# Mais où va le Quali ? (volet 1)

"Etre au coeur de la création de valeur"

Elisabeth Martine-Cosnefroy
Présidente et fondatrice d'Adéquation MR

24 Jan. 2017

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Aux yeux d’Elisabeth Martine-Cosnefroy (Adéquation MR), le quali doit répondre à une double exigence pour être au coeur de la création de valeur. Celle de faire valoir les avantages associés à ses fondements scientifiques et à cette démarche de « petite souris ». Mais aussi de savoir se transformer pour accompagner les évolutions d’aujourd’hui : en donnant du sens à ces montagnes de données qui n’en finiront pas de grandir, et en aidant les entreprises à optimiser la connaissance de leurs clients dans la plus grande autonomie possible.

MRNews : Commençons donc par une rapide rétrospective : quelles sont selon vous les évolutions les plus marquantes concernant les études qualitatives sur ces dix dernières années ?

Elisabeth Martine – Cosnefroy (Adéquation MR) : Parmi les évolutions les plus structurantes, j’évoquerais d’abord l’activation ou plus exactement la réactivation des neurosciences, et plus largement l’usage des mesures dites passives. Dans un contexte où la technologie a considérablement progressé et facilité les choses, nous avons recueilli tout un nouvel ensemble de données objectives : des flux dans des espaces de vente, des éléments relatifs à la vision humaine avec des dispositifs d’eye tracking, des variables physiologiques ou même dans certains pays des observations sur le fonctionnement du cerveau des consommateurs. Ces données ne parlent pas toutes seules : cela a donc ouvert un nouvel espace aux expertises du quali, qui pouvaient beaucoup plus facilement que par le passé s’appuyer ainsi sur des faits, de l’objectif, et apporter du sens. La sémiologie, la psychologie cognitive, les sciences humaines plus largement permettent de rendre utile un très vaste ensemble de données, en faisant de ceux-ci des matériaux probatoires.

On a redécouvert que derrière le quali, il y avait de la science !

Oui. Cette évolution a déclenché un nouveau cycle pour les études, en mettant en évidence la nécessaire imbrication entre l’analyse des stimulis et celle des discours, pour apporter la cohérence manquante. Cela a ainsi généré beaucoup d’expériences, et permis d’une certaine façon de redécouvrir le champ des sciences humaines.

Les réunions de groupe sont néanmoins restées l’outil dominant du quali…

Bien sûr, cette pratique occupe encore aujourd’hui une place importante dans les études quali, mais elle s’est néanmoins significativement réduite. Elle a été fortement « chahutée » en particulier par les possibilités ouvertes avec internet, avec toutes ces différentes modalités d’échange – synchrone ou asynchrone – et les collectivités. Et elle a aussi beaucoup évolué : les réunions de groupe de type « projectif » ont largement laissé la place à des focus groups à l’anglo-saxonne c’est-à-dire des discussions de groupe. Par ailleurs, nous avons assisté à une très forte montée en puissance des démarches en mode « do it yourself ». Cela recouvre un ensemble très divers de pratiques — des plateformes communautaires informelles, des forums, des réunions de groupe… — dont nous savons qu’il nous échappe très largement, ce qui constitue en soit un enjeu important pour les études, quantitatives ou qualitatives.

Est-ce qu’il n’y a pas une confusion de plus en plus fréquente entre les groupes projectifs et les focus groups ?

Oui, certainement. La notion de focus group renvoie à une mécanique précise. Plutôt que de réaliser 5 interviews individuelles de deux heures, le principe est de réunir ces 5 personnes dans une même salle pour faire une sorte de « tour de table » ce qui fonctionne très bien dans la culture anglo-saxonne avec la discipline qui y prévaut, et beaucoup moins bien dans des pays latins comme la France où les gens se coupent la parole sans arrêt. Ce qui est très différent du quali projectif, qui est très français et infiniment plus exigeant, à la fois dans la durée des groupes, mais aussi et surtout pour ce qui est du niveau d’expertise nécessaire tant pour l’animation de techniques projectives que l’analyse. Et en effet, je suis d’accord, il y a bien un glissement, les groupes projectifs ont beaucoup perdu de terrain au profit d’un quali qui se rapproche du focus group, et qui se prétend parfois projectif alors qu’il ne l’est pour ainsi dire pas. C’est ce que j’appelle du quali expéditif !

