« Notre capacité à nous renouveler est une question de vie ou de mort pour notre industrie ! » – Interview de Laurent Florès, Président d’Esomar Monde

18 Nov. 2015

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Dans un contexte où le pessimisme est souvent de mise lorsqu’il est question de l’avenir des études marketing, bâtir et proposer un programme autour de la notion de croissance peut sembler être un contre-pied assez osé…
Avec Growth 2017, telle est pourtant bien la perspective proposée par David Smith et le nouveau président de l’organisation mondiale des études, Laurent Florès, dont les propos ne laissent aucun équivoque quand à son parti-pris : celui du volontarisme et du sens de l’action. Il répond ici en exclusivité aux questions de MRnews.

 

MRNews : A l’occasion du congrès annuel qui s’est tenu à Dublin, vous avez annoncé une série de 10 initiatives clés : Growth 2017. Que faut-il prioritairement en retenir ?

Laurent Florès : Les dix points abordés avec Growth 2017 ont chacun leur importance. Ils s’inscrivent dans une même perspective globale, notre proposition centrale consistant en un « update » radical de la définition même de notre industrie. Notre conviction clé est que nous ne devons plus considérer notre marché comme étant celui des études stricto sensu, mais comme celui de l’intelligence marketing. On peut utiliser d’autres termes si l’on veut mais l’idée est là. Il ne s’agit bien évidemment pas de jouer avec les mots, mais de prendre acte et de tirer les conséquences des évolutions considérables qui impactent le marketing depuis déjà un bon nombre d’années. Je pense bien sûr à la digitalisation de nos économies et tout ce que cela implique à la fois dans les comportements des consommateurs et dans la connaissance que nous pouvons avoir d’eux. Le monde a changé, les entreprises devant évoluer aujourd’hui dans des environnements infiniment plus complexes et mouvants que par le passé. Pour prendre les meilleures décisions, celles-ci ont naturellement besoin de s’appuyer sur une « intelligence marketing » ayant elle-même intégré ces changements.

Quelles sont les implications de cette nouvelle perspective pour Esomar ?

Elles sont multiples. Il est clair par exemple qu’Esomar doit s’adresser à plus large périmètre de professionnels, en intégrant ceux qui travaillent dans l’univers de la data dès lors qu’ils sont impliqués dans l’orientation client des entreprises. Nous devons être un acteur majeur de cette mutation de notre industrie, en jouant de façon plus affirmée encore notre rôle global, mondial, mais en travaillant également en lien étroit avec les associations des différents pays.

Un assez grand nombre d’acteurs historiques de la recherche marketing ont d’ores et déjà intégré les effets de cette digitalisation de nos économies… Quel est donc l’enjeu ?

Un des plus forts besoins des entreprises aujourd’hui est de trouver le bon mode d’emploi des données disponibles, celles qui sont collectées passivement ou bien disponibles sur les réseaux sociaux par exemple. Les acteurs traditionnels du marché des études ne sont pas seuls au monde pour adresser ces besoins. Ils doivent faire face à la concurrence de nouveaux acteurs, qui viennent de l’univers de la technologie et font du « data analytics » leur cœur de métier. A notre sens, il y a donc un réel enjeu à définir un nouveau cadre, un nouveau langage, permettant de montrer comment s’articulent et se complètent l’ensemble des compétences de la recherche marketing d’aujourd’hui, depuis la maitrise des méthodologies traditionnelles des études jusqu’à l’écoute des réseaux sociaux et le data analytics.

La grande question n’est-elle pas de définir la valeur ajoutée distinctive, spécifique à cette industrie de l’intelligence marketing ?

Tout à fait. En réalité, je crois que les acteurs de notre industrie ont eu tendance à oublier quel était leur savoir faire spécifique. Ils ont laissé dériver leur valeur ajoutée perçue comme étant celle de la bonne collecte des données, qui n’est désormais plus l’enjeu critique compte tenu de la digitalisation de notre monde. Or ces acteurs ont dans leurs bagages les compétences dont ont besoin les entreprises aujourd’hui : la capacité en particulier à analyser, à tirer du sens des données d’où qu’elles viennent, et à rendre compte de ce sens de façon pédagogique, convaincante, ce qui est l’art du story-telling.

