http://www.marketresearchnews.fr/media/catalog/product/cache/3/small_image/250x/9df78eab33525d08d6e5fb8d27136e95/d/a/daniel-bo.jpg

La notion de Brand Culture ou pourquoi les marques doivent être des acteurs culturels. Interview de Daniel Bô.

12 Juin. 2013

Partager

En prolongement de son ouvrage «Brand Content» (2009), Daniel Bô a récemment publié  «Brand Culture – Développer le potentiel culturel des marques», un nouvel opus qui explore le phénomène émergent de la culture de marque, et met en exergue ce nouvel enjeu clef pour les marques à développer leur potentiel culturel. Mais que signifie le terme de Brand Culture ? En quoi cette notion diffère de celle de Brand Content ? Pourquoi les marques doivent-elles se préoccuper de cet enjeu ? Qu’est-ce que cela implique sur les études de marque ? Daniel Bô nous livre ici ses réponses.   

Market Research News : Vous avez publié chez Dunod un ouvrage intitulé Brand Culture, qui met en exergue l’enjeu majeur pour les marques à développer leur potentiel culturel. Comment définiriez-vous en quelques mots ces notions de Brand Culture et de potentiel culturel ?

Daniel Bô : Selon Pascal Somarriba qui a participé à l’ouvrage, « La brand culture c’est la garantie d’une cohérence enchanteresse ». C’est une approche qui prend en compte la réalité sensorielle, corporelle, physiologique, cognitive, technologique, collective, sociale des marques et qui ne se limite pas à la dimension imaginaire et symbolique.

La brand culture, c’est aussi la façon qu’a la marque de s’inscrire comme agent culturel dans une interaction à double sens :
–  elle puise dans son environnement culturel au sens large (historique, géographique, artistique, sociétal…) les fondements d’une identité à la fois cohérente et en perpétuelle adaptation à cet environnement ;
–  par ses innovations, elle produit elle-même des effets culturels, fait évoluer les modes de vie, crée les tendances de demain.

Répondre aux enjeux de la brand culture et concrétiser une véritable stratégie culturelle des marques, implique pour nombre d’entreprises de concevoir, piloter et mener à bien des transformations profondes, y compris dans leur organisation actuelle.

Quelle différence faites-vous entre le Brand Content et la Brand Culture ?

Le brand content est l’un des canaux d’expression de la brand culture, parmi toutes les autres manifestations de la marque : logo, nom, produits, publicité, lieux de vente, bâtiments, collaborateurs, histoire, fondateur, gestes, machines, pratiques, idéologies,…

Le brand content est un moyen alors que la brand culture est une fin. Le fait de créer du contenu est un moyen utilisé par les marques pour développer des relations privilégiées avec les consommateurs, pour assurer leur visibilité sur le web, pour expliquer leur raison d’être. La brand culture, c’est le résultat : un univers culturel riche de sens.

Le brand content correspond à la prise de conscience que les marques peuvent devenir des médias en élargissant leur discours au-delà du message commercial.

Avec la brand culture, on élargit encore le regard sur la marque en s’intéressant à sa réalité multisensorielle faite d’objets, de techniques, de sons, d’implication physiologique en la considérant comme une réalité sociale partagée non exclusivement discursive. La brand culture oblige à penser la marque de façon holistique.

Pourquoi est-ce si important aujourd’hui pour une marque d’être un véritable agent culturel ?

La marque n’est plus seulement un producteur de produit pour un marché. De nombreuses analyses convergent pour expliquer que le consommateur attend plus que des produits purement fonctionnels. Gilles Lipovetsky explique ainsi que « dans la nouvelle économie du capitalisme, il ne s’agit plus seulement de produire au moindre coût des biens matériels, mais de solliciter les émotions, stimuler les affects et les imaginaires, faire rêver, sentir et divertir. »

La marque devient un agent culturel parce qu’elle repense l’objet dans un cadre de représentations bien plus large qui est vivant, évolutif, qui n’est pas entièrement compris dans l’étroitesse de l’objet produit.

Quand la marque dépasse l’étroitesse du produit auquel elle est habituée sur le marché, qui est déjà prédéfini pour un usage particulier, et qu’elle remonte à un « concept » bien plus large (par exemple, la « mobilité » plutôt que l’automobile), elle englobe dans l’espace de sa responsabilité des choses qui dépassent sa production du produit.

Peut-on prendre un exemple et un « contre-exemple » : une marque jouant particulièrement son rôle d’agent culturel, et une autre dont la performance pourrait plus particulièrement être optimisée ?

