Comment répondre au besoin de plus en plus pressant des acteurs économiques de pouvoir décider et agir en temps réel ? Cette question se pose naturellement à toute l’industrie des études de marché, mais elle est manifestement LE challenge auquel s’intéresse prioritairement Toluna, qui a annoncé le lancement d’une nouvelle offre pleinement inspirée de ce principe du Temps Réel.
Dans le cadre d’une interview exclusive pour MRNews, Frédéric Petit, CEO et fondateur de Toluna, précise les contours de cette offre et nous fait partager des éléments clés de sa vision sur le devenir de l’industrie des études.
MRNews : Vos équipes ont annoncé il y a quelques jours le lancement d’une nouvelle offre. En quoi consiste-t-elle ? Vient-elle en continuité des offres précédemment développées par Toluna, ou bien s’agit-il de ce que l’on appelle une offre de rupture ?
Frédéric Petit : Cette nouvelle offre permet de réaliser des études en moins d’un jour sur des échantillons d’au moins 1000 individus par pays en mode « national – représentatif », et ce sur 21 pays dans le monde. Tout cela avec des tarifs extrêmement compétitifs. Ce sont des possibilités absolument nouvelles, qui reçoivent un accueil enthousiaste auprès des premiers utilisateurs. Elles reposent sur une combinaison de briques existantes en effet : notre plateforme d’enquête et d’analyse en Do-It-Yourself QuickSurveys et notre communauté de panélistes Toluna.com. Mais il s’agit bien d’une rupture décisive. Nous remettons en cause une représentation dominante, qui veut que réaliser une étude prenne nécessairement beaucoup de temps. Ce que nous proposons s’inscrit clairement dans l’ère du « Real Time Research », du temps réel pour le dire en version française.
C’est le client qui élabore son propre questionnaire via la plateforme QuickSurveys…
Absolument ! Nous facilitons la rédaction des questionnaires en mettant à disposition de nos clients des « modules » correspondant aux grandes thématiques d’études telles que les investigations de type Usage et Attitudes ou de positionnement de marque. J’étais en rendez-vous chez un client hier. Deux heures après avoir lancé l’étude, il disposait des résultats sur la base des 600 premières interviews, avec la possibilité de suivre ceux-ci au fur et à mesure de la progression du recueil. En moins de 24 heures, le client dispose des éléments qui lui permettent de prendre des décisions, avec les résultats sur une population de 1000 individus représentatifs selon les critères classiques de sexe, d’âge et de CSP.
Quels sont les niveaux de prix associés à l’offre ?
Le prix dépend naturellement de la longueur du questionnaire et de la taille des échantillons. Il peut varier également selon les cibles. Pour donner des ordres de grandeur, le budget commence à 1500€ pour un questionnaire d’une dizaine de minutes. Cela forme un tout : la rapidité, l’efficacité, le prix, l’objectif ultime pour nous étant la démocratisation des études.
Compte tenu de ces délais de mise en œuvre, est-ce qu’il n’y a pas le risque que les répondants présentent un profil psychologique un peu particulier, avec la limite que cela induit sur la représentativité de l’échantillon ?
Je ne le crois pas. Nous ne sommes pas dans le cas de figure où l’on envoie des mailings à des individus qui répondraient instantanément. Les interviews sont réalisées auprès de notre base de panélistes toluna.com, recrutés en double opt-in, selon un fonctionnement qui respecte les recommandations définies par Esomar. Ces individus se connectent à différents moments de la journée, pour consulter des opinions, interagir et – s’ils le souhaitent – pour participer à des mini-sondages présentés de façon anonyme. De fait, nous avons fait l’expérience de confronter les résultats obtenus via notre plateforme avec ceux issus de terrains « classiques », et nous n’avons pas observé d’écarts significatifs.
Je comprends tout à fait que des questions puissent être posées sur ces enjeux de représentativité. Elles sont parfaitement légitimes. Mais je ne crois pas que l’argument de la qualité doit être utilisé comme une sorte de prétexte pour empêcher ou retarder la disruption technologique qui est nécessaire dans cette industrie.
Parce que cette notion de Temps réel est incontournable ?
Oui, j’en suis réellement convaincu. Regardons autour de nous ! Beaucoup d’industries sont aujourd’hui en train de muter, de changer de siècle pour s’adapter à la réalité d’aujourd’hui avec toutes ces composantes que nous connaissons bien : le digital, les réseaux sociaux et plus largement les interactions entre les individus, l’économie sociale, l’ubiquité des consommateurs. Et le temps réel, avec le besoin de décider et d’agir vite : pour référencer un produit ou au contraire le retirer des linéaires, pour diffuser telle publicité plutôt que telle autre, ou bien pour optimiser le ciblage,… On peut avoir une perception positive ou bien au contraire critique de ce phénomène, mais il s’impose comme une réalité. Il est impératif que nous répondions à ce challenge. C’est ce que nous visons, en essayant de faire en sorte que les technologies et les méthodologies que nous développons puissent répondre à cette attente très forte de la part des clients tout en garantissant la qualité nécessaire.
La technologie est la clé du futur des études de marché ?
Ma conviction est que le temps réel et l’automatisation constituent les deux éléments disruptifs majeurs pour notre industrie. Je suis même convaincu que ces composantes bouleverseront plus cet univers que ne l’a fait le online, qui n’est après tout qu’une modalité de recueil. Avec l’automatisation, c’est la rapidité d’obtention des résultats qui est en jeu, ce qui est un enjeu crucial pour la compétitivité des entreprises.
