L'interview du fondateur d'EkiMetrics, Jean-Baptiste Bouzige

Data analytics : La success story Ekimetrics – Interview de son PDG et fondateur Jean-Baptiste Bouzige.

11 Juil. 2017

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Avec le cas Ekimetrics, c’est à nouveau un bel exemple de success story à la française auquel nous avons affaire, cette start-up étant devenue en une dizaine d’années un acteur international de référence dans cet univers en pleine effervescence du data analytics et de l’intelligence marketing, avec plus de 150 consultants dans le monde.
Comment est née cette entreprise ? Quelles ont été les clés de sa réussite ? Et quelles sont ses ambitions ? Ce sont les questions auxquelles répond son PDG, Jean-Baptiste Bouzige, qui nous fait partager au passage ses convictions sur la place de l’intelligence humaine dans l’univers de la data.

MRNews : Ekimetrics fait partie de ces sociétés françaises qui, en l’espace de quelques années seulement, ont atteint un statut de leader au niveau international, avec une notoriété qui est néanmoins sans doute assez inégale selon les publics. Comment présenteriez-vous Ekimetrics en quelques mots et quelques chiffres ? Et pour commencer, comment définiriez-vous son métier ?

Jean-Baptiste Bouzige : Ekimetrics est un leader en data analytics avancées, notre vocation étant d’innover constamment dans l’utilisation des données et des statistiques pour permettre aux CEO, aux directeurs marketing, Directeurs Etudes ainsi qu’aux équipes opérationnelles de prendre les meilleures décisions possibles. Nous travaillons pour de grands groupes internationaux sur de nombreux secteurs d’activité toujours en nous appuyant sur de la modélisation et des analyses statistiques, avec une philosophie et des partis-pris qui me paraissent réellement différenciants. Pour ce qui est des chiffres, je citerais : nos dix ans d’existence ; notre effectif qui est aujourd’hui de 150 consultants, et le nombre de bureaux qui vient de passer à 5 avec Paris, Londres, Honk Hong, New York et tout récemment Dubaï. Nous travaillons depuis 2006 avec plus de 350 clients du CAC40 / Fortune 500, dans plus de 40 pays, dans des industries aussi différentes, comme le luxe, la banque, l’assurance, la cosmétique, les transports…

Quels sont plus précisément les types de chantiers sur lesquels vous intervenez ?

Nous sommes fortement présents dans le domaine du Mix Modeling et plus largement sur les enjeux de maximisation du ROI des actions marketing, sur lesquels nous sommes leader en France et même sans doute en Europe. Nous accompagnons aussi les entreprises sur des problématiques d’estimation du potentiel produit, et de connaissance client (avec des segmentations notamment). Et nous intervenons également sur tous les enjeux associés au big data et au machine-learning.

Quelle est donc l’histoire la société ? Et d’abord comment est né Ekimetrics ?

Mon vif intérêt pour l’univers de la publicité a été au déclenchement de cette aventure. Un intérêt que je ne m’explique pas bien moi-même, mais qui a sans doute quelque chose à voir avec une forme de fascination pour l’exercice consistant à partir du complexe pour aller vers le « simple », par la magie de la formule et du concept. Ou bien avec le syndrome du créatif frustré ! (rires). Le fait est qu’en sortant de l’École Polytechnique, je voulais absolument travailler dans la publicité, ce que j’ai eu l’occasion de faire en entrant chez DDB. Dans le contexte de l’époque, il y a treize ans, les agences de communication ne savaient pas encore trop quoi faire d’un profil d’ingénieur comme le mien. Mais on commençait à parler de « modeling », notamment aux USA. DDB m’a donc confié la responsabilité de développer des méthodes statistiques innovantes au bénéfice de problématiques business, au sein d’une équipe managée par deux ex-consultants en stratégie. Lorsqu’il s’est avéré qu’il y avait un potentiel pour ces approches, l’agence m’a demandé si je connaissais des personnes à recruter pour renforcer l’équipe. Et je me suis donc tourné vers trois de mes anciens condisciples de Polytechnique : François (Poitrine), Emmanuel (de Bejarry) et Paul (Seguineau). Et à un moment donné, compte tenu du contexte de l’agence, il nous est apparu à tous les quatre que cela faisait sens de créer notre entreprise. Et c’est ce que nous avons fait, d’abord à quatre donc, puis à cinq avec l’arrivée de Quentin (Michard), qui travaillait lui à la R&D chez l’Oréal.

Ekimetrics n’est donc née ni dans un garage ni dans une cuisine ? (rires)

C’est vrai que ce n’est pas très crédible pour une start-up ! (rires). Mais pour donner des gages en ce sens, il m’est quand même arrivé de répondre au téléphone à mes premiers clients alors que j’étais encore en pyjama dans ma salle de bains !

