Et s’il y avait urgence à mieux intégrer le mobile dans les études marketing ? Interview de Renaud Farrugia, DG France et Europe du sud de SSI

11 Sep. 2014

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L’usage du téléphone mobile et plus spécifiquement des Smartphones et des tablettes est régulièrement présenté comme une belle opportunité pour les études marketing, avec la possibilité d’interroger les consommateurs dans des contextes nouveaux et particulièrement intéressants. Mais si, au delà de ce caractère d’opportunité, il y avait aussi une certaine urgence pour les études à s’approprier ce medium au regard des exigences de représentativité des études ? C’est la conviction que développe ici Renaud Farrugia, directeur général pour la France et l’Europe du Sud de SSI, qui répond donc aux questions de Market Research News.

Market Research News : L’interrogation du public via les téléphones mobiles et en particulier sur les Smartphones fait partie des pratiques encore émergentes, mais en fort développement ces dernières années. On le présente le plus souvent comme une opportunité pour mener des études dans des contextes particulièrement intéressants, notamment dans le cadre d’études « à chaud ». Mais vous allez en quelque sorte plus loin, en affirmant qu’il y a même une certaine urgence à ce que les études s’approprient ce medium. Pourquoi une telle urgence ?

Renaud Farrugia : Je crois en effet qu’il y a une certaine urgence. Non pas seulement à utiliser les Smartphones comme outil de recueil pour les études marketing, mais aussi à intégrer les spécificités et les contraintes spécifiques de ce medium, ce qui n’est pas forcément aussi simple qu’il n’y parait. Derrière cette nécessité de s’approprier ce nouveau moyen d’études, il y a bien un aspect d’opportunité, vous avez raison de le souligner. Mais nous pensons qu’il y a aussi une certaine urgence à cela si l’on souhaite maintenir une représentativité exemplaire des échantillons et donc des études. Et ce pour une raison assez simple, qui est qu’un nombre croissant et important d’individus ont une telle affinité avec ce médium qu’il est quasiment impossible de les interroger via d’autres moyens. Disons en tout cas qu’il est très difficile de le faire, ce qui revient au même. Or il se trouve que cette population présente un certain nombre de spécificités. Faire l’impasse sur cette population peut donc en effet rapidement poser un réel problème de représentativité.

Disposez-vous d’éléments objectifs permettant de donner la mesure de ce risque ?

Oui, tout à fait. Il faut d’une part tenir compte de la forte progression de l’équipement en Smartphones. Celle-ci est naturellement variable selon les pays. En France, le taux de pénétration est passée de 27 à 42% en 2 ans, entre 2011 et 2013. Les taux sont encore plus élevés aux USA puisque nous étions à 50% de pénétration l’an dernier. Ce même taux est à 40% pour l’Allemagne, 55% pour le Royaume Uni. La Chine est déjà à plus de 47% ! Mais l’autre phénomène important que nous observons aussi, c’est qu’une proportion croissante d’individus répondent spontanément aux enquêtes on-line en utilisant leur Smartphone. Cette proportion est aujourd’hui estimée à 15% selon Pew Research, avec des taux qui varient de 6 à 18% selon les pays étudiés. Juste à titre d’illustration de cette affinité que les individus ont avec leur Smartphone, on sait que 87% des américains préfèrent utiliser ce terminal plutôt qu’un autre pour lire leurs e-mails !

Un des enjeux importants est de savoir si ces individus pour qui le Smartphone est le moyen de réponse privilégié sont sensiblement différents du reste de la population.

C’est bien la conclusion qui s’impose compte tenu des données d’études dont nous disposons. Ils sont en effet différents du reste de la population sous l’angle socio-démographiques, en étant nettement sur-représentés sur les 18-34 ans et sur les tranches de revenus les plus modestes. Mais ce qui est plus problématique encore, parce que cela ne peut être corrigé par des quotas, c’est que ces personnes n’ont pas les mêmes attitudes ou les mêmes comportements que le reste de la population. C’est particulièrement vrai pour tous les univers où le rapport à la technologie est important, mais en réalité cela s’étend à un ensemble très large de catégories de produits ou de services.

Tel que vous nous le décrivez-là, on peut être tenté de faire le parallèle avec le phénomène des  « mobile only », des individus uniquement équipés de téléphone mobile. Pendant longtemps, certains instituts ont fait l’impasse sur cette population, en interrogeant que les foyers équipés d’un téléphone fixe, alors même que celle-ci prenait un poids considérable, avec des attitudes et des comportements en effets bien différents du reste de la population…

Je pense que ce parallèle est tout à fait justifié. Mais je crois néanmoins qu’il y a une différence importante, en ce sens qu’il y a un enjeu « ergonomique » important pour interroger convenablement les « pro-smartphones ». L’interrogation des individus sur téléphone mobile ne nécessitait pas de modifier fortement les questionnaires. Alors que cet impératif est manifeste pour interroger les gens sur leur smartphone. Nous avons mené des expériences pour tester l’effet de différentes configurations d’enquête sur Smartphones, sur plus de 5000 interviews. Dans le 1er cas, la page d’enquête n’était ni plus ni moins qu’une version plus petite de la page originelle en version web. Dans le second cas, il s’agissait d’une page adaptée au Smartphone, en tenant compte des contraintes qu’impose celui-ci. Et dans le 3ème cas, il s’agissait d’une version réellement optimisée de la page web, avec par exemple un défilement horizontal très réduit. Selon ces différentes configurations, les taux de réponse à l’étude variaient du simple au double. La durée de l’entretien et le niveau de satisfaction au regard de l’interview différaient également assez sensiblement en fonction de ces environnements.

Que pouvez-nous dire quant aux bonnes « règles du jeu » pour interroger correctement les individus sur les Smartphones ?

Nous avons identifié une dizaine de « règles », que nous avons présentées à l’occasion d’un webinar qui a eu un certain succès, et qui sont récapitulées et détaillées dans ce document. Il faut par exemple adapter la taille des textes, réduire les gestes de défilement, et donc repenser les échelles en conséquence. Mais en fait, il nous semble même qu’il est intéressant d’aller encore plus loin que cela, en sortant de ce réflexe assez naturel qui consiste à transposer la page web du type PC sous la forme d’un page « Smartphone » plus petite (et même beaucoup plus petite puisque le rapport entre le nombre de centimètres carrés disponibles varie de 1à 10, voire même de 1 à 20). L’alternative qui nous semble souvent la plus intéressante consiste à d’abord penser le questionnaire sous le format Smartphone, pour penser à sa déclinaison PC dans un second temps. On inverse la démarche en quelque sorte, en pensant d’abord « Smartphone », ce qui est très illustratif de cette obligation à vraiment penser les choses différemment, ce qui ne se fait pas du jour au lendemain bien sûr !


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Renaud Farrugia

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