans ce contexte d’agilité qui caractérise de plus en plus de grandes sociétés. C’est passionnant de voir les convictions de chacun. Pour certains, les directions de la connaissance client libèreront totalement les données pour adresser d’autres enjeux. D’autres pensent à l’inverse qu’elles devront continuer à centraliser les analyses clients… 

C’est un défi qui reste excitant à relever, car,malgré les difficultés nombreuses que nous pouvons rencontrer, cette transformation structurante se fait avec nos experts au cœur des équipes agiles ; et nous pouvons en être fiers !


 POUR ACTION  

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