Quels sont selon vous les éléments de vision et les partis-pris différenciants qui ont été clés dans cette réussite ?

Depuis la création de l’entreprise, nous nous appuyons sur des techniques éprouvées de modélisation et d’économétrie, mais avec un double parti-pris. D’abord celui du « sur-mesure » : chaque question nouvelle génère un travail de personnalisation du cadre, qui est complètement essentiel pour proposer les meilleures réponses possibles. Le second parti-pris fondamental porte sur le profil de nos consultants, qui ont nécessairement une double casquette : statistique et stratégique. Il n’y a pas de back-office chez Ekimetrics ; ce sont les mêmes personnes qui sont en contact avec les clients et se retrouvent derrière les machines pour élaborer et faire fonctionner les modèles. Elles doivent à la fois saisir la mécanique de décision de l’entreprise cliente, trouver la façon de le traduire dans des modèles en s’assurant que ceux-ci sont parfaitement opérants, et proposer les options qui semblent les meilleures sur la base de ces analyses. Mais nous n’avons fait que transposer à l’ensemble de l’équipe — et peut-être de façon un peu têtue — le schéma dans lequel nous avions plaisir à fonctionner en tant que fondateurs de la société, qui consiste à aborder les problématiques de stratégie marketing en se servant des données. C’est ce qui nous a permis de nous retrouver très vite, alors même que nous étions très jeunes, à devoir présenter des recommandations devant les Codir de grands groupes français. Nous ne séparons donc pas l’élaboration des modèles et le fait de porter les messages auprès des décideurs chez nos clients.

Vous avez également fait le choix de vous appuyer sur des statisticiens très pointus…

Nous assumons un paradoxe relatif dans notre mode de fonctionnement. Nous sommes extrêmement exigeants quant aux compétences statistiques des collaborateurs que nous recrutons, tout en étant convaincus que la différence se joue le plus souvent ailleurs. Dans notre vision des choses, notre mission ne se limite pas au fait de délivrer des modèles. Elle ne se définit pas non plus comme étant celle d’aider les entreprises à faire leur transformation digitale, ce qui est un peu devenu la tarte à la crème. Au-delà de ça et tout simplement, il s’agit de changer la façon dont les grands groupes prennent leurs décisions de politique marketing. Pour y parvenir, nous devons éviter deux écueils : celui de s’enfermer dans des outils techniques tout comme celui consistant à poser une vision sans apporter le mode d’emploi. C’est précisément l’espace qui nous intéresse.

Est-ce à dire que la clé serait plus dans l’intelligence des process que dans l’hypertechnicité statistique ?

je crois que c’est assez vrai. Pour l’anecdote, il nous est arrivé lorsque notre structure était encore très jeune de voir un client nous préférer un cabinet de conseil, plus prestigieux, pour industrialiser à l’échelle mondiale des approches que nous avions développées. Mais quelque mois plus tard, il nous a fait la surprise de revenir vers nous, précisément parce que ces aspects de process n’avaient pas été adressés de façon satisfaisante. C’est un exemple, mais il est emblématique. On parle beaucoup de big data, mais en réalité 90% de la data que nous exploitons est de la small data. Il faut donc mettre en oeuvre les process permettant d’utiliser ces données qui ne sont originellement pas de grande qualité, en étant à la fois volontariste et réaliste. Aucune entreprise n’a 3 ans devant elle pour disposer du modèle parfait, d’autant que celui-ci a toutes les chances de ne pas être actionnable in fine. Il faut donc savoir faire les bons compromis.

Mais il faut aussi tenir compte de la maturité des marchés. Dans certains cas, comme aux États-Unis en particulier, il est impératif d’être hyper rassurant sur les aspects techniques. Cela peut constituer un challenge culturel pour une entreprise comme la nôtre qui a l’obsession de maitriser la complexité pour pouvoir proposer à l’arrivée des choses simples, qui ne sont pour autant pas simplistes.

Est-ce qu’il y a un secret pour cela, pour atteindre cette simplicité apparente et délivrer des recommandations puissantes ?

Nous travaillons avec des experts métiers qui s’appuient à la fois sur des données et des intuitions. Il faut donc déconstruire ces intuitions pour les injecter dans les modèles, et reconstruire une histoire avec les liens de causalité qui la font tenir. C’est ce qui permet d’élaborer des recommandations avec un certain degré de confiance. Mais cela reste des propositions, à vue d’homme, qui partent d’une compréhension du business, laquelle est irremplaçable pour obtenir de vrais avantages concurrentiels. J’avoue être agacé par ce buzz de plus en plus présent autour de la robotisation. Je ne crois pas une seconde à ce que les hommes puissent être systématiquement remplacés par des machines. Dans ma vision, les machines doivent nous libérer des tâches les moins intéressantes. Dans notre univers, elles doivent par exemple soulager les directeurs marketing qui passent aujourd’hui beaucoup trop de temps sur des problèmes de tuyauterie, et leur permettre de mieux se consacrer aux vrais enjeux stratégiques. Nous nous inscrivons en faux par rapport à cette tendance vers les méthodes « fully automated » et cette idée selon laquelle il ne serait plus utile de savoir ce que l’on cherche pour le trouver.

