A l’évidence, le do-it-yourself est une réalité déjà bien présente dans les études de satisfaction, en particulier pour les mesures à chaud, et elle ne fera sans doute que se renforcer. Mais aux yeux de Stéphanie Passareira, DGA d’Init, selon ce qu’en feront les entreprises – et en fonction de leur capacité à mobiliser et articuler les compétences – elle sera soit une source de frustration et de gâchis, ou bien au contraire l’ouverture à de nouvelles formes de collaboration dans une relation qui a toutes les chances d’être gagnant-gagnant.
MRNews : Vous dirigez Init, qui est un spécialiste des études de satisfaction. Quelle est votre vision quant à la diffusion du do-it-yourself sur ce type d’études plus particulièrement ?
Stéphanie Passareira (Init) : Le do-it-yourself me semble relativement peu présent – au moins pour l’instant – dans le domaine des études dites « à froid ». Quand c’est le cas, il sert surtout à effectuer des zooms sur des populations ou des problématiques spécifiques. Mais il est fortement usité en revanche pour les études « à chaud », ce qui favorise sa diffusion dans des secteurs comme le Retail, les Mutuelles, l’Assurance et plus largement dans les services — et même l’Industrie — qui sont très familiers de ce type d’études en mode post-événement, qu’il s’agisse d’un achat, d’une souscription, d’une résiliation … Dans ces univers, les entreprises sont équipées avec des outils relativement hétérogènes en termes de performance, allant du gratuit ou du « pas cher » jusqu’à des solutions assez sophistiquées.
Il nous semble qu’il y a une véritable accélération de la diffusion depuis deux ans environ. Nous voyons néanmoins des premiers mouvements de « retours arrière » de la part d’entreprises qui ont pris très tôt très vite cette direction, et s’aperçoivent aujourd’hui des limites que cela peut comporter. C’est ce qui peut nous amener parfois à jouer le rôle du « pompier de service ».
Dans ces études à chaud, quels sont les moyens techniques les plus utilisés ?
Les équipes exploitent la possibilité de générer des formulaires en ligne, plus ou moins « responsive design », et de gérer des campagnes en mode « push » via des e-mailings. Elles sont également en mesure de formater les données post-études pour les mettre à disposition des staffs opérationnels, à la fréquence qu’elles jugent le plus adaptée au cas par cas.
Quel regard portez-vous sur ces pratiques ?
Bien sûr, le mouvement vers le do-it-yourself peut constituer une menace pour les instituts, il ne faut pas se mentir. Mais je pense qu’il faut être nuancé selon les différents modes de fonctionnement que cela peut induire.
Derrière ce mouvement, il y a une tendance de fond qui se retrouve dans bien d’autres domaines et à laquelle il serait vain de s’opposer. Il existe aujourd’hui de vrais bons outils sur le marché, et il me semble évident qu’ils apportent des avantages aux annonceurs et y compris aux équipes études. Cela leur permet de justifier leur rôle et de pouvoir répondre de façon très réactive à des problématiques internes. Ces solutions ont également le mérite de rassurer les DSI dans le contexte de la GDPR.
Accessoirement, cela peut aussi leur permettre de faire des économies par rapport à la solution de l’institut…
Avec les bons outils oui, absolument. Mais notre regard est que cela ouvre également les portes à des formes de collaboration extrêmement intéressantes entre les annonceurs et nous. Cela renvoie aussi à une certaine culture. Sous l’impulsion de Christian Barbaray, nous avons depuis très longtemps encouragé nos clients à exploiter leurs données internes, en particulier pour co-construire avec eux une vision très business-orientated de la satisfaction. Cela a généré une forte habitude de partage des informations et de partenariat. Appliquée avec les outils du do-it-yourself, cette logique peut parfaitement s’inscrire dans une relation gagnant-gagnant.
Quelles sont les conditions qui permettent de fonctionner selon ce schéma vertueux ?
Une condition importante pour l’annonceur est de savoir mobiliser l’expertise de l’institut aux bons moments, à la fois en amont et en aval des processus d’études. Lorsqu’une entreprise s’équipe de ce type d’outil, cela signifie le plus souvent qu’elle prévoit d’en avoir un usage régulier. Rien n’interdit donc à ce que nous soyons associés dans la phase du « design » des dispositifs, dans une logique d’audit et de conseil. Cela peut permettre de déminer certains pièges liés à la mise en place de ces outils. Je pense notamment à des aspects de représentativité… Ces notions sont faiblement prises en considération de par la culture dominante des éditeurs, qui n’est pas celle des études. Et le risque de biais est très présent du fait du principe de ces outils, qui consiste assez souvent à mettre en oeuvre des « zooms » sur des populations, des expériences ou des séquences temporelles particulières. Et la nécessité d’effectuer des redressements n’est donc pas toujours anticipée ou prise en compte.
