« J’adorerais écrire des romans policiers » – (Micro)portrait de Sandrine Caloiaro, directrice du département Consumer & Market Knowledge chez Ubisoft

9 Sep. 2016

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Pourquoi avoir choisi ce métier des études ? Pourquoi être passée de la filière des instituts à l’univers des annonceurs ? Quelles sont les rencontres qui ont le plus compté dans votre parcours ? Quelle est votre vision des enjeux prioritaires pour cette profession ? Qu’aimeriez-vous faire dans une autre vie ? …
Ce sont quelques-unes des questions que nous avons posées à Sandrine Caloiaro, directrice du département Consumer & Market Knowledge d’Ubisoft, avec qui nous poursuivons notre galerie de (micro)portraits des spécialistes de l’intelligence marketing et des études côté annonceurs.

 

MRNews : Vous travaillez depuis maintenant deux ans chez Ubisoft, qui est un acteur bien connu de l’univers des jeux vidéos. Quelle est plus précisément votre fonction au sein de cette entreprise ?

Sandrine Caloiaro : Je dirige le département Consumer and Market Knowledge, qui réunit 40 personnes. Une des particularités importantes de ce service tient à la diversité des interlocuteurs que nous sommes amenés à accompagner. Nous travaillons avec les marketeurs bien sûr, mais plus largement avec l’ensemble des acteurs qui interviennent tout au long du cycle de production et de commercialisation des jeux : les créatifs — pour qui le terme de marketing peut apparaitre comme un gros mot — mais aussi les commerciaux ou les services financiers. L’autre particularité majeure est la diversité des sources de données que nous utilisons. Nous réalisons des études au sens classique du terme, qu’elles soient qualitatives ou quantitatives, mais nous utilisons également beaucoup les données comportementales qui sont fondamentales pour une activité comme la nôtre. Cette composante du « multi-sourcing » constitue un point clé de la philosophie de notre département, et va de pair avec une forte internalisation des études.

Voyez-vous des particularités ou des dominantes dans la nature des problématiques que vous traitez ? On peut imaginer que vous réalisez un nombre important de tests sur les jeux que vous lancez…

Nous testons les jeux en effet. Mais dans la culture de l’entreprise, et plus largement dans cet univers, la créativité est essentielle. Ce qui fait que nous ne fonctionnons pas selon les modèles de la grande consommation par exemple. Nous intervenons en amont de la conception des produits, sachant que les cycles de production durent le plus souvent plusieurs années. Au travers d’un gros travail d’agrégation et de synthèses de données, nous essayons d’éclairer les acteurs de l’entreprise sur les tendances les plus importantes à prendre en compte sur notre secteur et plus largement dans l’univers de l’entertainment, ainsi que dans notre environnement technologique. Nous réunissons également les éléments dont ont besoin les équipes responsables des business-plans et des modèles de monétisation. Et nous intervenons aussi bien sûr très fortement en aval, au moment du bilan qui peut être fait sur un jeu après lancement, à la fois dans les composantes marketing classiques mais aussi sur les aspects économiques, en particulier avec les données comportementales.

Quelle est votre formation, quel est votre parcours ?

Ma formation est double : à ma sortie de l’ESCP, je me suis inscrite à Sciences Po pour effectuer un DESS ‘Etudes et Stratégie Marketing’. Et un peu plus tard, toujours à Sciences Po, j’ai suivi un DEA de Sociologie des sociétés contemporaines. J’ai eu une première expérience à l’IFOP qui m’a embauchée en tant que chargée d’études. Je suis ensuite allée travailler chez Sorgem, où je suis restée 9 ans. Puis j’ai intégré BVA, en tant que directrice du département Quali, pour enfin rejoindre Ubisoft il y a deux ans.

Est-ce qu’il y a eu une rencontre particulière, ou une lecture qui vous a fait dire « tiens, ce métier est fait pour moi » ?

J’ai réellement découvert le métier des études dans le cadre de mon DESS, et cela a clairement été une révélation ! Cela faisait complètement écho avec un besoin qui m’est naturel de comprendre, d’expliquer des phénomènes. J’ai toujours été passionnée par l’univers de l’investigation policière, et j’ai le sentiment que les études s’inscrivent dans le même grand type de gymnastique mentale : il faut résoudre une énigme. À défaut de trouver la vérité — ce qui est quand même plus que souhaitable dans le domaine des enquêtes policières — il faut trouver une solution qui tienne la route ! Il y a une vraie excitation, sur une problématique d’études, d’en arriver à ce moment où l’on se dit « c’était donc ça ! ». Je trouve que c’est une vraie chance de travailler en faisant cela.

L’intérêt d’avoir comme vous une double formation — école de commerce et sciences humaines — semble tomber sous le sens. Et pourtant, relativement peu de personnes présentent ce profil !