Avec Influencia, http://www.influencia.net/fr/actualites1/brand-culture,118.html nous avons analysé bon nombre d’exemples réussis : Nike, Coca-Cola, Red Bull, Harley Davidson, Repetto, Happy Pills, Sushi Shop, Patrick Roger, Pierre Hermé, Ladurée, Kusmi Tea, Mariage Frères, Petit Bateau, Desigual, La Cure Gourmande, … Ces marques ont réussi à maximiser le sens pour leurs consommateurs. En devenant des pôles de densité sémantique consistants, elles ont créé un arsenal d’expressions riche et ont généré des éléments signifiants, qui se renforcent mutuellement.

Je n’aime pas dénigrer publiquement des marques mais il y en a beaucoup qui ne tirent pas assez partie du levier culturel, qui produisent une masse diluée d’expressions et utilisent des éléments plus communs.

Qu’est ce que votre analyse implique sur la meilleure façon d’étudier une marque ?

Au-delà des études consommateurs ou des analyses de fonds de marque, les marques peuvent trouver leur intérêt à mener des « recherches culturelles », des « explorations culturelles ». Elles consistent :
–  à aider les marques à repérer dans leur patrimoine de marque les gisements de contenus qui permettront d’exprimer au mieux leur Brand Culture ;
–  à identifier les points de résonances culturelles entre la marque et les individus dans le marché où elle opère. D’où l’importance de bien connaître l’évolution socio-culturelle contextuelle.

Cette « recherche culturelle » est une analyse croisée entre :
– les éléments d’identité de la marque (logo, nom, signature, codes visuels, histoire, etc.), l’histoire de la marque et son corpus de communication ;
– le milieu culturel dans lequel la marque opère, et qui lui permet de développer un univers riche et dense en capitalisant sur son héritage culturel

Le danger, c’est l’approche bureaucratique de la marque. Douglas Holt dans le livre Cultural strategy utilise l’expression « brand bureaucracy » pour désigner une gestion pseudo-scientifique et superficielle des marques à partir de quelques mots clés interchangeables. La brand bureaucracy, c’est d’une part l’usage d’outils pour simplifier, quantifier et schématiser la réalité (statistiques, concepts abstraits, processus standardisés) et d’autre part, un management hiérarchisé, réductionniste, sans place pour l’émotion.

Pour reprendre une expression de Max Weber, la brand bureaucracy est une « cage d’acier », dans laquelle se sont enfermées les entreprises, les rendant inaptes à toute vraie innovation culturelle. Résultat : la culture est réinjectée en fin de processus, lors de la dernière étape de création (design, packaging, communication,…), à partir de notions abstraites et de façon artificielle.

Enfin, en quoi le constat de l’esthétisation du monde » qu’évoquent Gilles Lipovestsky et Jean Serroy se recoupe-t-il avec votre analyse ?

L’intérêt du livre de Lipovetsky et Serroy est de montrer que par sa pratique culturelle comme à travers sa consommation marchande, l’homo aestheticus, à l’affût de sensations nouvelles, exprime ses passions et ses émotions. Ce nouvel environnement incite chacun d’entre nous à être plus créatif et plus actif. Les marques théâtralisent leurs lieux de vente pour susciter l’imagination, tandis que les consommateurs cherchent co-créer avec elles. En effet, « le capitalisme artiste est aussi le système qui a contribué à démocratiser largement l’ambition de créer ».

Le livre est intéressant à consulter pour tous ceux qui s’interrogent sur les liens de plus en plus en plus intimes entre les artistes et les marques. Le livre explique l’évolution du capitalisme vers une société où tous les domaines sont interconnectés, ce que Lipovetsy appelle « l’hybridation » : le domaine marchand s’esthétise, et la culture devient une industrie par exemple. Pour lui, « l’heure est au mixage de l’art et de l’industrie, de l’art et de la publicité, de l’art et de la mode, de la mode et du sport, du design et de la sculpture ».

La dimension esthétique est un des aspects de la brand culture mais ce n’est pas le seul. Lipovetsky et Serroy introduisent également l’idée que les consommateurs sont de plus en plus à la recherche d’un certain « mieux vivre ». Plus que des produits, les consommateurs recherchent des expériences. Pour les auteurs, les marques ont comme défi à relever de faire face à « la nouvelle culture consommatoire centrée sur les attentes de qualité de vie, de séduction et d’émotions, d’expériences et de sensations toujours renouvelées ». Cela rejoint notre analyse de la culture de marque comme étant, outre les discours, une réalité sensorielle, corporelle, physiologique.


 POUR ACTION 

• Echanger avec l’interviewé(e) : @ Daniel Bô

Vous avez apprécié cet article ? N’hésitez pas à le partager !

CET ARTICLE VOUS A INTÉRESSÉ ?

Tenez-vous régulièrement informé de notre actualité et de nos prochains articles en vous inscrivant à notre newsletter.