Nous pouvons également apporter notre savoir-faire sur l’élaboration des questionnaires et dans le choix des indicateurs, qui constituent là encore des enjeux potentiellement critiques.
En aval des études, quelles sont les briques d’expertise que vous êtes en mesure d’apporter ?
L’amont et l’aval sont assez étroitement imbriqués. On le voit avec cet aspect de redressement en particulier, ainsi qu’avec les choix relatifs aux indicateurs. Mais il est clair que notre expertise en matière de traitement et d’analyse des données peut apporter une réelle valeur-ajoutée, et encore plus fortement lorsque nous avons latitude à croiser des données d’études avec les données internes de l’entreprise, ce qui permet d’être très opérationnel et aussi proche que possible des enjeux business.
Avez-vous des clients avec lesquels vous fonctionnez selon ce schéma ?
Oui, c’est le cas par exemple avec Sephora, qui s’est doté d’un dispositif de suivi à chaud des parcours clients, extrêmement opérationnel. Et avec qui nous travaillons en étroit partenariat, sur des volumétries de questionnaires assez énormes.
Mais le do-it-yourself peut aussi mener à des schémas de fonctionnement beaucoup moins satisfaisants…
Absolument. Ce sont les cas où l’institut, s’il est consulté, est sollicité en bout de course. Soit pour tenter d’éteindre un incendie ou en tout cas pour essayer de remédier à un problème devenu trop complexe pour l’entreprise. Ou pour traiter des données à l’issue d’un recueil mal maitrisé, avec potentiellement de vrais gros soucis de représentativité, et/ou avec un questionnaire dont on découvre les faiblesses. Nous voyons aussi pas mal de cas où les entreprises ont mis en place des suivis reposants sur des indicateurs relativement à la mode, comme le Customer Effort Score pour ne pas le nommer. Elles se retrouvent ainsi avec un énorme volume de données peu exploitables, l’indicateur n’étant pas pertinent pour toutes les expériences de services ou de produits.
Il faut souvent un peu de temps avant de s’apercevoir d’un souci dans la gestion de la collecte de données. L’entreprise a sollicité des milliers de clients, mais elle ne peut rien en tirer ou presque, ce qui est extrêmement dommageable et frustrant.
Des partenariats sont-ils imaginables avec des éditeurs de ces solutions logicielles ?
Oui, pourquoi pas. Il est clair en tout cas que nous avons tout intérêt à échanger avec eux, en tout avec ceux qui en ont l’envie. Mais c’est l’annonceur qui dispose des meilleures marges de manoeuvre pour solliciter et intégrer les différentes compétences qui vont lui permettre d’assurer le succès de sa démarche.
Le schéma vertueux que vous avez précédemment évoqué préfigure-t-il un futur mode de collaboration possible entre annonceurs et instituts ?
C’est ma vision. Notre rôle — celui d’Init — est relativement hybride, études et conseil, suite à un virage que nous avons pris depuis déjà 6 ou 7 ans, ce qui fait que nous nous retrouvons parfois en compétition avec des acteurs extérieurs au milieu des études. Nous sommes aujourd’hui en train de négocier un second virage en allant plus loin encore dans cette fonction de conseil et d’accompagnement dans la conduite du changement. Cela tient à notre positionnement et à notre spécialisation sur la satisfaction et les parcours client, qui sont fortement connectés au business en tant que tel mais aussi à des enjeux culturels et de RH au sein des entreprises.
À terme, exit le recueil des données pour les sociétés d’études, s’il faut les dénommer encore ainsi ?
Les instituts auront toujours un rôle à jouer pour le recueil des données. Mais celui-ci aura certainement tendance à s’amenuiser en effet. Notre métier de base n’est pas d’interroger des gens, même si cela est et restera en partie nécessaire. Il consiste d’abord et avant tout à aider les entreprises et à répondre à leurs problématiques de connaissance et d’orientation Client. Mais le sens de l’histoire est bien celui d’un changement d’équilibre, qui nous amène naturellement à développer ou à renforcer certaines compétences. Je pense en particulier à l’analyse et au traitement des données passives. Et aussi bien sûr à notre capacité à émettre les bonnes recommandations, qui constitue notre valeur ajoutée la plus essentielle.
POUR ACTION
• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Stéphanie Passareira