C’est probable en effet. Être familier des enjeux business des entreprises est sans doute un vrai plus pour donner le maximum de pertinence possible aux informations et aux analyses. Et en même temps, cela ne suffit pas ; lorsqu’on ne dispose pas de connaissances suffisamment solides dans le domaine des sciences humaines, on prend le risque de produire des analyses un peu « courtes ». Je pense que cette complémentarité est un vrai plus et je ne regrette pas une seconde d’avoir suivi cette double formation. C’est le conseil que je donnerais à quelqu’un qui souhaiterait faire des études son métier, celui de ne pas s’enfermer dans la technicité comme c’est peut-être trop souvent le cas.

Ifop, Sorgem, BVA. Puis Ubisoft… Le fait de passer du monde des instituts à celui de l’annonceur est souvent décrit comme une rupture radicale. Quelle était votre motivation ?

Passer d’une société spécialiste des études qualitatives comme Sorgem à BVA constituait déjà une vraie rupture. Intégrer Ubisoft en était bien sûr une seconde, plus importante encore. D’abord parce que cela équivaut au moins un peu à changer de métier ; mais aussi parce que cela correspond à un vrai choc culturel. On passe d’un environnement où l’on touche potentiellement un peu à tout à une logique qui amène à se focaliser à 100% sur un domaine bien précis, la composante sectorielle étant extrêmement prégnante. Le fait de venir travailler dans une société comme Ubisoft était assez logique du fait de mon intérêt pour ces univers de l’entertainement et de la technologie — et plus largement pour ces secteurs qui ont une certaine influence sur la façon dont vit une société —, mais je n’étais pour autant ni une geek ni une « fondue » des jeux vidéos. Ma motivation était d’abord et avant tout de pouvoir traiter une plus grande variété de problématiques, en ayant la possibilité d’accéder à une plus grande palette de données et d’information. J’apprécie réellement cela, de pouvoir croiser un ensemble extrêmement large d’informations et de données — parfois contradictoires — pour essayer de faire émerger un sens, si possible original, et souvent plus puissant que lorsque la vision est dictée par une technicité donnée.

Quelles sont les rencontres qui ont le plus compté dans votre parcours ?

Elles ont été nombreuses… Je pense à Anne Panis-Lelong, qui fait partie des personnes avec qui j’ai découvert les études qualitatives. A Esther Flath, auprès de qui j’ai énormément appris et avec qui cela a vraiment été un plaisir de travailler. Toujours chez Sorgem ou dans son orbite, des rencontres avec des personnes comme Jean-Maxence Granier ou Frédéric Lorange ont également beaucoup compté pour moi. Et chez BVA, j’ai aussi beaucoup appris au contact de Gérard Lopez et de Richard Bordenave. Mais il y en a bien sûr bien d’autres rencontres importantes, notamment avec des collègues qui sont devenus des ami(e)s.

Si vous ne faisiez pas ce métier, que feriez-vous ?

J’adorerais écrire des romans policiers ! Comme je l’ai évoqué, je trouve qu’il y a une vraie proximité avec le métier des études. Et sinon, pour rester dans le même univers, j’aurais également été très intéressée par le métier de sémiologue.

Dit autrement, vous auriez aimé être Umberto Eco !

Oui, pourquoi pas ! (rires).

Si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous sur cette petite planète des études ?

En vrai, si j’avais une baguette magique, je ne changerais pas que l’univers des études de marché ! Mais s’agissant de ce métier, il me semble qu’il y a beaucoup de questions à se poser aujourd’hui sur ce qui fonde sa valeur ajoutée spécifique, dans le contexte où les entreprises ont accès quasi-gratuitement à une extraordinaire quantité de données, et face à tous ces acteurs et concurrents potentiels. Il me semble que c’est un univers qui se définit encore beaucoup trop au travers de la technicité du recueil. Je ne dis pas que l’expertise n’a pas d’importance, certainement pas ; mais il me semble que celle-ci reste un moyen, et non une fin, et que la valeur ajoutée du métier doit se définir en priorité sur d’autres éléments. Je pense qu’il y a aussi une réelle urgence à ce que les gens d’études — qu’ils soient en instituts ou chez les annonceurs — soient plus connectés aux enjeux business et marketing des entreprises. Donc si j’avais une baguette magique, le métier des études trouverait une meilleure définition de sa valeur ajoutée, et serait plus expert qu’il ne l’est aujourd’hui dans sa capacité à aider à mettre en action les connaissances qu’il apporte.

Que pensez-vous enfin de MRNews ? Quelles suggestions feriez-vous éventuellement ?

Je trouve que c’est une initiative vraiment utile et originale. J’apprécie en particulier beaucoup la possibilité de découvrir des nouveaux points de vue, notamment avec les dossiers mensuels et les interviews. C’est particulièrement appréciable d’avoir cette vision lorsqu’on est chez l’annonceur, et qu’on ne sait pas trop ce qui se fait par ailleurs. Des rencontres avec des homologues pourraient être une façon intéressante de prolonger cela.


 POUR ACTION 

• Echanger avec les interviewés : @ Sandrine Caloiaro

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