Quelles ont été les étapes clés de l’entreprise sur ces dix premières années de vie ?

Les grands appels d’offres sur lesquels nous avons travaillé ont joué un rôle considérable. D’une part parce que certains nous ont permis d’obtenir des belles victoires. Mais aussi parce qu’ils nous donnent la mesure de la différence que nous sommes parvenus à construire au fil du temps. Bien sûr, cette différence est à double tranchant. Elle peut parfois nous faire perdre ; mais elle est ce qui nous anime et nous permet de l’emporter. Nous avons également négocié un certain nombre de virages pour élargir notre champ d’intervention au-delà du seul périmètre du marketing, là où il y a à la fois de l’expertise métier et des données permettant de repenser les processus de décision.

J’imagine que les ouvertures de vos différentes filiales correspondent à des caps majeurs…

Bien sûr. C’est d’autant plus vrai que l’entreprise nous appartient à 100%, ce qui nous impose la contrainte d’être en permanence rentable. Nos investissements à l’étranger ont donc toujours été une conjonction d’opportunité et d’envie. Et c’est très bien ainsi, nous avançons à notre rythme. Ces ouvertures participent au développement de l’entreprise, mais elles déclenchent aussi des enjeux culturels forts, dans la compréhension des marchés tout comme pour le recrutement des collaborateurs. Il faut trouver les bonnes filières de formation, ce qui nous permet soit dit au passage de mieux nous rendre compte de la qualité du système français.

Les partenariats clés correspondent également à des étapes importantes afin de nous inscrire dans un positionnement premium et une croissance internationale. C’est le cas pour celui que nous venons de signer tout dernièrement avec Facebook. Ce partenariat permet à Ekimetrics d’offrir une solution unique de mesure du ROI digital, permettant enfin de quantifier l’impact des investissements entre réseaux sociaux ; sachant que nous travaillons aussi avec Google sur les autres leviers digitaux.

Y a-t-il eu une évolution des secteurs d’activités sur lesquels vous intervenez ?

Nous avons été originellement très présents dans l’univers de l’Automobile et du luxe. Puis notre champ s’est beaucoup élargi avec une grosse demande dans le domaine des services – la banque et l’assurance, le transport en particulier. Nous étions moins actifs auprès des entreprises de la grande consommation, qui ont toujours eu l’habitude de travailler avec des panélistes. Mais c’est en train de changer, avec la présence dans nos comptes clés de très gros groupes américains dans le secteur de la boisson ou la restauration rapide. Ils sont très matures sur ces sujets, mais ressentent le besoin de se tourner vers de nouvelles approches.

Vous avez évoqué la culture d’Ekimetrics, avec en particulier vos convictions sur ce nécessaire double profil de vos consultants. Quelles sont selon vous les valeurs dominantes de l’entreprise ?

La notion d’apprentissage est une composante essentielle de notre culture. Les consultants qui viennent chez nous le font pour apprendre, mais ils ont une vraie bienveillance quand il est question de transmettre leurs connaissances et leur savoir-faire. Cela se traduit dans un certain nombre de processus formels de training, mais aussi au quotidien dans le fonctionnement de l’entreprise, de façon très fluide et informelle. Dans notre relation avec les clients, je pense que nous sommes fortement guidés par des valeurs d’humilité et d’ambition. L’humilité est naturelle de par les matières premières que nous utilisons, qui sont des données ; mais elle s’impose aussi compte tenu de l’expertise métier de nos interlocuteurs en entreprise, qui est le plus souvent extrêmement forte. Nous ne sommes pas là pour leur expliquer leur métier ! Mais il y a néanmoins une ambition, une exigence. Nos consultants ne doivent pas simplement décrire, mais prendre position sur les meilleures décisions, formuler des propositions impactantes et donc prendre des risques.

Les activités de conseil induisent généralement un niveau de stress important pour les équipes internes. Quelle est votre philosophie sur ce point ?

Même si nous sommes très exigeants vis-à-vis de nos consultants, nous ne nous retrouvons pas dans le « marche ou crève » de certaines start-up. Lorsqu’un collaborateur ressent que la pression et le stress passent le cap de ce qui est acceptable pour lui, il doit l’exprimer. Il est important pour nous que les gens puissent construire une vie à côté de l’entreprise, c’est une condition essentielle pour qu’ils soient contents de venir au travail et puissent proposer des idées qui nous font avancer. On appelle cela comme on veut, mais le terme de bienveillance résume bien je pense cette composante culturelle à laquelle nous sommes attachés.