Cela correspond à une évolution de la demande des entreprises…

Oui, c’est évident. Une partie importante de la demande s’oriente en effet vers des études qualitatives pas chères, avec des débriefs quasiment à chaud. En caricaturant à peine, l’objectif est de répondre à des questions quasi fermées en un minimum de temps et avec des budgets très serrés, sur la base de réunions menées en pleine après-midi et bien sûr auprès de consommateurs parfaitement représentatifs de la cible !

Il faut naturellement être vigilant par rapport à ces dérives, et y compris à cette focalisation de la recherche sur des questions très pointues émanant très directement des équipes marketing. En réalité, la valeur ajoutée des études repose très fortement sur leur capacité à s’intéresser à un contexte très large. Les insights les plus puissants, les plus inspirants sont issues de ces démarches visant à appréhender les choses selon un angle très macro : la mobilité, l’alimentation, les échanges…

Peut-on néanmoins être optimiste quant aux perspectives du quali ?

Personnellement je le suis. D’une part parce que ces évolutions que nous venons d’évoquer ne sont pas à sens unique. Nous assistons également à un retour de balancier en faveur du « smart quali » ; certaines entreprises ont éprouvé les limites de ces pratiques et sont demandeuses d’une plus grande valeur ajoutée des études qualitatives. Elles découvrent ou redécouvrent l’intérêt de ces approches larges, de cette philosophie qui est celle du « quali de petite souris », qui est dans l’humilité de l’écoute et de l’exploration des autres. Il ne faut jamais perdre de vue que l’univers avec lequel nous sommes en contact au quotidien n’est représentatif que d’un petit 10% de la population, au mieux, et que nous sommes à mille lieues des 90% restant. Le quali sert à cela, à rencontrer et à comprendre des gens que l’on n’aurait jamais croisés ou à qui on n’aurait jamais eu l’idée d’adresser la parole. Et c’est bien ce quali-là — avec cette posture très « ethno » qui fait en sorte que les gens se livrent — qui est le plus à même de faire émerger les idées fortes et d’appréhender les expressions justes, le vocabulaire le plus pertinent. Au fond, le bon quali répond aux questions que l’on ne s’est pas encore posées !

Dans les années à venir, avec le big data, les données de toutes sortes seront de plus en plus volumiques et accessibles. C’est un énorme appel d’air pour les spécialistes des statistiques et des analyses de données, et les fournisseurs de softs. Quelle incidence cela aura sur le rôle des qualitativites ?

Je pense que nous sommes dans la continuité des évolutions évoquées en préambule. Le quali sera plus que jamais nécessaire de par sa capacité à apporter du sens à ces données, dans l’analyse du big data, du web social et des variables passives. Mais je crois aussi que cela va rendre progressivement indispensable une forme de mixité, de bilinguisme de la part des professionnels des études, tellement sera forte l’imbrication entre le quali et le quanti. Nous ne pourrons jouer pleinement notre rôle d’intégrateur qu’à cette seule condition. C’est vrai depuis longtemps : les meilleurs quantitativistes ou qualitativistes sont ceux qui savent intégrer les deux ensemble ; mais cela le sera encore plus demain. Il est évident que les formations vont bien dans ce sens-là, celui du multicurel et du multicompétences.

Enfin, quel peut-être le rôle du quali dans le contexte de la montée en puissance de ces pratiques de connaissance en « do it yourself » que vous avez évoquées ?

Ma conviction est qu’il ne faut surtout pas lutter contre ces évolutions, mais plutôt les accompagner en délivrant notre valeur ajoutée. Derrière ces pratiques de Do it Yourself, il y a le besoin d’un contact le plus permanent possible avec le consommateur, et d’aller dans le sens de cette fameuse customer centricity. Ce que nous pouvons apporter, ce sont les clés pour que cela se fasse avec la meilleure garantie de professionnalisme et d’efficacité. Nous avons la légitimité et les compétences pour organiser et encadrer cette rencontre entre les entreprises et leur public. Cela laisse donc la place à un nouveau rôle pour les professionnels des études, qui ne se substitue pas, mais s’ajoute à celui que nous jouons traditionnellement. C’est un rôle de formateur au sens propre et de coach au sens large, où nous nous positionnons en accompagnateur de ces démarches de connaissance des clients, mais aussi des projets de design thinking et d’idéation. Nous sommes pour notre part très engagés dans cette direction et avons développé une offre accréditée pour y répondre.


 POUR ACTION  

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