Le paradoxe est que cet univers de l’intelligence marketing doit mieux faire son propre marketing…

Oui, bien sûr. Nous devons promouvoir notre industrie. L’intelligence marketing n’est pas moribonde. Elle est bien vivante. Elle est même en train d’entrer dans une nouvelle ère de son histoire, particulièrement excitante. Nous devons attirer les top talents d’aujourd’hui, en renforçant nos relations avec les universités en particulier. Tout simplement parce que c’est un métier passionnant et gratifiant que de comprendre ce qui motive les gens, et d’aider les entreprises à prendre les meilleures orientations clients possibles.  Mais je crois que nous devons également valoriser notre rôle au-delà des sphères du marketing, dans la société et y compris auprès des leaders économiques et politiques. Pour cela, il faut que nous abandonnions cette posture consistant à être des intellectuels séduits par l’idée de vivre toujours un peu cachés, et que nous passions à l’action.

Votre message de fond est celui de la nécessité d’une meilleure adaptation de cette industrie à son environnement. Avez-vous le sentiment que les acteurs aient réellement conscience de cette nécessité et qu’ils agissent en conséquence ?

Dans le cadre de notre dernier séminaire, nous avons invité les patrons des plus gros acteurs du secteur à partager avec nous leurs réflexions et leur vision du marché. Mon sentiment est qu’il y a même plus qu’une prise de conscience de cette mutation de leur part. Pour une bonne partie d’entre eux, cette mutation est intégrée dans leur stratégie et leur plan de marche. Ils sont en action. C’est cela qui est important, notre rôle, celui d’Esomar, n’étant pas d’agir à leur place mais de simplement proposer la vision et les rails permettant d’avancer.

Vous évoquez le cas des principaux acteurs, des gros. Quid des petits et des moyens acteurs ? Qu’en est-il de leur capacité à s’adapter à cette mutation ?

La concentration du marché est une réalité. Je pense qu’elle est amenée à se poursuivre. Il ne faut pas se cacher la réalité : un certain nombre de petits ou de moyens acteurs – ceux qui ne parviendront pas à s’adapter à ce nouvel écosystème – sont amenés à disparaître. Cela ne signifie certainement pas à mon sens que les petites structures soient condamnées. Je pense même au contraire qu’il y aura une multitude croissante de petits acteurs, de spécialistes qui sauront développer de nouveaux modes de fonctionnement, en réseau, selon un principe de synergie de compétences. Cela rejoint un des points clés de Growth 2017 : l’idée que nous devons là aussi nous adapter à une autre réalité du monde d’aujourd’hui, qui est l’atomisation du travail. Travailler toute sa vie au sein d’une même organisation, cela appartient au passé. Les individus ont l’obligation d’acquérir des savoir faire spécifiques, de savoir se marketer, de pouvoir travailler pour plusieurs organisations différentes dans une même semaine ou une même journée. Et de travailler en réseau !

Vous êtes président d’Esomar à l’échelle globale. Mais avez vous néanmoins un message spécifique à adresser aux professionnels français de la recherche marketing ?

Non. Je crois que le message que je porte est le même pour tous. C’est une évidence bien sûr, mais la France fait partie des pays les plus développés au sein de notre communauté, ceux parmi lesquels les nouvelles technologies sont omniprésentes. Or ce que nous disons a encore plus de sens pour ces pays-là. C’est là où la transition s’impose le plus, et donc là où la mutation de notre industrie doit impérativement se faire. C’est aussi là où le besoin d’accompagnement de la part des directions marketing et des directions générales des entreprises est le plus fort. Le risque est donc très important pour ceux ne sauront pas gérer cette transition, c’est réellement une question de vie ou de mort ! Mais cela signifie aussi qu’il y a de très belles opportunités, la condition étant de ne pas penser Etudes, mais de considérer les véritables enjeux, ceux d’un marketing, d’une entreprise désormais « drivée » par le digital. 


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Laurent Flores

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