Vous avez accordé une importance toute particulière à l’architecture et au design de vos locaux. Est-ce que cela exprime un « message » particulier ?

Il y a une part de chance à ce que nous ayons pu emménager dans ces locaux assez exceptionnels en tant que tels, avec ce style Napoléon III pur jus, mais aussi assez éloignés de notre personnalité. Ce décalage nous amusait un peu, mais il nous a aidés à prendre conscience qu’il était plus question dans notre état d’esprit et nos valeurs d’établir un pont entre l’ancien monde et le nouveau, celui du digital, plutôt que nous réclamer exclusivement de celui-ci.

C’est ce que les architectes et les designers qui ont travaillé ici nous ont aidés à affirmer. Cela contribue à exprimer notre différence et notre façon de voir l’innovation, qui n’est pas dans un « annule et remplace » de ce qui existait précédemment. Nous avons également à coeur de développer une relation forte avec des jeunes artistes. L’une d’entre elles va venir s’installer en résidence ici pour travailler sur un projet autour de la data. Tout cela va dans la même direction, dans le même encouragement à être ouvert, curieux, à élever nos esprits.

Quelle est votre vision quant aux dix prochaines années, à la fois pour le marché et pour votre société ?

Il faut d’abord s’attendre à ce que l’histoire se déroule selon le schéma des courbes d’adoption fort bien décrites par Gartner, avec les fameuses phases d’espérance, de désillusion, d’éclaircissement puis de productivité. Notre parti-pris est celui de ne jamais être dans la sur-promesse, ce qui peut parfois nous faire perdre certaines compétitions. Et de nous concentrer sur le fait que nos approches ne se limitent pas à des proofs of concepts, mais soient vraiment opérantes. Il faut que ces démarches aient un réel impact sur le business de nos clients, et donc développer des solutions pérennes.

Pour la suite, deux écoles de pensées s’affrontent. L’une prédit en substance que ce seront les machines qui travailleront toutes seules. L’autre, dont nous nous réclamons, postule que la supervision humaine reste indispensable. Il est clair que les règles du jeu ont considérablement évolué au cours de ces dix dernières années. Aujourd’hui, tout nouvel algorithme n’a plus à être dans un soft, tout est en mode open source. Ce qui oblige à être constamment à l’affût et à même de maitriser les nouveautés, et de faire confiance à des juniors qui appartiennent à des communautés auxquelles nous n’avons pas le temps de participer, et nous aident ainsi à anticiper sur ce que seront les « coups d’après » de la technologie. Cela nécessite une culture et une organisation particulière pour s’approprier ces nouveautés au bon rythme en faisant en sorte qu’elles s’intègrent dans de vraies solutions. Et je pense que cela fait partie de nos grandes forces que de savoir fonctionner ainsi.

On parle beaucoup d’une montée en puissance des contraintes légales sur ces enjeux…

C’est effectivement le troisième sujet. Il y a une course contre la montre entre le légal d’un côté et l’idée d’une sorte de Graal que serait le cookie universel. Je pense que le légal l’emportera. Notre position consiste aujourd’hui à être le plus up to date possible sur ces considérations, de sorte à jouer un vrai rôle de conseil de nos clients. Mais nous estimons devoir franchir un cap supplémentaire, en nous mettant en position de leur apporter de la formation.

Pour conclure, qu’est-ce qui vous fera considérer dans 10 ans que votre feuille de route a été bien suivie ?

Nos choix vont dans le sens du premium. Ils ne nous permettent pas de rivaliser sur le plan des volumes d’affaires avec les plus grosses machines industrielles à l’échelle internationale. Notre cœur de métier est le conseil stratégique au final. Notre ambition consiste donc plutôt à être un acteur de référence au niveau mondial, avec un statut comparable à celui d’un Mac Kinsey dans l’univers du conseil par exemple, qui restera toujours beaucoup plus petit qu’un Accenture. Cela suppose pour nous de franchir encore un certain nombre de caps, avec en particulier le développement de notre filiale US, l’idée étant de devenir là-bas à l’instar de ce que nous sommes aujourd’hui en France et sans doute en Europe : le leader culturel ou en tout cas un véritable acteur de référence. Mais tout cela ne sera possible bien sûr que si notre vision l’emporte, avec le maintien d’une suprématie de l’homme sur la machine. Sinon, d’ici là, j’aurai peut-être été remplacé par un robot ! 


 POUR ACTION 

• Echanger avec les interviewés : @ Jean-Baptiste Bouzige

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