La représentativité d’hier est-elle en phase avec la représentativité nécessaire aujourd’hui ? Le point de vue de Bruno Colin

2 Fév. 2016

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La représentativité fait partie de ces enjeux à la fois fondamentaux pour les études marketing – puisque très directement associés à la question de la valeur ajoutée de celles-ci – mais dont les schémas sont remis en cause par l’évolution de nos écosystèmes d’information et d’interaction, digital oblige. Comment faut-il donc repenser cette notion de représentativité, en intégrant la nouvelle donne de notre environnement tout en ayant le parti-pris de rigueur inhérente à la pratique des études ?  
En complément de notre dossier sur ce thème, voici le point de vue que nous propose Bruno Colin, avec le prisme de l’expérience et du pragmatisme qui est le sien.

 

POINT DE VUE : Bruno Colin (Return On Data)

En Market Research, tout change, tout lasse, tout casse… Sauf cette notion de représentativité derrière laquelle chacun se refugie quand les arguments s’essoufflent.

En effet, à force de brandir ce Joker comme de dernier rempart à « l’ubérisation » des études (voir l’article ici)  on ne sait plus vraiment ce qu’il représente (ce qui est paradoxal …. La représentativité représente quoi, qui ?).

Voyage dans le passé, à une époque ou la question ne se posait pas…

Il y a bien longtemps, dans un monde non digital, il s’agissait de construire un échantillon de taille raisonnable de personnes, de magasins qui, mis bout à bout, faisaient la somme des possibles en termes de pensées, d’actions, d’achats, de ventes.

Il s’agissait de bien prendre en compte la combinatoire des individualités afin de « représenter » notre cible, c’est à dire « l’univers » qui nous intéressait, soit pour comprendre un phénomène, soit pour mesurer un état de fait.

Les vecteurs de communication étaient limités, soit on se parlait (du face à face), soit on se téléphonait (le CATI), et l’uniformisation comportementale des noyaux sociodémographiques usuels de mise. Les hommes jeunes, les ménagères de moins de 50 ans, devaient tous plus ou moins être identiques, et si l’échantillon avait le bon nombre dans chacun de ces groupes, la vie était belle, le résultat scientifiquement juste. Rien à redire.

Mais l’univers s’est élargi, une « étoile noire » est apparue, et les preux Jedi du Market Research ont vu la galaxie du Digital prendre une place centrale.

Maintenant tout est communication, connexion, immédiateté, connaissance (dans le sens de la notoriété) de ce qui se passe dans le monde, car nous savons en quasi temps réel ce que font ou pensent nos camarades (ou amis), anciennement d’enfance ou de quartier, maintenant virtuels ou numériques. Avant un ami était connu depuis 30 ans, maintenant depuis 30 « like ». Mais ceci est un autre sujet.

La vraie question de la représentativité est pour moi centrée sur les média avec lesquels nos anciens noyaux, devenus communautés, interagissent.

Dominique Cardon évoque, dans son très bon bouquin « A quoi rêvent les algorithmes », le « débordement des catégories ». Je le cite : « les agrégats de la statistique sociale n’accrochent plus sur nos sociétés : ils ne permettent plus ce va-et-vient des individus vers une totalité qui les représente et à laquelle ils s’identifient ». Le calcul « toutes choses égales par ailleurs » prôné dans les années 70 ne prend pas en compte la poussée de l’individualisme et des regroupements communautaires.

Les premières expériences de Big Data le montrent, la représentation sociale se fait par le bas, via les traces digitales, la combinatoire est quasi infinie selon le sujet, et est en partie liée au média « d’échange ».

Avant de se flageller, je pense qu’il faut faire preuve de raison.

1-    Un échantillon « structuré » sur les variables ayant un impact sur l’objet de la mesure sera toujours plus « parlant » qu’une collecte  aléatoire sur un média quelconque (un « crawl » sur le web par exemple), aussi grand soit-il. En effet cette collecte « anonyme » va recueillir des traces au sein d’une même communauté où la gémellité est forte, et donc la variabilité (ou variance) des propos faible.  Il faut toutefois ne pas oublier de faire une bonne recherche exploratoire afin d’isoler les vraies variables discriminantes (le bon socio-démo, le bon comportement).

2-    L’idéal (à mon sens) tendrait à s’articuler autour d’une collecte représentant à la fois les dites-variables, et également les supports de communications utilisés prioritairement par les cibles visées. On l’a appelé un moment les « mix-méthodologies », qui se proposaient d’utiliser différentes méthodes de collecte au sein d’un même projet. Cette dimension « support  d’échange» est la composante trop souvent absente. Il faut utiliser le média, le « touch point » avec lequel le futur interrogé se sent le plus à l’aide et en confiance pour le faire parler.

3-    Il nous manque encore un peu de « Research-on-Research » sur la meilleure façon d’agréger la multiplicité des outils de collecte, mais c’est une piste à explorer. On le voit bien, on le sent. 

En résumé, n’hésitons pas à combiner et réconcilier l’ancien monde traditionnel des études avec notre nouvel univers digital, et la multiplication des sources croisées par les critères sociodémographiques  / équipement / comportementaux nous aidera dans notre quête de représentation de la société actuelle. 

Pas facile, mais l’image de notre industrie en a besoin. 


 POUR ACTION 

• Echanger avec les interviewés : @ Bruno Colin

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