Les villes aussi ont leur ADN ! – Interview de Paola Habri (Qualeia)

21 Mar. 2016

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L’intérêt pour les marques à bien connaître leur ADN est une idée aujourd’hui largement partagée. Et s’il y avait un véritable enjeu également pour les villes –et par extension pour les différentes formes de « territoires » à se poser cette question de ce qui fonde leur unité la plus essentielle pour mieux saisir et valoriser leur singularité, concurrence oblige ! C’est la réflexion que nous fait partager ici Paola Habri (Qualeia), avec le pourquoi et le comment de ce type de démarche.

 

MRNews : Il est fréquent aujourd’hui de parler de l’ADN des marques. Mais en parallèle de ce champ que vous connaissez bien, vous vous intéressez à un autre ADN qui est en l’occurrence celui des villes et plus largement des territoires. Pourquoi ?

Paola Habri : C’est un domaine sur lequel nous travaillons en effet depuis quelques années, qui est d’une certaine façon à la jonction de la sémiologie – qui est mon principal domaine d’expertise – et aussi de l’archéologie qui est une de mes autres passions. Mais au-delà de mes motivations personnelles, le fait est que ces travaux reçoivent un écho de plus en plus favorable auprès des villes et des collectivités territoriales. On voit bien par ailleurs que ces questions d’identité et de territorialité deviennent assez présentes dans les débats de société…

Quel est l’enjeu pour une ville par exemple à bien connaître son ADN ?

Au fond, les villes sont un peu logées à la même enseigne que les marques. Elles sont d’une certaine manière en concurrence, directe ou indirecte. Elles ressentent donc le besoin de se singulariser les unes des autres, que ce soit au travers de leur communication ou de leurs évènements. Les enjeux sont symboliques, mais aussi économiques : attirer plus ou moins d’habitants ou de touristes, cela compte bien sûr pour elles. L’identification de l’ADN d’une ville permet aussi de lever des éventuelles dissensions entre les principaux acteurs de celle-ci quant aux évènements à mettre en place ou à sa communication ; et de trouver ainsi un nouveau « moteur »

Comment pourrait-on définir en quelques mots ce qu’est l’ADN d’une ville ou d’un lieu ?

On pourrait dire qu’il s’agit des molécules les plus essentielles nées de la rencontre des hommes et d’un espace, et qui permettent d’en saisir les spécificités sur le plan géographique et culturel au sens large du terme. On pourrait utiliser le terme de « principe actif ». Il y a naturellement une difficulté toute particulière : il n’est bien sûr pas possible de se tourner vers les fondateurs d’une ville, qui est une entité extrêmement multi-facettes. Mais si des personnes y viennent en tant que touristes ou s’y installent en tant que résidents ou acteurs économiques, ce n’est certainement pas tout à fait par hasard. Il y a une motivation, un principe qu’il s’agit de saisir.

Vous vous êtes penchée sur le cas de Rome, qui est une ville que vous connaissez bien. Comment définiriez-vous l’ADN de cette ville ?

Le travail que j’ai entrepris est relativement partiel, mais il est clair qu’une métaphore centrale nous semble s’appliquer à cette ville : Rome est un nombril ! C’est ce que l’on découvre en tout cas en reliant les différents signes clés associés à cette capitale, dans une lecture sémiotique. C’est une ville très matricielle, où le rond – qu’il soit cercle ou centre – est omniprésent. Rome, c’est un peu un ventre ! C’est une ville qui est imprégnée d’un érotisme très féminin, ce que l’on retrouve naturellement dans les films des réalisateurs qui se sont le plus intéressés à elle comme Fellini ou Pasolini en particulier.

Cela paraît presque trop beau pour être vrai de parvenir ainsi à formaliser l’essence d’une ville. Le cas de Rome est il particulier, est-ce toujours aussi évident ?

Mon intuition est qu’assez paradoxalement, cela peut être assez facile s’agissant des grandes villes et notamment des capitales. On pourrait penser que plus la ville est importante, plus nombreuses sont les facettes qui lui sont propres. Mais la lecture sémiotique est d’une grande efficacité pour en dégager l’unité et la singularité. La difficulté est plus grande en revanche lorsqu’on a affaire à des entités géographiques qui sont le résultat de découpages plus théoriques, comme nos nouvelles régions par exemple.

En pratique, comment fait-on ? Quelles sont les grandes lignes de votre approche ?

Dans l’idéal, la toute première phase consiste précisément à procéder à cette lecture sémiotique en s’intéressant donc à tous les signes potentiellement importants associés à la ville ou au lieu étudié. Sa topographie, ses monuments, ses évènements clés, les mouvements artistiques qui ont pu s’y développer… Dans un second temps, il est nécessaire de réunir un groupe de travail, constitué d’un ensemble significatif des acteurs de l’entité : des représentants des collectivités locales ou de la ville, ou bien des  personnes significatives de l’activité touristique, culturelle, sportive… Il peut également être intéressant d’associer à ce groupe des représentants de la composante spirituelle de la ville, des différents clergés.

Ces différentes personnes ne partagent pas la même vision de la ville…

Tout à fait, mais c’est précisément ce qui est intéressant. On va les faire travailler ensemble de façon très projective, avec des techniques qui vont de la production d’analogies jusqu’à des exercices intégrant une forte composante sensorielle (sur les gouts, les matières, les odeurs,…). Et on va esquisser ainsi cette espèce de brouillard imaginaire associé à la ville pour progressivement faire émerger les métaphores les plus emblématiques, les plus à même de fédérer les représentations de ces différents acteurs.

C’est à ce moment là que l’on tient ces molécules, l’ADN du lieu ?

Absolument. Une fois que l’on tient ces éléments, démarre une seconde phase clé du processus, qui consiste à voir comment transposer et redéployer cette identité en termes d’axes de communication et de développement pour la ville. On essaie d’imaginer notamment de quelle manière cela peut se traduire dans l’offre touristique de la ville ou du site.

Comment s’assure-t-on de la réussite de la démarche, du fait que l’on a bien capté l’ADN de la ville ?

Cela se mesure au fait que l’on passe bien de la dissension à la cohésion entre les différents acteurs concernés et leurs représentations. Et au fait que la créativité soit libérée, alors qu’elle était vraisemblablement bloquée de par ces dissensions.

Est-ce qu’il y a un bon moment dans la vie d’une ville ou d’un territoire pour initier ce type de chantier ?

Il me semble important que cette démarche vienne bien en réponse à une volonté. Celle de la ville ou de l’Office du Tourisme notamment. Le besoin doit être ressenti de parvenir à mieux singulariser la communication ou l’offre de la ville, et aussi de parvenir à dépasser des divergences de vue qui sont sources de tension et paralysent l’initiative. On est vraiment dans une démarche où la composante humaine est complètement en jeu. Quand des acteurs se retrouvent dans un même espace sans en partager le pourquoi, il est essentiel qu’ils se posent et travaillent ensemble pour saisir ce qui fonde leur identité commune, au-delà d’une diversité qu’il ne s’agit naturellement pas de gommer ou de nier. 


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Paola Habri

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