# Etudes marketing et do-it-yourself : pour le meilleur ou pour le pire ? (volet 1)

Le challenge des Directions Etudes

Guillaume Roussel
Market Research Manager chez Orange

9 Mar. 2018

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Si le DiY appliqué aux études marketing— qui peut prendre des formes extrêmement variées — apporte de vraies réponses à de vrais besoins au sein des entreprises, il est aussi synonyme d’un risque à ne pas négliger : celui de casser la capacité à capitaliser sur la connaissance clients acquise projet après projet, et à bénéficier du recul que ne peuvent avoir les opérationnels. Quel rôle doivent donc endosser les directions études dans ce contexte ? Guillaume Roussel (Orange) nous fait partager son expérience et sa vision sur ces enjeux.

MRNews : Vous travaillez chez Orange à la direction de l’anticipation et de la connaissance client, au sein de laquelle vous managez un département Market Research qui contribue activement au plan stratégique 2020. Quelle est aujourd’hui la place des études en mode do-it-yourself chez vous ?

Guillaume Roussel (Orange) : Nous avons beaucoup d’outils disponibles, avec une variété d’applications très large, que cela soit par l’analyse de nos parcours clients, du social listening, via des communautés nous permettant d’interagir avec nos clients de manière autonome et très régulière, mais aussi bien sûr via l’analyse des verbatims provenant de toutes les sources d’études ou interactions avec nos clients. Nous faisons beaucoup de tests pour en comprendre les usages de manière plus fine, approfondie, identifier les cohérences/complémentarités de ces différents outils et ainsi se forger une conviction au quotidien sur ce que cela permet, mais aussi pour en connaitre les limites.

La panoplie semble très large. Pourriez-vous nous en dire plus sur les uses cases ou sujets traités via l’utilisation de ces outils ?

Sans pouvoir naturellement rentrer dans le cœur de chacun des sujets traités via ces outils, j’ai surtout le sentiment que chaque outil peut contribuer efficacement à nourrir une préoccupation marketing. Que cela soit pour comprendre les irritants clients, les ruptures dans nos parcours clients, ce qu’ils pensent des lancements d’offres de notre marque ou même de nos concurrents, tous ces sujets sont autant d’occasions d’utiliser ces outils. Je reste par contre convaincu qu’il est essentiel d’en croiser les regards pour en dégager une vision agrégée, cohérente, exploitable. Nous y reviendrons je pense…  

Quels ont été les éléments déclencheurs de cette démarche de test de ces outils ?

Le premier grand facteur déclencheur est la prise de conscience de l’extraordinaire capital de données dont nous disposons. Comme beaucoup d’autres sociétés, nous avons la chance de générer beaucoup de données passives au travers des interactions que nous avons avec nos clients, nous pouvons également exploiter les données liées à leurs usages. Du fait de l’impossibilité d’exporter ces données vers des prestataires externes, la solution s’est imposée d’elle-même, nous devions nous doter des outils nous permettant de les exploiter par nous-mêmes. En parallèle de cela, tout ce qui se dit spontanément sur le Web constitue une opportunité très intéressante pour compléter nos analyses. Cela ne fait que renforcer l’intérêt à disposer de nos propres outils.

Le second facteur clé est l’impératif de l’agilité au sein de l’entreprise. Dans le contexte du digital, il faut être capable d’agir (ou réagir) vite, très vite, beaucoup plus que par le passé. Cette accélération dans le processus de réflexion et décision nous impose de remettre à plat la façon dont nous designons les études clients (perçues désormais comme trop longues, trop couteuses, et ayant le travers ne pas pouvoir s’ajuster en temps réel). L’ambition parait simple : avoir la capacité d’interagir avec le client tout au long du processus de réflexion (et non pas une ou deux fois), et naturellement disposer des retours clients le plus rapidement possible… La réalisation de celle-ci l’est beaucoup moins et nous impose forcément de faire plus de choses par nous-mêmes, pour gagner du temps. Cela passe donc par une désintermédiation de l’interaction avec nos clients, et in fine à envisager de manière plus progressive le recours à ces outils DIY.

Un des grands mots d’ordre s’appliquant à la quasi-totalité des entreprises est celui de la « customer centricity ». Et avec lui, l’injonction à ce qu’un maximum de personnes soient connectées aux clients, et puissent idéalement interagir avec eux. Est-ce que cela ne constitue pas un facteur additionnel ?

C’est effectivement un élément de contexte qui s’ajoute aux composantes que nous venons d’évoquer mais « connecter le marketeur avec le conso »  n’est pas forcément synonyme d’utilisation massive des outils DIY. Il y a bons nombres d’autres moyens de travailler l’empathie client en pratiquant une interaction avec le client de manière professionnelle, accompagnée, rigoureuse, et objective. Je suis réservé, voire inquiet, sur la promotion qui est faite en ce moment des outils/démarches permettant aux chefs de produit eux-mêmes d’interagir avec leur conso.  Cette dérive me parait risquée, et notamment car l’on sait que l’objectivité dans l’interview reste une donnée clé dans un recueil de qualité, et dans la neutralité de l’analyse qui en sera faite. Et celle-ci s’amplifie naturellement avec les nombreuses opportunités qu’offrent ces outils/démarches DIY.  

Parlons précisément de ce risque. En ayant le recul de ces premières expériences, quel est votre regard sur les apports et les menaces associées à la diffusion de ces pratiques ?