La technologie est bien au cœur de notre stratégie, depuis la fondation de Toluna. Un des grands enjeux qui nous passionne est d’infuser l’intelligence des professionnels des études dans les solutions de software. Le centre de gravité des sociétés d’études, ce sont les chargés d’études. Au sein de Toluna, le centre de gravité est double, avec les ingénieurs d’un côté et les professionnels des études, les deux étant considérés à égalité d’importance. Les ingénieurs ont un rôle clé : ce sont eux qui vont apporter la fluidité, la simplicité dont ont besoin les clients. Mais cela ne peut se faire sans les professionnels des études, qui ont une parfaite intelligence des problématiques des clients. C’est le fait de « marier » ces équipes et ces cultures qui nous permet de faire « sauter » certains dogmes, dont celui qui voudrait que les études demandent beaucoup de temps et que les process soient immuables. On ne peut pas en rester au mode de production de la Ford T ! Ce n’est pas notre vision des choses. Ce que nous construisons avec Toluna, c’est une plateforme de « Consumer Enabling Technology ». Nous mettons à disposition et de manière immédiate des millions de consommateurs avec des gens qui ont des questions à leur poser ou des dialogues à avoir avec eux. Et on le fera de plus en plus. Le DiY et l’automatisation, c’est notre modèle, même si nous ne faisons pas que cela.
Aujourd’hui, le réflexe naturel des entreprises est de se tourner vers des instituts pour réaliser des études. Est-ce que le réflexe de demain ne consistera pas à travailler avec des solutions de DiY, en s’appuyant au besoin sur des profils de type consultants ? En d’autres termes, quelle est votre vision quant au devenir des instituts d’études ?
Les entreprises auront toujours besoin des instituts. Je suis persuadé que ceux-ci ont toujours de belles opportunités devant eux, la condition étant d’adopter un positionnement clair, de proposer une offre différenciée et ainsi une valeur ajoutée bien spécifique, indiscutable. Cela n’est pas incompatible avec ce mode de fonctionnement que vous évoquez. Nous avons déjà parmi nos clients des consultants experts sur des domaines bien spécifiques, à qui nous offrons la possibilité d’intégrer dans leur offre le recueil de données. Cette concurrence entre différents types d’acteurs fait partie du jeu.
En tout état de cause, nous n’avons nulle vocation à nous substituer aux instituts. Ils fonctionnent selon un modèle différent du nôtre et disposent de savoir-faire que nous n’avons pas vocation à intégrer. Et ils sont nos clients naturels, les solutions d’automatisation que nous proposons étant aussi conçues pour répondre à leurs besoins de recueil, dans le prolongement des solutions de panels que nous leur proposons. Le DIY en institut est également un atout pour eux en leur permettant d’analyser davantage de données dans un délai très réduit : le défi du Temps Réel les concerne aussi pour mieux suivre les évolutions rapides des marchés !
Il y a 3 ans, vous mettiez en avant que la technologie allait permettre de démocratiser les études, et de faire ainsi grossir la taille du marché. Voyez-vous toujours les choses ainsi ?
Oui, ce principe de démocratisation des études est fondamental dans notre vision des choses. Cela se retrouve dans les choix que nous faisons, comme celui d’offrir la gratuité de l’usage de l’outil d’enquête associé à QuickSurveys, dans ses fonctionnalités de base. Près de 300 000 personnes ont aujourd’hui un compte sur cette plateforme. Des sociétés de taille relativement modeste ont ainsi la possibilité de réaliser des études, ce qui leur était impossible jusqu’ici pour des raisons de couts.
Quelles sont enfin les prochaines étapes prévues pour Toluna ?
Spécifiquement sur cette offre, nous allons continuer à accélérer. Nous avons l’objectif de passer de 21 à 30 pays d’ici la fin de l’année. Nous allons continuer à développer de nouveaux modules d’automatisation. D’autres modules sont en cours d’élaboration, notamment pour les tests de concepts. Et nous allons également développer de plus en plus de partenariats avec des grands acteurs des études, en automatisant des modules qu’ils pourront commercialiser auprès de leurs propres clients.
Plus largement, les efforts que nous réalisons s’inscrivent dans une politique d’investissement massif, avec une progression de 40% cette année sur la Recherche & Développement et les recrutements de panels. Nous l’avons évoqué, notre vision est que les grands changements passent par la technologie. Cela suppose des investissements extrêmement importants pour générer des solutions réellement performantes, avec la nécessité donc d’être un acteur global pour pouvoir économiquement les amortir. D’autres options stratégiques sont naturellement possibles, mais cela correspond aux choix qui sont les nôtres.
POUR ACTION
• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Frédéric Petit
COMMENTAIRE(S)
Marc : Arrêtons-nous de temps en temps ! Prenons le temps de questionner cette course à la vitesse et cette quête effrénée d’immédiateté. Oui, on peut désormais tout faire tout de suite : un « sondage » le temps d’une pause déjeuner ; obtenir les réponses de 21000 individus « représentatifs » en 24 heures ; mettre à jour graphiquement des millions de tickets de caisse « en temps réel. Et après ? Pour quoi ? Merci à MarketResearchNews de nous donner les éléments pour se remettre en question et pourquoi pas réinterroger nos pratiques !