La bienveillance : une nouvelle valeur montante pour les marques ? – Interview de Patrick Mercier (Change)

7 Oct. 2016

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Bienveillance. Voilà à l’évidence un terme dont l’occurrence ne cesse de progresser dans la « médiasphère ». Mais cette notion fait-elle vraiment sens s’agissant des marques, et si oui selon quelle définition ? Quelles sont les marques les plus associées à cette valeur de bienveillance ? Avons nous réellement affaire à un changement durable des règles du jeu dans la relation marques – consommateurs.
Patrick Mercier (président de l’agence Change) répond à ces questions suite à la réalisation d’une étude conjointe avec BVA où plus de 150 marques ont été évaluées à l’aune de cette valeur.

 

MRNews : Comment vous est venue l’idée de vous intéresser à cette notion de bienveillance et de l’utiliser comme prisme de lecture s’agissant des marques ?

Patrick Mercier : Il s’agissait au départ d’une simple intuition, certains signaux nous ayant fait émettre l’hypothèse qu’une nouvelle forme de relation tendait à s’inscrire entre les gens et les marques. Il nous semblait voir en particulier qu’un nombre croissant de marques étaient en train de se défaire de cette logique consistant à imposer un point de vue, et se préoccupaient beaucoup plus clairement de la question de l’utilité de leur action pour le public. Une fois cette intuition partagée au sein de nos bureaux, nous nous sommes dits qu’il fallait la valider.

Le terme de bienveillance s’est imposé naturellement pour caractériser cette attitude des marques ?

Oui, tout à fait, notamment lorsque nous avons partagé cette intuition avec nos amis américains qui retrouvaient bien leurs propres ressentis autour de cette notion. Mais nous avons éprouvé la nécessité de définir assez strictement ce que nous mettions sous ce terme, pour éviter toute confusion possible. C’est ce que nous avons fait dans le cadre de cette étude, avec les deux items que nous avons retenus pour construire un indice de bienveillance. Le premier porte sur cette notion d’utilité : avant même de communiquer, au travers de son offre ou de ses prix par exemple, la marque est-elle bien perçue comme agissant concrètement pour améliorer la vie des gens. Le deuxième item s’intéresse lui à la communication de la marque. Est-ce qu’elle communique en faisant attention aux gens, sans chercher à imposer son point de vue ?

Le terme de « marketing » est perçu très négativement par le public, avec l’idée d’une forme de duplicité des marques…. La notion de « bienveillance » n’a-t-elle pas un lien avec l’idée d’une relation plus « gagnant / gagnant » ?

Peut-être… Il y a en tout cas l’idée d’une collaboration possible entre le public et les marques. A partir du moment où une marque se comporte de façon objective, où elle indique ce qu’elle cherche à faire sans pour autant prétendre ne jamais comettre d’erreur, le public se trouve à l’aise pour aller dans le sens de cette participation, qui peut même aboutir à une forme de co-working.

Cela suppose une forme d’humilité et d’authenticité de la part de la marque…

Absolument ! Les gens sont prêts à comprendre que les marques puissent faire des erreurs si elles même l’admettent spontanément et n’essaient pas de mentir. Pour cela, elles doivent sortir de cette posture consistant à systématiquement affirmer savoir ce qui est bon pour le public ! Le mensonge ne passe plus. On le voit très bien avec le cas Volkswagen : le public ne reproche pas à la marque de proposer des mauvais produits, mais d’avoir menti.

Sur le podium des marques évaluées, on trouve BlaBlaCar et Europ Assistance, ainsi que Décathlon. Sont également bien notées des marques comme Yves Rocher, Carglass, Ikea, Leroy Merlin, Samsung, Leclerc, et Gerblé…

Dans un certain nombre de cas, le résultat peut paraitre relativement « attendu ». Mais la présence d’un petit nouveau comme Blablacar notamment est assez frappante. On voit immédiatement ce que ces marques apportent de concret pour améliorer la vie des gens. Le cas Decathlon – et plus largement celui des marques du groupe Auchan – nous semble très intéressant : le « pas cher » est très puissant dès lors qu’il fait sens pour le public et qu’il s’inscrit dans la mission consistant à démocratiser l’accès à une catégorie de produits. On peut faire le lien avec une marque comme Samsung, qui donne accès à une technologie aboutie pour des prix relativement démocratiques comparés à ceux d’Apple.

Le « promotionnel » ne s’oppose pas à la bienveillance ?

Non, ce n’est pas antinomique. Si cette promotion est perçue comme étant un moyen de conquérir de la part de marché à tout prix, le public n’y verra aucune bienveillance. Mais une politique de prix bas peut être appréhendée différemment par le public. Nous avons été frappé par exemple par les très bons scores obtenus par la marque-label « Nos régions ont du talent » de Leclerc. Ce sont des prix bas adossés à des produits régionaux. Les consommateurs sont reconnaissants de pouvoir accéder à des produits locaux — qui représentent les territoires français — à des prix acessibles. On voit donc qu’il y a une nouvelle façon très intéressante de parler des prix.

On voit aussi que cette bienveillance peut se manifester dans des secteurs très différents…

En effet. Dans certains cas comme celui de Gerblé par exemple, l’acte de bienveillance s’inscrit dans le produit lui-même, avec la composante « bio ». Et on peut relever par ailleurs que des acteurs du secteur banques – assurances sont bien notés, en particulier les « mutualistes ».

A contrario, des marques puissantes se retrouvent en bas de classement dans cette étude : HSBC, McDonald’s, KFC, Burger King, Facebook, Twitter, Coca-Cola, Volkswagen, Pepsi…

On retrouve en effet des marques qui ont été pris en flagrant délit de mensonge comme Volkswagen. Mais aussi des marques comme McDonald’s qui sont associées au phénomène de la « malbouffe ». Entendons-nous, il peut y avoir un certain décalage avec les comportements. Un large public consomme du McDonald’s en étant lucide à la fois par rapport aux limites diététiques de ces produits et au caractère addictif et même régressif de cette consommation. Les gens achètent sans pour autant considérer que ces marques soient bienveillantes.

Cette notion de bienveillance a-t-elle un effet sur la préférence du public ?

Nous avons pu valider au travers de l’étude qu’il y a bien un lien solide entre bienveillance et préférence de marque. Cela ne signifie pas que jouer la carte de la bienveillance soit une obligation. D’autres options sont tout à fait jouables. Mais il est clair que cela ouvre des possibilités intéressantes pour les marques, pour renouveler le lien avec les consommateurs.

Pensez-vous enfin qu’il s’agit-là d’un changement durable et radical des règles du jeu pour les marques ?

Du côté du public, nous sommes convaincus d’avoir affaire à une évolution profonde, qui a donc toutes les chances d’être durable. Pour ce qui est des entreprises et des marques, la montée en puissance de cette valeur renvoie à des questions qui peuvent être épineuses. Si les décideurs adhèrent assez rapidement à l’importance de cette notion, l’instant de vérité apparait quand se pose la question de savoir quels actes concrets vont manifester cette bienveillance. Cela ne peut pas être que des mots ! Cela signifie qu’il ne faut pas sous-estimer l’ampleur de la révolution culturelle que cela demande au sein des entreprises. Toutes ne pourront pas prendre cette voie. Mais il est clair qu’il y a une énorme curiosité de la part des entreprises sur les résultats de cette étude, qui nous fait penser que cet enjeu de la bienveillance fait écho pour beaucoup de décideurs.


 POUR ACTION 

• Echanger avec les interviewés :@ Patrick Mercier (Change) / Contact BVA  @ Richard Bordenave

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