20 ans et dans la cour des grands – Interview de Nathalie Perrio-Combeaux et Patrick Van Bloeme (Co-fondateurs de Harris Interactive)

17 Sep. 2015

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Harris Interactive fait partie de ces rares sociétés qui, en l’espace de quelques années – et à partir d’un positionnement que d’aucuns auraient pu considérer comme marginal – se sont hissées dans le peloton de tête des études marketing, au côté donc des acteurs historiques de la profession. Quelles ont été les grandes étapes du parcours de cette entreprise ? Quelles en sont les perspectives ? Et avec quelle vision quant au devenir de cet univers ? A l’occasion de l’anniversaire des 20 ans  d’Harris Interactive en France, ce sont les questions que nous avons posées à son tandem de direction composé de Nathalie Perrio-Combeaux et Patrick Van Bloeme.

MRNews – Il y a 20 ans, vous avez créé tous les deux une société, Novatris, qui est devenue un peu plus tard Harris Interactive. Quels étaient les principes fondateurs de cette société ? Son ADN ?

Nathalie Perrio-Combeaux – Patrick Van Bloeme : Nous avons créé cette société avec une orientation résolument sectorielle, dans un contexte très différent de celui d’aujourd’hui. L’idée se résume très simplement : elle consistait à proposer des solutions d’études et de conseil marketing spécifiquement à destination des acteurs des télécoms et plus largement des NTIC. Nous vivions à ce moment-là la libéralisation de ces marchés et ces activités étaient en pleine explosion. Cela soulevait des problématiques nouvelles, sur lesquelles les acteurs historiques des études et du conseil n’étaient pas toujours très à l’aise. Nos premiers clients étaient des acteurs comme SFR par exemple. Puis, par extension, les entreprises  de tout secteur qui se sont intéressées à internet.

C’est la diffusion d’internet qui vous a donc amené à sortir de cette spécialisation sectorielle ?

Oui. Avec comme déclencheur le fait que France Télécom nous sollicite en 1996 sur la question de l’intérêt pour eux de proposer l’équivalent des Pages Jaunes sur internet. L’incidence très faible de la cible à investiguer nous a conduits à « développer» notre première enquête en ligne. C’était une nouveauté quasi-absolue en France. Nous n’étions même pas équipés d’internet à la maison ! Et alors que nous pensions que le recueil demanderait plusieurs semaines, nous avons eu les retours de plus de 2 000 répondants en un seul week-end. Nous avons ainsi pris conscience du potentiel de ce nouveau mode de recueil.  

Et vous êtes donc devenus le spécialiste des études en ligne…

Absolument. Dans la foulée, nous avons créé le premier observatoire des internautes, monté notre access panel et étendu notre base d’internautes à l’ensemble de l’Europe.

L’explosion de la bulle internet – en 2000 – n’a t-elle pas bouleversé la donne ?

Cela a bien sûr été un moment clé qui nous a incités à nous diversifier. Et  nous nous sommes retrouvés en compétition plus frontale avec les acteurs historiques des études. Compte tenu de la diffusion d’Internet et  de la qualité  de notre travail nous étions convaincus d’aller dans le sens de l’histoire. A l’époque, nous n’étions cependant que très peu nombreux à partager cette vision. Malgré le scepticisme de la profession, nous nous sommes progressivement développés sur ce créneau dans la  quasi-totalité des secteurs d’activité.

Le passage de Novatris à Harris Interactive se fait en quelle année ?

En 2004. C’est l’année où nous acceptons la proposition d’un groupe américain dirigé par un actionnaire à forte culture entrepreneuriale, une culture somme toute assez proche de la nôtre. L’histoire qui suit est donc largement dans la continuité des années précédentes, mais avec une amplitude géographique et des moyens qui nous rendent crédibles auprès de grands comptes internationaux. L’innovation est restée au cœur de notre stratégie, avec notamment le quali on line, les communautés, les mobiles …

Mais les choses n’en sont pas restées là en termes d’actionnariat…

C’est exact. En 2014, la structure américaine d’Harris Interactive décide de rejoindre le groupe Nielsen. Les entités européennes ont de leur côté rejoint le groupe ITWP, acteur mondial en plein essor

Ce groupe ITWP est déjà très présent dans les études, avec Toluna. J’imagine que le fait de rejoindre celui-ci n’est pas anodin…

Cela s’inscrit en effet dans une certaine vision du marché qui, à notre sens, est en train de muter de façon radicale. Cette mutation intègre différentes composantes, mais l’une des plus importantes est la montée en puissance de l’automatisation des process d’études et leur déclinaison en  solutions technologiques  de type « do it yourself » (DIY). C’est précisément un des domaines sur lesquels le groupe ITWP dispose d’une expertise de premier plan, avec une équipe R&D dédiée de plus de 60 personnes. Il y a là pour nous un socle d’innovation extrêmement intéressant !

Ces solutions sont le plus souvent perçues comme étant une concurrence indirecte pour l’industrie des études « traditionnelles », et même comme une menace pour celle-ci. Quelle est votre vision ? Pour le formuler un peu « brutalement », votre marché est-il toujours celui des études ?