Le vrai risque n’est pas dans les outils eux-mêmes, comme bien souvent, mais dans l’usage que l’on en fait. Si tout un chacun dans l’entreprise peut s’emparer de ces outils pour interagir avec les clients sans soutien ni coordination, on sait à quoi l’on s’expose : à des modes de fonctionnement où tous les collaborateurs ou presque se construisent des bouts d’histoires qui, mises bout à bout, forment un ensemble incohérent. On recueille beaucoup de données en accéléré, tous chacun de son coté… puis on va devoir passer ensuite du temps à échanger sur l’interprétation qu’on en fait, puis à expliquer la source des écarts… In fine, alors qu’on cherche tous à gagner du temps, on en perdra… C’est arrivé de nombreuses fois où des chefs de produit, évidemment ravis de pouvoir disposer de feedbacks clients de manière rapide et autonome, percevaient des différences inquiétantes entre les infos qu’ils recevaient via l’utilisation d’un outil « DIY » et un post test mené pour eux quelques semaines avant. « Sur quelle source doit-on partir ? Les avis semblent plus favorables sur celle-ci, on va peut être l’utiliser pour notre présentation demain… » me disaient-ils… Après analyse approfondie des méthodes, nous nous sommes aperçus que le périmètre scopé par l’outil en question était très limité, et l’exploitation impossible pour eux… mais ils ne le savaient pas. Je leur ai recommandé d’exploiter le post test, plus fiable et représentatif, ce qui a été fait… et d’incarner quelques situations de vies par ce que nous avions obtenu naturellement dans d’autres sources. C’est selon moi comme cela que nous y arriverons, en utilisant chaque outil mais de manière coordonnée/agrégée.     

Comme je le disais juste avant, j’ai la conviction qu’il y a de la place pour un système vertueux qui vise à promouvoir bien sûr le recours à ces outils DIY, ils sont riches d’enseignements, dans la plupart des cas très faciles  d’accès et d’utilisations. C’est en plus, il faut être réaliste, une vraie opportunité pour les directions études d’optimiser les budgets en ayant ainsi recours à des études externes pour compléter / enrichir une vision, avec en entrée beaucoup de données déjà disponibles.

Mais il sera, en tout cas selon moi, vertueux que si cela permet de produire une valeur analytique utile et exploitable pour nos entreprises, avec des personnes qui en connaissent le périmètre d’utilisation, les avantages, les limites, et qui soient en capacité d’y donner du sens en croisant les outputs à des données provenant d’autres sources ou études clients.

Une direction des études peut apporter cette valeur ajoutée, mais elle ne peut pas s’opposer à des pratiques qui peuvent la renvoyer au statut d’intermédiaire…non indispensable ! Quel doit donc être son rôle ?

Il n’est pas question à mon sens d’interdire ces outils, ou de les réserver à la direction des études. Mais celle-ci doit faire valoir les bénéfices qu’elle peut apporter aux utilisateurs opérationnels, en les aidant donc à en faire le meilleur usage possible. Et c’est notre quotidien aujourd’hui que d’être sollicités par des équipes confrontées aux limites de ces outils. Certains acteurs leur ont vendu ceux-ci avec l’argument qu’ils pourraient ainsi se passer des équipes études. Mais ils se retrouvent à un moment donné à avoir besoin de nous, ce qui est parfaitement logique.

Ma vision est que ces dispositifs doivent s’intégrer dans un écosystème d’outils, qui doit être animé par des gens qui en sont experts. Et par ailleurs, notre mission consiste aussi à mettre en perspective l’ensemble des connaissances acquises et glanées au fur et à mesure des études, menées sur le sujet en question mais aussi via l’utilisation des autres études pour remettre en perspective ce même sujet. C’est notre rôle que d’accompagner ainsi les équipes dans la résolution de leurs problématiques, avec les outils les plus adaptés au cas par cas, et en les faisant bénéficier de ce regard transversal qui est le nôtre.

Si l’on extrapole ces évolutions à horizon des quatre ou cinq ans à venir, quelle sera la place des instituts d’études ?

C’est une question complexe car je ne peux me projeter qu’en considérant ce qu’ils font à date. Si les choses restent ainsi, leur aptitude à répondre aux besoins des entreprises comme les nôtres — qui générons et exploiteront de plus en plus nos propres données — sera mécaniquement moindre. Lorsque les entreprises ne disposaient que de peu de données, ou lorsque les conditions d’exploitation étaient mauvaises, elles se focalisaient sur les données déclarées. Elles se tournaient donc massivement vers les instituts d’études. Ceux-ci subissent déjà une concurrence indirecte de plus en plus forte de la part des acteurs qui proposent les outils que nous venons d’évoquer (Google Analytics en est un des exemples les plus connus..) Mais je vois également apparaitre dans le jeu d’autres acteurs, les cabinets de conseil, qui proposent justement aux entreprises leur capacité à les accompagner dans la bonne agrégation des données.

La question reste donc selon moi posée sans à date avoir une vision claire sur comment y répondre ? Qui sera en mesure d’agréger les données ? J’ai le sentiment que les choses ne seront pas binaires et que nous continuerons à tester plusieurs démarches, en utilisant plusieurs sources de données, pour en croiser les outputs, et nous aider à se projeter. Dans cette dynamique, il est vrai que les instituts doivent selon moi se repenser, comprendre cette volonté des entreprises de faire plus de choses par elles-mêmes, et ainsi réfléchir à de nouveaux schémas de collaborations en conséquence. 


 POUR ACTION  

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