C’est une vraie question ! Notre vision est qu’il y aura de plus en plus deux pans assez spécifiques dans cet univers. Le premier correspond à des besoins tactiques, avec des impératifs de rapidité. Cela se traduit par la production de données de marché, fiables, et rapides, voire temps réel pour des prises de décision pertinentes. Sur cette famille de besoins, les meilleures réponses viendront de plus en plus de l’automatisation et de la technologie. Mais il existe naturellement un second pan, extrêmement important, qui correspond au besoin d’accompagnement  et d’expertise. La donnée en tant que telle est rarement suffisante pour prendre de bonnes décisions. Nos experts sont là pour accompagner nos clients au-delà de l’étude. Notre vision consiste à dire qu’il ne faut pas être dans une sorte d’entre-deux, mais qu’il faut au contraire intégrer ces deux pans avec la plus grande pertinence possible. Notre mission ne change pas mais il est nécessaire d’évoluer pour répondre aux exigences d’aujourd’hui : vitesse, agilité et clairvoyance.

L’idée de ne pas opposer ces deux besoins ne fait pas l’unanimité…

A nouveau nous bousculons le marché. Les études ne sont pas une fin en soi mais bien une réponse à des questions que se posent des décideurs. Ces réponses peuvent  prendre des formes extrêmement variées : de l’enquête au sens traditionnel du terme, qualitative ou quantitative, mais aussi de la veille, des approches de type big data,…. Nous ne voyons vraiment pas le « do it yourself » et les solutions technologiques comme une menace. Il s’agit même plutôt d’une opportunité. C’est la vision qui nous amène à développer des solutions comme « Chrono 24 », dont le principe est d’aider les entreprises à disposer des bonnes informations le plus rapidement possible, mais aussi dans les meilleures conditions possibles de fluidité et de fiabilité. Dans le même registre, nos Harris Communities permettent à nos clients de dialoguer directement avec leur public tout en bénéficiant des expertises de nos équipes.

N’est ce pas aussi la vocation des sociétés de conseil que d’aider les entreprises à prendre les bonnes décisions marketing ?

Il y a des différences entre ce que nous définissons comme étant notre métier et celui du conseil, avec sans doute un plus fort parti-pris d’opérationnalité de notre côté, et le refus délibéré de nous considérer comme de potentiels gourous. Mais il y a aussi des synergies importantes. Notre conviction est qu’il n’y a pas une incompatibilité radicale entre ces différentes activités que sont le conseil, les études au sens traditionnel du terme et les solutions technologiques d’automatisation. En même temps que nous intégrons ces dernières, nous sommes aussi de plus en plus présents sur des missions d’accompagnement, comme la formation à l’écriture de concepts, ou même la co-création (design thinking) par exemple. Nous allons également de plus en plus loin sur des aspects de communication, pour mettre en scène les idées les plus essentielles à retenir à partir des projets que nous gérons. Au fond notre métier est de plus en plus celui d’un intégrateur d’expertises, l’idée étant de mobiliser et d’articuler différents savoir faires pour répondre au mieux aux exigences du marché.

Les évolutions dans lesquelles vous êtes engagées ne vous amènent-elles à voir de plus en plus souvent d’autres interlocuteurs que les équipes études dans les entreprises ?

Nous assistons clairement à une diversification de nos interlocuteurs. Certains chantiers nous conduisent à être plus directement en contact avec les directions générales, les cellules digitales, les directions de la communication ou bien encore celles des ressources humaines. Dans ce contexte, les équipes études ont parfois donné l’impression d’être un peu dépassées de tous bords ; mais il nous semble qu’un ré-équilibrage est en train de se produire. Les organisations semblent avoir désormais une conscience plus aigüe de l’importance de cette fonction Etudes.

Tout cela a sans doute aussi des incidences fortes sur votre propre politique de ressources humaines, et en particulier sur la nature des recrutements que vous êtes amenés à faire ?

C’est juste. Du fait de notre histoire, qui est marquée par une diversification progressive, nous avons toujours été amenés à recruter des profils d’experts. Il s’agit essentiellement d’expertises sectorielles (celle des médias, de la grande consommation, services)  ou liées à des problématiques (opinion, corporate, expérience clients, marques …).Au delà de leurs qualités d’analyse, nous accordons une très grande importance au relationnel. Personne n’a envie de travailler avec des équipes compétentes  mais peu sympathiques ou bien peu convaincantes.

De vilain petit canard, est-ce qu’Harris Interactive n’est pas devenu une institution ?

Certes nous jouons dans la cour des grands. Mais il y a sans doute dans notre ADN quelque chose qui nous protège du statut un peu figé d’une institution. Il y a chez Harris Interactive – et sans que ce soit une caractéristique exclusive bien sûr – une fibre très entrepreneuriale, qui nous pousse à toujours nous remettre en question, à toujours essayer de tester et proposer de nouvelles choses.   

Comment enfin définiriez-vous vos principales ambitions dans les 5 ou même 10 ans à venir ?

Nous considérons que la mutation que nous avons évoquée est un beau challenge. Nous voulons donc relever celui-ci en s’appuyant sur cette vision consistant non pas à défendre un pré-carré ou à étanchéifier les expertises, mais au contraire à les intégrer. Notre pari est au fond celui de l’entrepreneur, qui pense qu’il y a toujours plus d’opportunités que de menaces  derrière chaque bouleversement de marché.  A nous de repenser les études, de réinventer notre métier. Nous n’imaginons donc pas une seule seconde nous ennuyer dans les prochaines  années !


 POUR ACTION 

• Echanger avec les interviewés : @ Nathalie Perrio-Combeaux   @ Patrick Van Bloeme

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